3. Un suremploi du GPS

Créé le 1 er juin 1998, le GPS dispose de la totalité de ses effectifs en septembre 1998. Dès cette date, il sera employé intensément.

a) Un besoin de formation évident

Certes le GPS dispose d'atouts réels au premier rang desquels un encadrement présentant des garanties indéniables de compétence : le commandant du groupe, le capitaine Ambrosse (31 ans) a réussi les difficiles épreuves d'intégration au GIGN sans toutefois souhaiter poursuivre dans cette voie ; le commandant du peloton de protection, le lieutenant Franck Pesse (43 ans) a appartenu, quant à lui, au groupe de sécurité de la présidence de la République ; le commandant du peloton de renseignement et d'intervention, le lieutenant Lionel Dumont (41 ans) commandait déjà le peloton léger d'intervention de l'escadron 31/6 d'Ajaccio et bénéficiait d'une connaissance certaine de l'environnement de l'île ; enfin, le commandant du peloton d'intervention, le lieutenant Denis Tavernier (35 ans) sortait du cours supérieur de l'école des officiers de gendarmerie nationale et disposait de qualifications de moniteur de sport et de tir.

L'effectif des sous-officiers présentait toutefois une plus grande hétérogénéité . Sur 95 militaires, 32 avaient été recrutés -sur 807 candidatures- selon des critères de sélection sévères : 22 sous-officiers provenaient de la gendarmerie mobile et disposaient d'au moins deux diplômes de moniteur d'éducation physique et sportive, de technique commando, ou de combat corps à corps, 12 sous-officiers appartenaient à la gendarmerie départementale et avaient bénéficié d'une formation aux techniques de filature-observation. Les 59 sous-officiers provenant de l'escadron 31/6 possédaient un niveau de formation nettement inférieur. Ils étaient par ailleurs « démotivés et fatigués » comme cela a été dit devant votre commission. La moitié d'entre eux ont du reste été affectés au peloton hors rang. Les 29 autres militaires se sont répartis entre les pelotons de marche. Les plus qualifiés, comme l'a d'ailleurs admis le rapport Capdepont, ne possédaient qu'un brevet d'alpinisme de montagne. Incontestablement un effort de formation s'avérait indispensable. Dès l'été 1998, plusieurs sous-officiers de l'escadron d'Ajaccio dissous, bénéficient de stages. En outre, en décembre et janvier, certains gendarmes du GPS ont été formés dans le domaine de la protection au sein du GIGN. L'effort n'était toutefois pas encore à la mesure des missions confiées. La nécessité d'une formation adéquate exigeait à coup sûr une montée en puissance progressive dans le temps.

b) Un équipement insuffisant

L' équipement du GPS a fait l'objet de six réunions organisées en octobre-novembre 1998 sous les auspices du chef de service des opérations et de l'emploi, le général Lallement. Le GIGN a assuré en la matière l'expertise. Au départ une liste impressionnante de matériels se chiffrant à quelque 20 millions de francs, avait été soumise à la direction générale à l'instigation, selon toute vraisemblance, des responsables de la Légion. Le GIGN a ramené à moins de la moitié cette facture. Il a en particulier eu pour souci d'éviter la mise en place d'un dérivé du GIGN en Corse (ainsi il s'est opposé à une dotation de cagoules et de combinaisons noires). Dans la mesure où les moyens n'avaient pas été prévus dans le budget pour 1998, le GPS a en fait été doté, fin décembre, de matériels de protection ou de mobilité dont la gendarmerie disposait déjà.

