N°
267
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mars 2000
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi, MODIFIÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane,
Par M.
Serge LAGAUCHE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Roger Karoutchi, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
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Patrimoine. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
L'Assemblée nationale a examiné le 1er mars dernier la
proposition de loi relative à la protection des trésors nationaux
et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative
aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à
la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie
et de douane que le Sénat avait adoptée le 26 janvier dernier.
A cette occasion, l'Assemblée nationale a su opérer une
métamorphose, transformant un texte dont le dispositif devait
remédier aux lacunes de la loi du 31 décembre 1992 en un texte "
fourre-tout " portant diverses dispositions d'ordre culturel. La
création de ce genre législatif inédit, limité
jusqu'ici aux domaines sociaux et financiers, résulte de l'adoption par
l'Assemblée nationale de deux articles nouveaux, l'un procédant
à un toilettage très ponctuel du code de l'industrie
cinématographique et, le second, à une modification de la loi
fixant le statut du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou.
On peut s'étonner de l'adoption de ces deux articles, alors que la
ministre de la culture et de la communication lors des débats à
l'Assemblée nationale a fondé son opposition aux dispositions
fiscales adoptées par le Sénat au motif qu'en modifiant les
dispositions de la loi du 31 décembre 1913, elles sortaient " du champ
législatif visé par la proposition de loi ".
Ces ajouts sont d'autant plus regrettables que, bien qu'elle ait adopté
seulement deux articles conformes, l'Assemblée nationale a
approuvé l'essentiel du dispositif voté par le Sénat,
portant une appréciation nettement positive sur les objectifs poursuivis
par la proposition de loi.
•
La proposition de loi adoptée par le Sénat visait
à remédier aux lacunes du dispositif de protection du patrimoine
national prévu par la loi du 31 décembre 1992.
On rappellera que la loi de 1992, qui s'est substituée à la loi
douanière de 1941, a considérablement assoupli le
mécanisme de contrôle des exportations de biens culturels et a
instauré un dispositif très libéral qui ne permet
guère à l'Etat que de retarder la sortie d'oeuvres majeures, sauf
à les acquérir.
La loi de 1992 conditionne l'exportation des oeuvres d'art dépassant
certains seuils d'ancienneté et de valeur à la délivrance
d'un certificat.
Le certificat ne peut être refusé qu'aux trésors nationaux,
notion qui, outre les biens appartenant aux collections publiques et les biens
classés, recouvre les biens présentant " un intérêt
majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art ou
de l'archéologie " (article 4 de la loi de 1992). Pour ces derniers, en
cas de refus de certificat, aucune nouvelle demande ne doit être
adressée à l'administration pendant un délai de trois ans,
au terme duquel le certificat ne peut alors être à nouveau
refusé, sauf si le bien a été classé - mesure dont
l'effet est l'interdiction d'exporter.
La logique de la loi adoptée en 1992 conduisait à ce qu'en cas de
refus du certificat, l'administration dans le délai de trois ans tire
les conséquences de l'interdiction d'exportation, en entamant une
procédure de classement s'il s'agissait d'un bien mobilier ou
d'archives, en le revendiquant s'il s'agissait d'un bien culturel maritime ou
d'un objet découvert à l'occasion de fouilles
archéologiques, ou encore en l'achetant pour le faire entrer dans les
collections publiques.
Or, en condamnant l'Etat à verser une indemnité de 145 millions
de francs représentative de l'interdiction définitive
d'exportation qui résultait d'une mesure de classement, la Cour de
cassation a neutralisé cette alternative.
La solution de l'acquisition trouve elle-même des limites dans la mesure
où, à supposer qu'il dispose des fonds nécessaires,
notamment faute d'une procédure permettant une évaluation
objective et indépendante de l'oeuvre, l'Etat se trouve à la
merci d'un refus du propriétaire de s'en dessaisir.
* Afin de remédier à cette lacune
,
la proposition de
loi, s'inspirant en cela du dispositif britannique, a complété la
loi de 1992 par un article 9-1 nouveau qui prévoit une procédure
d'expertise.
En l'absence d'accord amiable sur le prix d'une oeuvre, il reviendra à
des experts désignés par l'Etat et le propriétaire
d'arrêter le prix du bien. Si le propriétaire refuse l'offre que
lui adresse l'Etat à ce prix, le refus de certificat pourra être
renouvelé.
