Proposition de résolution déterminant les bases juridiques pour l'acquis de Schengen

COURTOIS (Jean-Patrick)

RAPPORT 290 (98-99) - commission des lois

Table des matières




N° 290

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 mars 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Paul MASSON sur le projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques pour l'acquis de Schengen qui a été révisé à la suite de la réunion du groupe " Acquis de Schengen " des 14 et 15 mai (E  1219),

Par M. Jean-Patrick COURTOIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro :

Sénat
: 263 (1998-1999).


Union européenne.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 31 mars 1999, sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Jean-Patrick Courtois, la proposition de résolution de M. Paul Masson sur le projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques pour l'acquis de Schengen (texte E 1219).

Elle a constaté en préalable qu'était utilisée pour la première fois la nouvelle possibilité ouverte à l'Assemblée nationale et au Sénat par la loi constitutionnelle n° 99-49 du 25 janvier 1999 d'adopter des résolutions sur des projets ou propositions d'acte ne relevant pas du pilier communautaire de l'Union européenne.

Elle a ensuite adopté une proposition de résolution qui invite le Gouvernement :

- à s'opposer, en l'état, au transfert dans le domaine communautaire de l'ensemble des dispositions de la convention d'application des accords de Schengen régissant le système d'information Schengen (SIS) ;

- à veiller à ce qu'un éventuel transfert dans le domaine communautaire de la clause de sauvegarde prévue à l'article 2 paragraphe 2 de la convention d'application des accords de Schengen du 19 juin 1990 n'aboutisse pas à une remise en cause du principe de la responsabilité exclusive des Etats dans la mise en oeuvre de cette clause.

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des Lois est saisie d'une proposition de résolution de M. Paul Masson, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement du Sénat, sur le projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques pour l'acquis de Schengen.

Ce projet de décision du Conseil de l'Union européenne a été transmis par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et au Sénat, le 24 février 1999.

Il est donc le premier projet d'acte de l'Union européenne transmis au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle n° 99-49 du 25 janvier 1999 . La rédaction antérieure de l'article 88-4 de la Constitution avait en effet été interprétée comme n'imposant pas la transmission au Parlement par le Gouvernement des propositions d'acte relevant du domaine de la justice et des affaires intérieures régi par le titre VI du traité sur l'Union européenne (3 ème pilier). En conséquence le Parlement ne pouvait adopter des résolutions sur ces matières.

La présente proposition est donc la première à intervenir au Parlement dans un domaine qui ne relève pas du pilier communautaire (premier pilier) de l'Union .

Elle souligne deux problèmes liés à l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne : celui de la gestion future du système d'information Schengen (SIS) et celui de l'avenir de la clause de sauvegarde prévue à l'article 2  § 2 de la convention d'application des accords de Schengen signée le 19 juin 1990.

Après avoir rappelé le contexte de l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, votre rapporteur examinera successivement les deux points soulevés par la proposition de résolution.

I. LE TRANSFERT DE L'ACQUIS DE SCHENGEN DANS LE CADRE DE L'UNION EUROPÉENNE

Le 14 juin 1985, la France, l'Allemagne et les Pays du Bénélux décidaient à Schengen (Luxembourg) de supprimer progressivement les contrôles effectués au passage de leurs frontières communes. La convention d'application de cet accord, signée le 14 juin 1990, prévoit diverses mesures visant à compenser la perte de sécurité due à la suppression de ces contrôles, s'analysant principalement comme des mesures de coopération policière entre les Etats membres.

Aux cinq pays fondateurs se sont joints successivement, entre 1990 et 1996, l'ensemble des membres de l'Union européenne, à l'exception de la Grande-Bretagne et de l'Irlande.

Dans le cadre du traité de Maastricht signé le 7 février 1992, l'Union européenne est également appelée à mener une politique communautaire de libre circulation à l'intérieur des frontières de l'Union et à intervenir dans un cadre intergouvernemental dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Des risques de chevauchements des compétences sont ainsi apparus générant de véritables incohérences juridiques.