Le reste des matériels devant être affectés en 1999, 2000, voire 2001, les militaires du GPS ont ainsi été réduits à acheter leurs combinaisons et à utiliser, à leurs frais, leurs propres portables. En décembre, alors même que l'accomplissement de leurs missions rendait nécessaire l'utilisation de transmissions adaptées, ils ne disposaient pour l'ensemble du groupe, que de dix portables. Le sous-équipement du GPS supposait ici encore une mise en oeuvre progressive de cette structure.

c) Un emploi prématuré et excessif

Dès le 1 er septembre, le groupe a été engagé sur le terrain, progressivement pour le peloton d'intervention, beaucoup plus rapidement pour le peloton de protection. Le groupe d'une vingtaine de militaires protégeait quatre personnes -le directeur de cabinet du préfet de région, le directeur régional de l'agriculture et de la forêt, le général délégué militaire départemental, le commandant de la légion- soit le même nombre que la structure homologue du GSIGN composée, elle, de quatre-vingts gendarmes.... En outre, il couvrait les missions d'inspections qui se sont succédées, nombreuses, en Corse. A partir de décembre, les missions s'enchaînent. Le peloton d'intervention, le peloton de protection, et dans une moindre mesure, le peloton d'observation, sont constamment sur le terrain.

La pression exercée sur le GPS découle d'abord des contraintes propres du contexte corse . Indéniablement, le GPS répondait à un besoin. En outre, le GPS s'est acquitté avec compétence, malgré la jeunesse de cette structure, des différentes missions qui lui étaient confiées. La motivation des hommes suppléait pour partie à l'insuffisance matérielle. Le GPS a ainsi pu procéder, en huit mois, à une trentaine d'interpellations -la dernière en date, l'arrestation de cinq braqueurs sur Calvi aurait pu relever du GIGN. L'unité a su faire reconnaître sa valeur sans apparaître pour autant comme une unité de « cowboys ». De fait, les unités territoriales d'abord méfiantes ont de plus en plus sollicité le concours du GPS alimentant ainsi la pression pesant sur le groupe.

Cette pression constante constituait un risque évident pour le GPS « les gens fatigués peuvent être dangereux dans ce type de mission, sur une intervention (...), sur des renseignements, surtout en terrain miné comme l'était la Corse. On a besoin de gens attentifs, réveillés. L'enchaînement de missions faisait que l'on était parfois limité ». Tel était le sentiment d'un officier du GPS entendu par votre commission. L'intéressé confirme qu'il aurait fallu deux mois à compter du 1 er septembre « pour atteindre un niveau opérationnel minimum » avant un engagement des hommes sur le terrain .

La pression mutuelle exercée sur le GPS devait être contenue, sauf à exposer cette structure au risque de bavures.

d) L'insuffisance des contrôles

Or force est de constater que les mécanismes de contrôle n'ont pas fonctionné , d'une part, parce que la première autorité de contrôle, le commandant de légion, constituait aussi l'autorité d'emploi, d'autre part, parce que la direction générale, pourtant informée, n'a pas vraiment tenu compte des risques du suremploi.

Il revenait d'abord au commandant de légion de contrôler une unité qu'il pouvait par ailleurs employer de sa propre initiative. Certes, la quasi-totalité des concours résultait d'une demande d'une unité. Toutefois, le colonel auquel toutes les demandes étaient soumises n'a pas, comme il l'aurait pu, mis un frein aux recours du GPS. Pendant ses périodes d'absence, il donnait au chef de la section de recherches une manière de blanc-seing pour recourir au GPS. Il a « toujours validé les demandes » selon un témoignage direct recueilli par votre commission. Il l'a du reste lui-même sollicité de plus en plus, surtout entre janvier et février, dans des conditions d'ailleurs parfois contestables. Ainsi, dès novembre 1998, le colonel Mazères fait part au capitaine Ambrosse d'une menace d'attentat contre la brigade de Belgodère et lui demande d'assurer une surveillance préventive. Le commandant du GPS fait observer que la mission relève du niveau du GIGN. Le colonel Mazères se rend à ces arguments mais revient à la charge, quand, après une semaine d'observation les troupes d'élite venues de Paris quitteront la place sans que se profile une réelle menace. Le GPS ne peut se dérober et assure une surveillance d'une quinzaine de jours sans plus de résultat.

Cette mission soulève une double interrogation. D'une part, par sa difficulté, elle semblait relever du GIGN. D'autre part, elle semble avoir été organisée en marge de tout cadre judiciaire.

