II. L'ACCORD DE COMMERCE, DE DÉVELOPPEMENT ET DE COOPÉRATION ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET L'AFRIQUE DU SUD
A. LE FRUIT DE LONGUES NÉGOCIATIONS
Cet
accord a nécessité
vingt-cinq cycles de négociations
et
près de quatre années de discussions
.
Plusieurs raisons expliquent cette durée extrêmement longue
: tout d'abord,
le contenu de l'accord couvre l'ensemble des relations
commerciales
et porte sur 10.000 références. En outre,
un volet développement a été inclus
. Par ailleurs,
si la quasi-totalité des marchés industriels européens
pouvait être libéralisée rapidement, pour les produits
sud-africains,
la République d'Afrique du Sud souhaitait surtout des
ouvertures dans le domaine agricole
.
Cette négociation d'un accord de libre échange touchant le
domaine agricole -et ce pour la première fois dans l'histoire de
l'Union-, ne pouvait pas ne pas soulever de difficultés.
Les participants au sommet de Vienne, en décembre 1998, ont
appelé de leurs voeux la conclusion d'un accord avant la fin du mois de
mars 1999
afin d'éviter que les négociations ne se retrouvent
prises dans la campagne pour les élections générales de
juin 1999 en Afrique du Sud.
L'accord paraphé le 29 janvier à Davos entre l'Union
européenne et l'Afrique du Sud
a suscité, dès le mois
de février,
les plus vives réserves
de la part de
l'Espagne, du Portugal, de la France et de l'Italie.
Ces pays ont concentré leurs reproches, notamment, sur
l'étiquetage des vins
-les dispositions de l'accord étant
trop vagues pour les appellations Porto et Xerès et trop
" généreuses " pour l'accès en franchise du vin
sud-africain sur les marchés européens-,
sur le secteur de la
pêche maritime et sur les fruits en boîte.
B. LE CONTENU DE L'ACCORD DU 24 MARS 1999
1. L'Accord général
En
marge des négociations de Berlin, un accord de commerce et de
coopération a été signé entre l'Union
européenne et l'Afrique du Sud
. Qualifié
" d'historique " par les Quinze -puisqu'il s'agit du premier accord
de libre échange conclu par l'Union européenne- cet accord, en
conformité avec les dispositions de l'OMC, doit renforcer les liens
entre les deux parties.
Cet
accord politique
prévoit
quatre mesures :
- l'établissement progressif d'une zone de libre échange
entre les deux partenaires ;
- le renforcement de l'aide au développement fournie par l'Union
européenne à l'Afrique du Sud ;
- l'intensification de la coopération dans les domaines
économique et social ;
- l'instauration d'un dialogue permanent structuré portant sur des
sujets d'intérêt commun.
•
Le volet commercial a été la partie la plus
délicate des négociations. L'Union européenne a exclu de
l'accord une liste de 300 produits
-parmi lesquels les fruits et jus,
les confitures, le bétail, les bovins, le lait, la crème, le
maïs doux, le gluten de blé, les tomates, le riz et le sucre non
raffiné- et a obtenu qu'une quarantaine d'autres fassent l'objet de
contingents d'importation.
L'Afrique du Sud, de son côté, a
maintenu la protection pour un grand nombre de produits
" sensibles ".
En dépit de ces exemptions, l'accord couvrira, à terme,
environ 90 % des échanges commerciaux entre les deux parties (d'une
valeur de 17 milliards d'euros en 1996),
ce qui représente le
seuil que fixe l'OMC pour pouvoir qualifier cet arrangement d'accord de libre
échange.
Cette libéralisation est néanmoins plus marquée du
côté de l'Union européenne,
compte tenu du poids
économique de cette dernière : ainsi, dans dix ans,
95 % du commerce avec l'Union européenne (d'une valeur d'environ
74 milliards d'euros) sera totalement libéralisé pour les
produits sud-africains, contre 72 % actuellement. En ce qui concerne la
République sud-africaine, une libéralisation totale de 86 %
des importations (d'une valeur de 72 milliards d'euros) originaires de l'Union
européenne sera mise en place dans un délai de douze ans, contre
60 % aujourd'hui.
Sur le plan agricole, 75 % des exportations sud-africaines vers l'Union
européenne sont concernés.