La proposition de loi entoure cette procédure d'acquisition de garanties
afin de protéger les prérogatives de l'Etat mais également
d'assurer une meilleure information des tiers sur les effets du refus de
délivrance du certificat.
*
Au delà, le Sénat a souhaité
limiter
l'incidence du dispositif de contrôle des exportations de biens culturels
sur le fonctionnement du marché de l'art
.
A cet égard, la proposition de loi comporte deux dispositions de nature
à rassurer les propriétaires sur le " statut " de leurs
biens : l'allongement de la durée de validité du certificat
et l'impossibilité de classer les biens importés depuis moins de
cinquante ans.
Par ailleurs, pour éviter des formalités administratives trop
lourdes aux collectionneurs étrangers vendant ou achetant des oeuvres en
France, la proposition de loi précise que les exportations de biens
culturels importés à titre temporaire -en vue d'une vente ou
d'une exposition- ne sont pas assujetties à la procédure de
délivrance du certificat prévue par la loi de 1992.
En outre, afin de rapprocher le monde du marché de l'art et celui des
collections publiques, elle modifie la composition de la commission
chargée de formuler un avis sur les refus de délivrance des
certificats, qui comprendra désormais à parité des
représentants de l'Etat et des personnalités qualifiées.
* Enfin, conscient des limites auxquelles se heurtaient ces avancées en
raison du caractère limité des crédits d'acquisition
inscrits au budget du ministère de la culture,
le Sénat, sur
proposition de votre commission des finances, saisie pour avis, avait
souhaité compléter les conclusions de votre commission par une
disposition fiscale
figurant à l'article 4 bis
destinée à éviter que le poids financier de la protection
du patrimoine national ne repose exclusivement sur l'Etat. La
préoccupation exprimée par votre commission des finances
était de limiter l'exode des oeuvres en s'efforçant de les
"
fixer en amont en accordant des avantages fiscaux aux
propriétaires acceptant de les maintenir sur le territoire
national "
1(
*
)
. Cet article
prévoyait une exonération de droits de mutation à titre
gratuit des biens mobiliers classés au titre de la loi de 1913 sur
les monuments historiques avec l'accord de leur propriétaire.
•
L'Assemblée nationale, si elle a approuvé l'essentiel
du dispositif adopté par le Sénat, a modifié de
manière substantielle le champ législatif couvert par la
proposition de loi.
*
Elle a porté une appréciation favorable sur les dispositions
prévues par le Sénat afin d'introduire dans la loi de 1992
une procédure d'acquisition des trésors nationaux, comme sur
celles destinées à limiter les incidences sur le marché de
l'art du contrôle des exportations de biens culturels.
Certaines modifications auxquelles a procédé l'Assemblée
nationale apportent d'utiles précisions à l'image des
dispositions relatives à la prise en charge des frais d'expertise
imposés par la procédure d'acquisition, qui permettront
d'éviter d'inutiles contentieux.
Votre rapporteur regrettera cependant que l'Assemblée nationale ait
supprimé la disposition visant à préciser que la
décision de renouvellement d'un refus de certificat n'ouvre droit
à aucune indemnisation. Le silence de la loi sur ce point risque
d'être interprété par le juge en sens contraire. Si
c'était le cas, il y a fort à craindre que l'Etat ne se trouve
alors dans une situation comparable à celle qui prévaut en cas de
classement au titre de la loi de 1913, ce qui priverait
d'efficacité le dispositif proposé.
L'Assemblée nationale est également revenue sur des dispositions
adoptées par le Sénat destinées à introduire une
certaine souplesse dans les procédures de contrôle des
exportations d'oeuvres d'art.
* Par ailleurs, l'Assemblée nationale a supprimé les
dispositions adoptées par le Sénat à l'initiative de votre
commission des finances saisie pour avis.
Elle a supprimé la disposition introduite sur proposition de votre
commission des finances, inspirée par l'exemple britannique, qui
permettait à l'Etat de présenter au propriétaire d'un
trésor national une offre d'achat pour le compte d'une personne
privée qui s'engagerait en contrepartie à consentir au classement
du bien.
