3. Les pressions du milieu environnant

Les personnels des services de sécurité, ainsi que les magistrats ou les témoins sont souvent confrontés à des menaces ou à des agressions directes les visant eux-mêmes ou leur famille.

A titre d'exemple, depuis 1993, 32 attentats ont visé des services de police et vingt-huit policiers ou gendarmes ont fait personnellement l'objet d'agressions. Entre 1994 et 1998, 12 attentats ont eu lieu contre des véhicules du ministère de l'intérieur et 8 attentats ont visé des résidences privées de fonctionnaires de police. Le directeur central de la police judiciaire a indiqué à la commission que deux policiers de la BREC avait dû être rapatriés sur le continent en 1997 après que l'un ait reçu des menaces et que l'appartement de l'autre ait fait l'objet d'un attentat.

Au-delà des menaces ou agressions répertoriées, il existe en outre en Corse un climat de tension permanent souvent difficilement supportable pour les personnels, notamment les personnels originaires du continent. Ainsi un haut fonctionnaire, à qui la commission demandait s'il avait reçu des menaces directes, a répondu par la négative tout en indiquant que, bien que grand amateur de jogging, il avait renoncé pour des raisons de sécurité, à courir à l'issue de sa journée de travail.

Les compagnies républicaines de sécurité n'enregistrent pas de menaces ou outrages à agents en nombre plus important que sur le continent mais il arrive qu'ils fassent l'objet de propos du type « ici les CRS, vous n'avez pas le droit de faire des contrôles, car vous n'êtes pas en France !».

La tension résulte également de la charge de travail des services dans une île ou les attentats et les actes violents se multiplient.

4. Une faible mobilisation de certains personnels de police

Certains personnels de police apparaissent démobilisés. Le signe le plus évident de cette démobilisation est le fort taux d'absentéisme. Le « turn-over » trop important des chefs de service, y compris des préfets, allié à l'immobilisme de certains personnels, n'est pas un gage d'efficacité des services. Le dispositif indemnitaire, enfin, n'est pas particulièrement incitatif.

a) Un absentéisme entré dans les usages

L'absentéisme médical est un fléau qui sévit de longue date dans certains services de police corse. Malgré une mobilisation de tous les chefs de service contre ce phénomène, il s'est élevé, tous services confondus sur les cinq premiers mois de l'année 1999, à 11,65 %. En comparaison, l'absentéisme dans la gendarmerie ne dépasse pas les 2 à 3 %.

Le problème est particulièrement crucial dans les directions de la sécurité publique et de la police de l'air et des frontières. Sur le premier semestre 1999, la direction départementale de la sécurité publique de Corse-du-Sud a ainsi enregistré un taux d'absentéisme de 13,45 % et celle de la police et des frontières de Haute-Corse un taux de 22,68 %. Concernant cette dernière direction, ce phénomène touche particulièrement les effectifs qui ont été affectés à la police des frontières à la suite de la fermeture en 1997 du commissariat de Corte...

L'absentéisme en Corse est souvent le mode de résolution des conflits avec la hiérarchie ou le moyen de protester contre un changement d'affectation non désiré.

Les congés de longue durée, souvent pour motif psychologique ou psychiatrique, se multiplient.

L'exemple évoqué devant la commission du fonctionnaire en congé de longue durée prenant le départ en mars 1998 d'une course de 10 km ou celui de cet autre, ayant demandé sa mutation pour la Nouvelle-Calédonie, laisse penser que nombre de ces cas lourds présentent un caractère fictif.

Le préfet adjoint à la sécurité en liaison avec la direction centrale de la police nationale tente d'enrayer ce phénomène en exigeant des transmissions administratives rapides des congés de maladie et des contrôles systématiques par des médecins venant du continent lors de consultations foraines, notamment en psychiatrie.

Son action se heurte cependant à des oppositions. Le médecin du SGAP de Marseille, arguant du secret médical, a refusé qu'il soit procédé à l'examen des cas lourds à Paris. S'il a été possible de nommer de nouveaux médecins contrôleurs, il ne l'a pas été de se défaire des anciens, car tous les médecins corses appartiendraient au syndicat des médecins de la police nationale créé par le médecin du SGAP de Marseille. Il a enfin été avancé que le résultat d'expertises obtenues en dehors du comité médical de Marseille serait sans effet statutaire.

b) Un turn-over important de l'encadrement

A l'image des préfets, les responsables des services de police en Corse restent rarement deux ans en poste.