Le colonel Mazères a également ordonné douze contrôles routiers dans le but de renforcer les unités territoriales et d'assurer une présence continue sur les axes de circulation. Le GPS s'est plié de mauvaise grâce à l'organisation de barrages sans lien avec une recherche déterminée. Le GPS, certes, avait été sollicité parce que les barrages organisés par la gendarmerie départementale ou la mobile n'avaient pas donné satisfaction. Mais était-ce bien le rôle du GPS de remplacer ces unités classiques pour accomplir à leur place une activité jusque-là mal exécutée ?

Le commandant de légion était lui-même, il est vrai, soumis aux sollicitations du préfet. Une fois des relations d'étroite confiance rapidement établies entre M. Bonnet et le colonel Mazères, celui-ci est devenu l'interlocuteur privilégié du préfet pour toutes les affaires concernant la gendarmerie au niveau régional ou départemental. Les commandants de groupement se sont trouvés évincés de ce rapport quasi exclusif, y compris pour les questions relevant de leurs compétences. Cette anomalie, jointe aux capacités opérationnelles reconnues au commandant de légion, permet d'éclairer le dévoiement d'un circuit de décision très raccourci : « préfet, commandant de légion, exécution immédiate »... « Il s'agirait donc là d'un véritable dysfonctionnement », comme l'a déclaré devant votre commission un des plus hauts responsables de la gendarmerie servant actuellement en Corse. Le rapport Capdepont fera le même constat : « Cette unité [le GPS] a été vite, trop vite engagée et soumise à une forte pression du commandant de légion, lui-même sous la coupe d'un préfet exigeant et souvent engagé dans l'activité désignée au-delà des usages en la matière ».

Comment pouvait dès lors s'exercer le contrôle, alors même qu'il n'était pas appliqué, comme du reste on pouvait s'y attendre, par l'autorité d'emploi ? Pour toutes les opérations délicates, le colonel Mazères rendait compte à sa hiérarchie, soit par téléphone, soit par message.

Le général commandant de circonscription de Marseille se rendait environ une fois par mois à Ajaccio. Comme l'a souligné le rapport Capdepont, le général « pouvait prendre connaissance des conditions de fonctionnement de l'unité et, éventuellement, opérer les redressements nécessaires » . Cet échelon n'a pas, selon toutes apparences, assuré le contrôle nécessaire.

Il revenait dès lors à la direction générale de prendre toutes ses responsabilités. Elle était consciente des difficultés dès la mise en place du GPS. En effet, une note du 10 novembre 1998 citée par le rapport Capdepont précise : « Le GPS sera donc en mesure de débuter dans l'ensemble de ses missions avec le minimum de moyens nécessaires dès le début de l'année 1999. Pour autant, ce n'est qu'au début de l'année 2000 qu'il pourra envisager de s'engager pleinement à un niveau opérationnel satisfaisant ». Faut-il rappeler que le GPS se trouvait engagé, en fait, dès le mois de septembre... ?

En outre, à la suite d'une mission d'évaluation du GPS réalisée avec les deux officiers commandant le GIGN et l'EPIGN, le colonel commandant le GSIGN, dans une note rédigée le 3 décembre 1998, préconise un « gel à l'instruction du GPS sur une base d'une semaine par mois afin de réaliser des exercices collectifs et d'améliorer les capacités en cours d'acquisition ». Le jour de sa mission en Corse, notons-le, le commandant du GSIGN n'a pu communiquer ses observations au colonel Mazères en déplacement à Paris pour convaincre le juge Thiel de revenir sur sa décision de dessaisissement de la gendarmerie dans l'enquête sur l'affaire de Pietrosella. Il fallait « faire des choix » comme cela nous a été confirmé devant la commission. Or ces choix n'ont pas été faits.

Le contexte particulier de la Corse, les caractéristiques du GPS, l'implication de la direction générale dans sa création : tout semblait plaider pour une attention plus vigilante de la hiérarchie militaire sur les activités du GPS. Cette passivité suscite la perplexité à un double titre : d'une part, de manière générale, elle met en cause le système de contrôle au sein de la gendarmerie ; d'autre part, à la lumière des événements d'avril, elle appelle une question : un contexte plus rigoureux n'aurait-il pas fait davantage hésiter le colonel Mazères avant de recourir au GPS dans des opérations illégales ?

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