•
L'accord pérennise
, en outre,
l'aide de l'Union
à la République sud-africaine,
puisque le " programme
européen pour la reconstruction et le développement de l'Afrique
du Sud " constitue l'aide la plus importante reçue par ce pays. Ce
programme est axé sur le soutien des secteurs sociaux, la santé,
l'éducation et la lutte contre la pauvreté. Le programme en
cours, 1997-1999, est centré sur l'amélioration des services de
base (éducation et santé), le renforcement de l'administration et
des institutions (Parlements, syndicats), la poursuite de la
démocratisation, le développement du secteur privé et
l'intégration régionale.
• L'aide de l'Union européenne prévue dans l'accord du
24 mars s'élève à 127,5 millions d'euros par ans
,
auxquels s'ajoutent des prêts de la Banque européenne
d'investissement, dont le montant annuel se chiffre à 150 millions
d'euros.
• Par ailleurs,
un accord scientifique et technologique signé
en 1996 et une adhésion partielle à la Convention de Lomé
(conclue en avril 1997) doivent compléter cet accord
général.
2. Les secteurs des vins et de la pêche maritime
Outre le
secteur des fruits (agrumes, jus et produits dérivés) pour
lesquels l'Union européenne a souhaité la mise en place de quotas
majorés,
deux points ont focalisé l'attention des
négociateurs
:
Il s'agit, en premier lieu
, de la pêche maritime
: ce sujet
s'est très vite avéré conflictuel, le Gouvernement de
Prétoria redoutant " l'invasion " des pêcheurs espagnols
dans les zones de pêche sud-africaines, mettant ainsi en péril les
ressources halieutiques de la RAS.
La Commission s'est engagée à assurer la protection et le
développement des activités de pêches locales en Afrique du
Sud.
Rappelons que les produits de la pêche constituent à peine
0,1 % des exportations de l'Union européenne vers l'Afrique du Sud
et 1,3 % de ses importations.
Finalement, en mars dernier, les négociateurs ont
entériné le principe selon lequel un accord sur la pêche
devrait être conclu avant la fin 2000.
La question est restée posée de savoir si cet accord devait
être une clause suspensive de l'accord global.
Entre-temps, l'Union européenne a décidé de ne pas
appliquer de concessions tarifaires pour les produits de la pêche en
provenance d'Afrique du Sud. Celle-ci devrait supprimer ses tarifs douaniers
sur ses produits, au fur et à mesure que l'Union européenne
éliminera les siens sur les positions tarifaires correspondantes.
Le secteur des vins et spiritueux a constitué un point de blocage
dans les négociations entre les nouveaux partenaires
. La Commission
européenne voulait supprimer l'usage des appellations sud-africaines
" Porto " et " Sherry " pour décrire des vins
simplement cuits. Ces appellations ne s'appliquent, en effet, qu'aux produits
portugais et espagnols ; leurs importations auraient ainsi nui à la
réputation des appellations européennes.
Þ
En vertu du compromis dégagé au début de
cette année, l'Afrique du Sud doit supprimer progressivement
l'utilisation des dénominations Porto et Sherry dans les
exportations
vers les pays tiers entre cinq et huit ans : la
période de transition est étendue à douze ans en ce qui
concerne le marché sud-africain et régional. A l'issue de ce
moratoire, une nouvelle dénomination, mutuellement approuvée,
doit être utilisée.
En échange,
l'Union européenne a autorisé la libre
entrée de 32 millions de litres de vin ordinaire, à droit
zéro
, ce contingent étant actuellement importé et
taxé à 10 % par l'Union européenne.
Il a été pris acte, au début de l'année, que ce
compromis devait déboucher sur un accord, au plus tard au mois de
septembre 1999, afin que ce dernier entre en vigueur au 1
er
janvier
2000.
Þ Par ailleurs,
l'Union européenne s'est engagé
à accorder aide de 15 millions d'euros
pour appuyer
une
restructuration du secteur sud-africain des vins et spiritueux et pour aider le
secteur de la commercialisation et de la vente au détail.
C. LE SUIVI D'UN PROCESSUS COMPLEXE
L'aval donné par le Conseil européen de Berlin des 24 et 25 mars 1999 à l'accord général de commerce et de coopération avec l'Afrique du Sud n'a constitué qu'un accord politique . Restait à en rédiger la version finale.
1. Le texte E °1264 du 8 juin 1999
La
Commission a préconisé
, dans un premier temps, que
cet
accord soit de la compétence communautaire exclusive
, afin d'en
accélérer les procédures d'adoption. Comme le souligne le
Président Hubert Haenel, "
après signature entre le
Conseil et les autorités sud-africaines, et après approbation du
Parlement européen, l'accord aurait pu entrer en vigueur et la
coopération se mettre aussitôt en place. Il aurait alors fait
partie de l'acquis communautaire et n'aurait pas été susceptible
de négociations distinctes avec les futurs membres de l'Union
européenne
".
