II. LE PROJET DE LOI D'ORIENTATION
Avant de
présenter les dispositions du présent projet de loi
d'orientation, il n'est pas inutile de rappeler les principales propositions
formulées dans les différents
rapports
préparatoires
qui ont servi de base à son élaboration.
Dans le cadre de la préparation de ce projet de loi, le Gouvernement a
en effet chargé plusieurs personnalités de lui remettre des
rapports sur différentes questions intéressant les
départements d'outre-mer.
Trois rapports de portée générale ont ainsi
été élaborés, dont deux relatifs aux questions
économiques et sociales et le troisième concernant les questions
institutionnelles, ce dernier faisant suite à une mission confiée
par le Gouvernement à deux parlementaires des départements
d'outre-mer, MM. Claude Lise et Michel Tamaya.
• Le premier de ces rapports
12(
*
)
a été remis en
février 1999 au secrétaire d'Etat à l'outre-mer par
Mme
Eliane Mossé
,
économiste, qui avait été
chargée de réfléchir aux perspectives de
développement économique dans les départements
d'outre-mer. Après avoir analysé la situation économique
de ces départements et tracé un bilan des politiques
menées en faveur de l'emploi et du développement, Mme Eliane
Mossé s'est notamment interrogée sur les possibilités de
réforme du régime de surrémunérations dans la
fonction publique de l'Etat, du dispositif de défiscalisation des
investissements et de l'organisation du système bancaire, ainsi que sur
les moyens de parvenir à une utilisation plus efficace des fonds
structurels communautaires. Dans sa conclusion, elle a insisté sur la
nécessité de développer la déconcentration des
décisions au niveau local, ce qui va dans le sens du souhait d'une plus
grande autonomie des départements d'outre-mer et contribuerait à
alléger et à simplifier les procédures.
• Un deuxième rapport remis au secrétaire d'Etat
à l'outre-mer dans le cadre de la préparation du projet de loi
d'orientation a été élaboré par
M. Bertrand
Fragonard
, conseiller-maître à la Cour des Comptes et ancien
délégué interministériel au RMI, qui avait
été chargé de réfléchir aux mesures
susceptibles de permettre une amélioration de la situation de l'emploi
dans les départements d'outre-mer.
Daté de juillet 1999, son rapport
13(
*
)
a notamment préconisé de
soutenir financièrement les projets professionnels des jeunes par la
création d'un " contrat d'initiative jeune ",
d'améliorer les dispositifs de formation professionnelle, de favoriser
la création d'emplois en réduisant les charges sociales des
entreprises de moins de dix salariés et des travailleurs
indépendants, d'améliorer la compétitivité du
secteur exposé en renforçant les exonérations de charges
sociales, de créer un statut de salarié occasionnel, de mettre en
place des mesures d'aide à la création d'entreprises,
d'améliorer les conditions de financement des entreprises et de
créer un dispositif de congé-solidarité pour favoriser les
départs en préretraite et débloquer l'embauche des jeunes.
Il a en outre proposé l'amélioration du dispositif d'insertion du
RMI et la création d'une allocation de revenu d'activité (ARA)
pour les bénéficiaires du RMI prenant le statut de travailleur
occasionnel ou de créateur d'entreprise.
Par ailleurs, M. Bertrand Fragonard a étudié les
possibilités de réforme du régime des compléments
de rémunération dans les secteurs public et parapublic, ainsi que
de la fiscalité applicable dans les départements d'outre-mer et
en particulier du dispositif d'aide fiscale à l'investissement.
• Le troisième rapport établi dans la perspective de
la préparation du projet de loi d'orientation émane de
MM. Claude Lise, sénateur de la Martinique, et Michel Tamaya,
député de la Réunion
, à qui le Premier ministre
avait demandé de réfléchir à un approfondissement
de la décentralisation dans les départements d'outre-mer, en
limitant toutefois le champ de cette réflexion au double cadre juridique
résultant de l'article 73 de la Constitution et de l'article 299-2 du
Traité d'Amsterdam, ce qui constitue une difficulté de l'exercice.
Après avoir dressé un bilan de l'état actuel de la
décentralisation dans les départements d'outre-mer et avoir
étudié les possibilités d'évolution
autorisées par ce double cadre juridique, le rapport des deux
parlementaires, remis au Premier ministre en juin 1999
14(
*
)
, a proposé un accroissement des
responsabilités locales par le transfert de nouvelles compétences
aux collectivités territoriales (départements et régions)
dans les domaines de la coopération régionale, de
l'éducation et de la culture, de l'aménagement du territoire, des
routes, de l'exploitation des ressources naturelles, biologiques et non
biologiques, de la mer et de son sous-sol, du logement, de l'eau et de
l'assainissement...
Les deux parlementaires ont en outre préconisé une clarification
des compétences entre la région et le département pour une
meilleure lisibilité des politiques publiques, en recentrant les
compétences de la région sur la planification et les aides
économiques et en renforçant celles du département dans
les domaines sociaux, éducatif et culturel, ainsi qu'une modernisation
des services déconcentrés de l'Etat.