De même, l'Assemblée nationale a supprimé la mesure fiscale
adoptée par le Sénat pour encourager des propriétaires
privés à détenir des oeuvres classées au motif
notamment que cet article sortait du champ législatif visé par la
proposition de loi.
* On ne pourra que regretter que l'Assemblée nationale n'ait pas fait
preuve de la même rigueur à l'égard des deux amendements
proposés par le Gouvernement,
l'un supprimant le visa d'exportation
des films cinématographiques (article 6 bis nouveau) et l'autre
aménageant le statut du Centre national d'art et de culture
Georges-Pompidou (article 6 ter nouveau), dont le lien avec la
proposition de loi paraît pour le moins ténu.
Le point commun de ces deux dispositions adoptées par l'Assemblée
nationale, certes de faible portée, est de permettre des réformes
administratives, depuis longtemps envisagées, et qui n'avaient jusqu'ici
trouvé aucun véhicule législatif.
Pour la première d'entre elles, on relèvera qu'il existe une
fâcheuse tendance des gouvernements successifs à considérer
la loi de 1992 comme un réceptacle commode. En effet, lors de
l'examen de la loi de 1992 avait déjà été
adoptée une disposition, devenue l'article 15 de cette loi, qui
adaptait le régime du visa d'exportation prévu par le code de
l'industrie cinématographique à la création du
marché unique.
L'examen de la proposition de loi du Sénat ne permettra donc pas
d'échapper à cette funeste habitude. S'il approuve le souci de
simplification qui anime en ce domaine le gouvernement, votre rapporteur
considère que cette disposition aurait mieux sa place dans une
réforme d'ensemble du code de l'industrie cinématographique.
Cette refonte pourrait être utilement opérée à
l'occasion des travaux conduits pour l'élaboration du code de la
communication et du cinéma qui devrait être achevé avant la
fin de la présente législature, comme le prévoit le projet
de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les
administrations, en instance d'examen devant le Parlement.
Si l'on peut considérer à la rigueur que l'article 6 bis
(nouveau) traite de la circulation des biens culturels et se
" rattache " de ce fait à l'objet de la proposition de loi, il
n'en est pas de même de la modification de la loi de 1975
2(
*
)
relative au Centre national d'art et de
culture Georges-Pompidou prévue par l'article 6 ter (nouveau),
qui constitue une parfaite illustration de ce que l'on désigne
communément sous le terme de " cavalier législatif ".
Le texte qui nous est transmis opère une réforme à la
hussarde sans qu'aucune concertation n'ait pu au préalable avoir lieu.
• Afin de rendre sa cohérence au dispositif de la proposition de
loi,
votre commission vous proposera de supprimer les deux
" cavaliers " introduits à l'Assemblée nationale
.
Par ailleurs pour
garantir l'efficacité de la procédure
d'acquisition prévue à l'article 9-1 de la loi de 1992,
votre commission a estimé indispensable de préciser que les
décisions de renouvellement de refus du certificat ne donnent pas lieu
à indemnisation
. L'amendement adopté par l'Assemblée
nationale a introduit sur ce point une incertitude qui pourrait bien rendre
inutile la réforme proposée à l'initiative de votre
rapporteur. Depuis l'affaire Walter, l'acquisition demeure la seule voie
possible pour permettre à l'Etat de retenir des oeuvres majeures sur le
territoire national. Se priver de l'alternative que représente la
possibilité de renouveler les refus de certificat reviendrait à
renoncer à toute velléité de contrôle des
exportations d'oeuvres d'art.
Enfin, votre commission vous propose de réintroduire des dispositions
adoptées par le Sénat et supprimées par l'Assemblée
nationale, qui permettaient de garantir la souplesse des mécanismes
prévue par la proposition de loi.
Parmi celles-ci, figurent
notamment la possibilité ouverte au propriétaire en cas de
renouvellement du refus du certificat de redemander une expertise du bien et la
compétence accordée à l'Etat en cas de refus de ses offres
d'achat pour apprécier l'opportunité d'un renouvellement du refus
de certificat.
*
* *
Sous réserve de ces observations et des modifications qu'elle vous soumet, votre commission des affaires culturelles vous propose d'adopter en deuxième lecture la présente proposition de loi.