Ainsi,
le Sénat a été saisi le 8 juin 1999
de deux
propositions de décision du Conseil et de la Commission concernant la
conclusion et la signature de l'accord de libre échange sur la base
d'une compétence exclusive de la Communauté (n °E
1264).
2. Le texte E °1282 du 23 juillet 1999
Néanmoins,
en juillet 1999, la grande partie des
Etats-membres a souhaité faire prévaloir la solution de
" l'accord mixte ", engageant à la fois la Communauté
et chacun des Etats-membres
.
A la suite de cette décision, la Commission a présenté, le
8 juillet,
une proposition de décision d'application provisoire
des dispositions commerciales de l'accord
-de nature communautaire-. Compte
tenu du symbole que constitue l'échéance du 1
er
janvier 2000 pour l'entrée en vigueur de l'accord, -la ratification par
chacun des Etats-membres exigeant un délai assez long-,
la
proposition de la Commission a été soumise à la
Délégation du Sénat pour qu'elle se prononce en urgence
sur ce texte n° E 1282, inscrit à l'ordre du jour du Conseil
des Affaires générales du 29 juillet
.
Le Président de la délégation a procédé
lui-même à l'examen de ce texte, conformément à la
procédure prévue en de tels cas.
Sur la forme, le Président de la Délégation, dans sa
décision, "
a regretté que la Délégation du
Sénat ne dispose pas du temps nécessaire pour un examen
détaillé lui permettant d'apprécier, de manière
précise, l'impact sectoriel de multiples dispositions de cet accord que
le commissaire responsable qualifiait lui-même d'accord extrêmement
complexe
".
Rappelant que cet accord provisoire ne devrait entrer en application
qu'à compter du 1
er
janvier 2000, il s'est, en outre,
"
étonné du délai extrêmement restreint
entre le dépôt de cette nouvelle proposition et son adoption par
le Conseil et s'est interrogé sur les raisons qui amènent
à ne pas respecter le délai de six semaines inscrit dans le
protocole sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union
européenne, annexé au traité d'Amsterdam
".
"
Sur le fond, le Président de la délégation s'est
inquiété de constater que les accords séparés
relatifs, d'une part, aux vins et spiritueux et, d'autre part, à la
pêche, aient été renvoyés à une date
ultérieure alors que le mandat de négociation prévoyait
qu'ils devaient être négociés et conclus en même
temps que l'accord général. En tout état de cause, il ne
lui a pas paru acceptable que les dispositions de l'accord
général relatives aux vins (notamment le contingent tarifaire
à droit zéro de 32 millions de litres ouvert au vin
sud-africain et l'assistance financière communautaire de
15 millions d'euros)
puissent entrer en vigueur tant que l'accord
spécifique sur les vins et spiritueux ne sera pas conclu. Il doit en
aller de même pour les dispositions relatives à la pêche qui
doivent être subordonnées à la conclusion de l'accord
indépendant sur la pêche
".
Le Président de la Délégation a conclu que
"
compte tenu de toutes ces réserves, il n'a pu que laisser
le Gouvernement apprécier s'il convenait d'accepter que l'adoption de ce
texte soit inscrite à l'ordre du jour du Conseil le 29 juillet
prochain et, en ce cas, la position qu'il conviendra alors d'adopter, au vu des
dernières négociations sur l'application de cet
accord
".
Durant l'été, et comme le souligne la Délégation de
l'Assemblée nationale, la République d'Afrique du Sud a peu
à peu remis en cause le compromis de Berlin sur le " Porto "
et le " Sherry ". La RAS estime, en effet, que son champ
d'application ne porte que sur l'origine géographique et non sur les
marques. En conséquence, elle n'entend pas prendre les mesures
nécessaires pour éliminer maintenant ou après la
période de transition les noms Porto et Sherry de la cinquantaine de
marques qui les utilisent déjà, aussi bien pour le marché
local que pour l'exportation.
Le non-respect par l'Afrique du Sud de ses engagements dans ce domaine devrait
entraîner une suspension des concessions faites par l'Union
européenne sur le vin sud-africain lors de l'application provisoire de
l'accord de commerce et de coopération. La Commission européenne
a d'ailleurs adopté cette position.
C'est dans ce contexte que votre commission est appelée à
examiner le texte n °E 1303 déposé le 21 septembre
dernier.