Ils ont par ailleurs formulé diverses propositions tendant à une
amélioration du système fiscal, une adaptation des règles
de gestion des agents des collectivités publiques outre-mer, un
assouplissement des règles applicables aux marchés publics et une
meilleure utilisation des fonds communautaires.
Enfin, estimant ne pouvoir envisager dans l'immédiat, en l'absence de
modification de l'article 73 de la Constitution, des changements
institutionnels tels que la mise en place d'une assemblée unique,
MM. Claude Lise et Michel Tamaya ont néanmoins souhaité
ouvrir la perspective d'une évolution institutionnelle en proposant la
mise en place d'une nouvelle institution : le Congrès,
réunion non permanente des deux assemblées
délibérantes, qui aurait eu pour compétence :
- d'une part, de coordonner l'action des deux assemblées pour
gérer les compétences partagées dans les domaines des
transports, du logement et de l'aménagement du territoire ;
- et d'autre part, d'initier un processus conduisant à une
éventuelle évolution statutaire en adressant au Gouvernement des
propositions en ce sens.
• Par ailleurs, le Gouvernement a également fait préparer
deux rapports de portée géographique plus limitée qui
concernent respectivement les " îles du Nord "
rattachées à la Guadeloupe (Saint-Barthélémy et
Saint-Martin) et la collectivité territoriale à statut
particulier de Saint-Pierre-et-Miquelon.
- Le premier de ces rapports a été remis au secrétaire
d'Etat à l'outre-mer en décembre 1999 par M. François
Seners, maître des requêtes au Conseil d'Etat
15(
*
)
.
Après avoir établi un constat des singularités des
îles du nord de la Guadeloupe au sein de l'outre-mer français,
celui-ci a considéré qu'une transformation du statut de
Saint-Martin ne pouvait être envisagée à brève
échéance compte tenu de la dépendance financière de
cette commune à l'égard des fonds nationaux et européens
mais qu'il serait souhaitable de lui confier, par voie de conventions
passées avec le département et la région, des
délégations de pouvoirs significatives dans certains domaines
(port, aéroport, formation, action sanitaire, promotion
touristique) ; en revanche, s'agissant de Saint-Barthélémy,
il a envisagé la transformation de cette île en une
collectivité territoriale à statut particulier ou un territoire
d'outre-mer, tout en préconisant dans l'immédiat la
création de nouvelles ressources au profit de la commune.
- D'autre part, en ce qui concerne Saint-Pierre-et-Miquelon, un rapport au
secrétaire d'Etat à l'outre-mer a été établi
par le préfet, M. Rémi Thuau, à la suite d'une
concertation locale menée à propos d'éventuelles
adaptations statutaires
16(
*
)
. Ce
rapport a étudié diverses perspectives d'évolution
concernant notamment le mode de désignation des conseillers
généraux et des conseillers municipaux, la désignation du
bureau du conseil général, la répartition des
compétences en matière d'urbanisme et les règles de
répartition des ressources fiscales, sans pour autant formuler de
propositions définitives.
*
Le
projet de loi d'orientation s'inspire des diverses propositions
formulées dans le cadre de ces rapports préparatoires.
Outre un article préambule affirmant notamment la priorité
donnée au développement des activités économiques,
de l'aménagement du territoire et de l'emploi dans les
départements d'outre-mer, il comprend des mesures en faveur du
développement économique, de l'emploi et de la lutte contre
l'exclusion (
titres Ier, II et III
), des dispositions tendant à
une meilleure reconnaissance de l'identité culturelle (
titre IV
),
un volet consacré au transfert de nouvelles compétences aux
collectivités territoriales, notamment en matière de
coopération régionale, et à l'approfondissement de la
décentralisation (
titres V et VI
), un titre relatif à
l'évolution institutionnelle prévoyant la mise en place d'un
Congrès dans les régions d'outre-mer monodépartementales
(
titre VII
), ainsi que des dispositions spécifiques à la
collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon (
titre
VIII
).
A. LES MESURES EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE L'EMPLOI ET DE LA LUTTE CONTRE L'EXCLUSION
•
S'inspirant notamment du rapport de M. Bertrand Fragonard, le
titre Ier
, intitulé
"
Du développement
économique et de l'emploi
"
, institue tout d'abord des
dispositifs d'
allégement de charges sociales
en faveur des
entreprises des départements d'outre-mer (
articles 2, 3 et
4
).