En dix ans, la Corse a vu « défiler » huit préfets de région et treize préfets adjoints à la sécurité. Elle a également connu sept directeurs du service régional de la police judiciaire :

Jacques GUIDA

15-02-1988

Jean-Pierre DULLIER

11-03-1991

Jean ESPITALIER

13-06-1991

Mireille BALLESTRAZZI

15-09-1993

Marc PASOTTI

19-02-1996

Démétrius DRAGACCI

08-07-1996

Frédéric VEAUX

27-04-1998

Se sont également succédés en Corse dans les dix dernières années :

- 7 directeurs départementaux de la sécurité publique de Haute-Corse et 5 directeurs départementaux de la Corse-du-Sud ;

- 6 responsables de la police de l'air et des frontières ;

- 5 chefs de la délégation de CRS ;

- 4 directeurs régionaux et 6 directeurs départementaux des renseignements généraux.

Cette situation présente l'inconvénient de ne pas assurer une continuité suffisante de l'action de l'Etat. Un juge d'instruction parisien s'est montré très critique à l'égard de ce phénomène. Il a observé que, pendant la première année, ces responsables devaient se mettre au courant de la situation corse et que, dans la deuxième année, il décomptaient les mois leur restant à effectuer en prenant un minimum d'initiatives dans l'espoir de ne pas « se ramasser la patate chaude ».

Compte tenu de la pression subie par les personnels travaillant en Corse, il semble difficile de laisser les responsables en place trop longtemps. Votre commission estime cependant souhaitable de porter à trois ans leur durée d'affectation.

c) Un immobilisme et une moyenne d'âge élevée des personnels d'exécution

A l'opposé des responsables de service, les personnels d'exécution restent en place plus longtemps que sur le continent. La durée moyenne d'affectation des personnels du corps de maîtrise et d'application est de plus de 11 ans.

Cette stabilité s'explique par le fait que, une fois affectés en Corse, les personnels, souvent d'origine insulaire, y terminent en général leur carrière.

La moyenne d'âge des fonctionnaires du corps de maîtrise et d'application de la police nationale est ainsi de 42 ans et 5  mois contre 38 ans et 11 mois dans l'ensemble de la France. A l'opposé, les personnels d'encadrement sont, en Corse, plus jeunes que la moyenne nationale.

MOYENNE D'ÂGE DES POLICIERS

Maîtrise
et application

Commandement et encadrement

Conception
et direction

Corse

42 ans et 5 mois

41 ans et 10 mois

41 ans et 3 mois

PACA

41 ans et 9 mois

44 ans et 1 mois

45 ans et 6 mois

Ile-de-France

34 ans et 5 mois

40 ans et 2 mois

43 ans et 6 mois

France

38 ans et 11 mois

42 ans et 2 mois

44 ans et 10 mois

A la veille de leur départ en retraite, certains personnels apparaissent peu motivés.

La moyenne d'âge élevée des fonctionnaires rend en Corse beaucoup plus crucial qu'ailleurs, le problème des départs à la retraite. Ces départs doivent intervenir massivement dans les trois prochaines années, d'autant plus que la récupération de très nombreuses heures supplémentaires conduit les personnels à partir de manière anticipée sans qu'un remplacement ne soit opéré.

d) L'absence de véritable incitation financière

La pression qui s'exerce sur les personnels en Corse explique sans doute en grande partie que les candidatures fassent défaut à l'heure actuelle dans beaucoup de services de sécurité en Corse. C'est notamment le cas à la sécurité publique ou aux renseignements généraux. Cette situation ne manque pas d'être inquiétante, à un moment où, encore plus que sur le continent, de nombreux agents sont sur le point de partir à la retraite.

Sur le plan indemnitaire, l'ensemble des personnels de police perçoit une indemnité compensatoire pour frais de transport d'un montant annuel de 6 073 F pour un agent seul (6 805 F pour un agent marié avec une majoration de 523 F par enfant à charge). Les personnels du corps de maîtrise et d'application touchent de plus une indemnité pour service continu et poste difficile supérieure de 600 F annuels à celle accordée dans certains SGAP, mais inférieure à celle attribuée dans le SGAP de Versailles par exemple. La Corse n'étant pas classée en zone sensible, les fonctionnaires ne peuvent bénéficier des primes afférentes à l'exercice des fonctions dans ces zones.

Alors que les gendarmes bénéficient de mesures favorables dans le cadre de la « campagne », le dispositif indemnitaire n'est pas très favorable aux policiers affectés en Corse. Les policiers d'origine continentale qui n'ont pas d'attache particulière en Corse sont d'autant moins incités à poser leur candidature pour la Corse.

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