M. Paul Masson, dans son rapport sur la convention d'application de l'accord de Schengen remis au Premier ministre en janvier 1996, constatait, à titre d'exemple, que la liste des pays tiers soumis à l'obligation de visa était différente dans le cadre de l'Union européenne et dans celui de l'accord de Schengen. En conséquence, il préconisait, à fin de simplification, l'intégration de Schengen dans la partie intergouvernementale de l'Union européenne. Selon des modalités différentes, le traité d'Amsterdam prévoit cette intégration.

A. LE PROTOCOLE ANNEXÉ AU TRAITÉ D'AMSTERDAM

Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, comporte un protocole annexé prévoyant l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne.

L'acquis de Schengen est constitué par les dispositions encore en vigueur de la convention du 14 juin 1985, de la convention d'application du 19 juin 1990, des accords d'adhésion signés entre 1990 et 1996 et des décisions et déclarations du comité exécutif.

Le transfert de cet acquis est réalisé par la détermination pour chaque disposition d'une base juridique appartenant soit à la partie communautaire (premier pilier) , soit à la partie intergouvernementale (3 ème pilier) du traité sur l'Union européenne.

La base juridique applicable pour chacune des dispositions constituant l'acquis de Schengen est déterminée par le Conseil statuant à l'unanimité . Tant que le Conseil n'a pas déterminé leur base juridique, les dispositions sont considérées comme des actes fondés sur le titre VI du traité (3 ème pilier), donc relevant du domaine intergouvernemental .

Ce protocole d'intégration entrera en vigueur en même temps que le traité d'Amsterdam. A cette date, le Conseil de l'Union européenne se substituera au Comité exécutif de Schengen.

Or, le traité d'Amsterdam doit entrer en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt du dernier instrument de ratification. Il s'agira donc vraisemblablement du 1 er mai prochain, la loi n° 99-229 du 23 mars 1999 ayant autorisé la France, dernier pays à ne pas l'avoir fait, à ratifier le traité. L'intégration de Schengen dans l'Union européenne est donc imminente. La décision reviendra au Conseil Affaires générales et non au Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) du fait que les traités européens sont concernés. La Grande-Bretagne et l'Irlande y participeront.

Le développement de l'acquis de Schengen pourra prendre la forme d'une coopération renforcée au sein de l'Union. Le Royaume-Uni et l'Irlande qui n'ont pas adhéré à Schengen pourront être autorisés à participer à tout ou partie de l'acquis de Schengen. Un accord sera conclu avec la Norvège et l'Islande qui, du fait de leur participation à l'Union nordique des passeports, étaient associés à Schengen. Tous les futurs candidats à l'Union européenne devront accepter intégralement l'acquis de Schengen.

Un groupe de travail " acquis de Schengen " a été créé dès le mois d'octobre 1997 auprès du Conseil afin de :

- déterminer l'acquis de Schengen encore en vigueur ;

- ventiler cet acquis entre le premier et le troisième pilier en déterminant pour chaque disposition le ou les articles des traités sur lesquels elle sera considérée comme étant fondée ;

- déterminer l'acquis auquel le Royaume-Uni et l'Irlande souhaitent participer.

Ont également été créés un groupe chargé de réfléchir sur le statut de la Norvège et de l'Islande et un autre groupe chargé d'incorporer le secrétariat de Schengen dans le secrétariat général du Conseil.

Les travaux de détermination et de ventilation de l'acquis ont progressé plus lentement que prévu, chacun étant conscient de l'enjeu important de ces opérations sur l'avenir de cet acquis.

Le document E1219, transmis au Parlement le 24 février 1999, retrace l'état des négociations à la date du 14 juillet 1998. Il existe cependant, en date du 21 décembre 1998, un document plus récent mais ne comportant pas de modification sur les points évoqués par la résolution de M. Paul Masson.

L'accord semble avoir été trouvé sur de nombreuses dispositions, même si subsistent encore plusieurs réserves, principalement de la part de l'Espagne. L'intégration du système d'information Schengen (SIS), en revanche, ne fait l'objet d'aucune proposition de ventilation dans le document transmis, plusieurs options demeurant encore à l'étude.

Un nouveau document sera élaboré à la suite de la réunion du 31 mars du groupe " Acquis de Schengen ". Le Conseil Affaires générales devrait se réunir fin avril et, selon une proposition de la présidence allemande, pourrait prendre acte des accords intervenus, les dispositions sur lesquelles subsistent des divergences restant par défaut dans le troisième pilier. Les négociations sur ces dispositions pourraient se poursuivre après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam.

