4. Une chaîne d'information défaillante
Il ne semble pas, par ailleurs, que la direction générale ait informé le cabinet du ministre des dysfonctionnements que représentaient, d'une part, la mésentente flagrante entre le commandant de légion et son chef d'état-major et, d'autre part, les conditions d'emploi du GPS alors même que de tels sujets auraient du être évoqués au niveau supérieur, comme l'a souligné un membre du gouvernement devant votre commission :
« Si le problème se situait à l'échelon du commandement et portait sur des dissensions ou des remarques importantes sur la manière de servir d'un membre de l'état-major du groupement ou d'un commandant de compagnie, j'en serais effectivement informé par la direction générale. Nous demandons également à être tenus informés de près en cas d'événement grave, d'une série de contraintes ou de charges de travail qui pèsent sur le moral déclenchant des mécontentements ou des inquiétudes chez les gendarmes (...), les signes avant-coureurs des méthodes de commandement du colonel Henri Mazères devenant difficilement compréhensibles par certains de ses subordonnés, (ils) auraient forcément fait partie de ces fautes identifiées par la direction générale de la gendarmerie nationale et auraient donc été portés à la connaissance du ministre et du cabinet ». Force est de constater que, de ce point de vue, la chaîne de l'information n'a pas fonctionné.
5. De la « belle aventure républicaine » aux « soldats perdus » de la gendarmerie
Dans la nuit du 19 au 20 avril 1999, le petit groupe des officiers du GPS organise clandestinement l'incendie d'un restaurant de plage situé au sud d'Ajaccio , la paillote « Chez Francis », dont le propriétaire peut désormais se targuer d'une célébrité bien peu honorable.
Cette affaire dérisoire dans ses objectifs et ses procédés, a créé un traumatisme profond au sein de la gendarmerie. Il n'appartenait naturellement pas à votre commission d'enquête de se prononcer sur l'écheveau des responsabilités à l'origine de ces péripéties malheureuses. Il lui revenait en revanche d'éclairer par les observations précédentes, les dysfonctionnements majeurs révélés à cette occasion :
- d'une part, une chaîne de commandement raccourci entre le préfet, le commandant de légion et une unité de gendarmerie opérationnelle ;
- d'autre part, des mécanismes de contrôle biaisés dès l'origine par la confusion des pouvoirs opérationnels et de contrôle sous une même autorité -le commandant de légion- et par l'insuffisance de la vigilance exercée par les échelons supérieurs ;
- enfin, un isolement du commandant de légion favorisé par la dégradation du climat au sein de la légion, sans que la direction générale n'intervienne pour y mettre un terme.
Ces trois éléments ont incontestablement permis le dévoiement de quelques officiers dans une opération clandestine. L'échec même de militaires, par ailleurs expérimentés, dans l'incendie d'une paillote , alors même qu'ils avaient réussi des opérations autrement difficiles telles que les interpellations de criminels, ne traduit pas seulement une impréparation flagrante mais aussi et surtout une sorte de résistance inconsciente face à un ordre illégal .
Il faut rendre acte à la gendarmerie d'avoir souhaité faire toute la lumière sur ces faits.
Le 20 avril 1999, la brigade territoriale saisie de l'enquête retrouve très rapidement sur les lieux des indices susceptibles de mettre en cause des personnels appartenant au GPS.
Le 22 avril, le directeur général, les généraux Marcille et Lallement sont informés par le colonel Mazères, venu à Paris, de la présence, sur les lieux de l'incendie, d'une équipe de cadres du GPS en mission d'observation. Ils lui donnent l'ordre de prendre contact le plus tôt possible avec le procureur général près la cour d'appel de Bastia. Celui-ci confirme par ailleurs la saisine de la gendarmerie pour la poursuite de l'enquête avec l'engagement de l'inspection technique, gage indéniable de la confiance de la justice dans la gendarmerie à la suite de la réaction rapide de l'Arme dans une affaire où se trouvent impliqués plusieurs des siens. Le directeur de cabinet du ministre de la défense a été informé de ces événements et de leur gravité ainsi que des instructions du directeur général le vendredi 23 avril dans l'après-midi.
L'enquête a, faut-il le rappeler, rapidement débouché sur la mise en examen et le placement sous mandat de dépôt de cinq militaires du GPS, du commandant de légion, du préfet de région et de son directeur de cabinet.
Au-delà de cette réaction rapide, il importe toutefois que la gendarmerie tire les leçons pour elle-même, son organisation et son fonctionnement, de ces graves dysfonctionnements.
De ce point de vue la direction générale ne saurait se satisfaire d'une version a minima des événements, telle qu'elle a d'abord été présentée devant votre commission : « les faits qui se sont déroulés ne paraissent pas imputables à l'organisation locale de la gendarmerie mais semblent bien être le résultat de défaillances individuelles ». Or l'opération du 19 avril n'a pas seulement mis en cause des « comportements aberrants » mais aussi des dysfonctionnements majeurs.
La gendarmerie ne l'ignore d'ailleurs pas. Comment expliquer autrement la célérité de l'Arme à mettre en place deux commissions, la première chargée de réfléchir sur le renforcement des contrôles, la seconde sur les principes d'action et la formation du personnel, particulièrement celle des militaires appelés à servir dans les unités spécialisées ?
Par ailleurs une enquête de commandement sur le fonctionnement de la légion de Corse a été décidée par la direction générale dont la commission n'a pu avoir connaissance.
Il est indispensable que, dans ces différents cadres, des propositions précises soient formulées et portées à la connaissance de la représentation nationale afin d'éviter le renouvellement des erreurs passées.