Ainsi, le projet de loi permettra un abaissement du coût du travail par
une exonération à 100 % des cotisations sociales patronales
de sécurité sociale, dans la limite de 1,3 SMIC, qui
bénéficiera à l'ensemble des entreprises de moins de
11 salariés (un dispositif progressif adopté par
l'Assemblée nationale permettant toutefois d'atténuer les effets
de seuil), aux entreprises les plus exposées à la concurrence et
aux travailleurs indépendants, ainsi qu'au secteur du bâtiment et
des travaux publics à hauteur de 50 %, le coût total de ce
dispositif étant évalué à 3,5 milliards de
francs, à comparer avec un coût de 800 millions de francs
pour le dispositif d'exonération de charges sociales
précédemment mis en place par la " loi
Perben "
17(
*
)
qui a dans
l'ensemble donné satisfaction
Le titre Ier prévoit par ailleurs la possibilité pour les
entreprises des départements d'outre-mer de bénéficier
d'un plan d'apurement de leurs dettes sociales et fiscales (
articles 5 et
6
) et la création d'une prime à la création d'emplois
en faveur de celles qui se consacrent à une activité exportatrice
(
article 7
).
Il comporte en outre deux mesures spécifiques destinées à
favoriser l'
emploi des jeunes
: l'intervention en entreprise de
tuteurs agréés par l'Etat chargés d'encadrer les jeunes en
contrat de qualification ou en apprentissage (
article 8
) et la mise
en place d'un "
projet initiative-jeune
" permettant notamment
d'aider les jeunes créateurs d'entreprises (
article 9
).
L'Assemblée nationale a complété ce titre Ier en y
insérant 8 articles additionnels de portées diverses
prévoyant respectivement :
- l'établissement d'un rapport annuel sur le coût des
transports outre-mer (
article 7 bis
) ;
- l'obligation de faire figurer une date limite de consommation sur les
produits alimentaires provenant du surplus communautaire commercialisé
dans les départements d'outre-mer (
article 7 ter
) ;
- l'extension de la compétence de la Chambre de commerce et
d'industrie de Saint-Pierre-et-Miquelon au secteur agricole
(
article 7 quater
) ;
- la transmission au Parlement d'un rapport annuel sur le rapprochement
des taux bancaires pratiqués dans les départements d'outre-mer
avec ceux pratiqués en métropole
(
article 7 quinquies
) ;
- l'extension du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles
aux effets du vent des cyclones les plus importants
(
article 9 bis
) ;
- une modification de la " loi Royer " destinée à
limiter la concentration dans le secteur de la grande distribution dans les
départements d'outre-mer (
article 9 ter
) ;
- un dispositif baptisé "
congé
solidarité
" destiné à permettre le départ
en préretraite des salariés à partir de 55 ans et, en
contrepartie, l'embauche de jeunes, grâce à un financement
assuré à 60 % par l'Etat et à 40 % par les
collectivités locales et les entreprises (
article 9 quater
) ;
- la publication d'un rapport du Gouvernement sur l'évolution du
dispositif d'incitation à l'investissement dans les départements
d'outre-mer (c'est-à-dire du régime de défiscalisation
issu de la " loi Pons " du 11 juillet 1986) (
article 9
quinquies
).
• Le
titre II
, intitulé
"
De
l'égalité sociale et de la lutte contre
l'exclusion
"
, prévoit tout d'abord la création d'un
"
titre de travail simplifié
" (TTS) qui constitue une
adaptation aux départements d'outre-mer du système du
chèque emploi-service (
article 10
).
Il comprend également plusieurs dispositions relatives au
RMI
:
- l'
article 11
pose le principe d'un alignement progressif du
RMI versé dans les départements d'outre-mer sur le niveau du RMI
de métropole, dans un délai ramené à 3 ans par
l'Assemblée nationale (alors que le projet de loi initial
prévoyait un délai de 5 ans), avec suppression concomitante
de la créance de proratisation ;
- l'
article 12
prévoit un renforcement du dispositif
d'insertion et de contrôle ;
- et l'
article 13
tend à la création d'une
allocation de retour à l'activité (ARA) pouvant être
cumulée avec une activité rémunérée et
destinée à favoriser la réinsertion professionnelle.
L'alignement progressif (en 7 ans) de l'allocation de parent isolé
sur le niveau métropolitain est également prévu
(
article 14
).
L'Assemblée nationale a en outre inséré au sein du
titre II un article additionnel tendant à la suppression de la
prime d'éloignement
bénéficiant aux fonctionnaires
nommés outre-mer (
article 12 bis
).
• Quant au
titre III
, intitulé "
Du
droit au logement
", il comprend deux articles :
- le premier (
article 15
) prévoit une unification des
barèmes des allocations logement dans les départements
d'outre-mer ;
- le second (
article 16
) prévoit la création
dans les départements d'outre-mer d'un fonds régional
d'aménagement foncier et urbain (FRAFU).
La plupart des dispositions de ce volet économique et social du
projet de loi d'orientation relèvent soit de la compétence de
votre commission des Affaires sociales, soit, pour certains articles
additionnels introduits par l'Assemblée nationale, de celle de votre
commission des Affaires économiques.
Aussi votre commission des Lois s'en remettra-t-elle à
l'appréciation de ces deux commissions saisies pour avis sur les
dispositions des titres Ier, II et III, à l'exception toutefois de
quelques articles, comme en particulier l'
article 12 bis
qui
concerne la fonction publique.