B. LES CONSÉQUENCES DU TRANSFERT ET DE LA VENTILATION ENTRE LE PREMIER ET LE TROISIÈME PILIER

Dans un premier temps , l'intégration dans l'Union européenne des dispositions de Schengen et leur ventilation dans le premier ou le troisième pilier n'aura pas de conséquences directes , le contenu même des dispositions n'étant pas affecté par ces opérations.

En revanche, les règles applicables pour la modification de ces dispositions varieront en fonction des bases juridiques retenues. Par ailleurs, le seul fait de l'intégration conduit à soumettre l'acquis de Schengen au contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes.

1. Les conséquences de la ventilation sur la prise de décision

Dans le cadre de Schengen, les décisions étaient prises à l'unanimité par le comité exécutif composé de ministres des Etats membres (affaires étrangères, intérieur ou justice selon les pays) 1( * ) .

a) Procédure applicable dans le troisième pilier

Les dispositions rattachées au troisième pilier le seront sur des articles du titre VI du traité sur l'Union européenne relatif à la coopération policière et judiciaire en matière pénale . D'après le document qui a été transmis au Parlement, il s'agira principalement des articles 30 2( * ) (domaine de la coopération policière), 31 (domaine de la coopération judiciaire en matière pénale), 32 (possibilité d'intervention sur le territoire d'un autre Etat) et 34 (coordination des actions et prise de décisions).

Les décisions en ces matières seront prises à l'unanimité à l'initiative de tout Etat membre ou de la Commission . Le Parlement européen sera consulté sur les décisions cadres, les décisions et les conventions prévues à l'article 34 .

b) Procédure applicable dans le premier pilier

Les dispositions de Schengen rattachées au premier pilier le seront pour la presque totalité, d'après le document qui a été transmis au Parlement, à des articles du nouveau titre IV du traité instituant la Communauté européenne créé par le traité d'Amsterdam et relatif aux visas à l'asile à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre circulation des personnes . Il s'agira principalement de l'article 62 2 du traité relatif à la liberté de circulation entre les Etats membres (paragraphe 1), aux règles de franchissement des frontières extérieures (paragraphe 2) et aux conditions de circulation des ressortissants des pays tiers pour des durées limitées (paragraphe 3). Sont également concernés les articles 63 relatif à l'asile, aux politiques d'immigration et de séjour des étrangers et 66 relatif à la coopération entre et avec les administrations des Etats membres.

Les décisions sont prises en ces matières en application de l'article 67 du traité sur la Communauté européenne selon une procédure dérogatoire au droit communautaire :

- pendant une période de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le Conseil statue à l'unanimité , après consultation du Parlement européen, la Commission partageant l'initiative des propositions avec les Etats membres ;

- à l'issue de cette période de cinq ans, la Commission acquiert le monopole de l'initiative. Le Conseil peut, à l'unanimité , décider de passer , dans tout ou partie des matières concernées, à une procédure impliquant la prise de décision à la majorité qualifiée et la codécision avec le Parlement européen.

Certaines matières déjà communautarisées par le traité de Maastricht (liste des pays tiers soumis à l'obligation de visa et modèle type de visas) sont soumises à la procédure de codécision dès l'entrée en vigueur du traité et d'autres matières (procédures et conditions de délivrance des visas et règles en matières de visas uniformes) le sont automatiquement à l'issue du délai de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité.

Durant les cinq premières années , le rattachement au titre IV du traité sur la Communauté européenne (premier pilier) ou au titre VI du traité sur l'Union européenne (troisième pilier) n'aura donc pas d'incidence sur la procédure de décision , sauf pour les dispositions concernant les visas.

Il en irait différemment pour les rares dispositions qui seraient rattachées à des articles du traité sur la Communauté européenne non inclus dans le titre IV ( articles 95 ou 286 relatifs à la santé publique et à la protection des données à caractère personnel). Celles-ci seraient soumises dès le départ au processus de décision communautaire de droit commun.

2. La soumission au contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes

L'intégration de l'acquis de Schengen dans l'Union européenne entraîne sa soumission au contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes, que les dispositions soient intégrées dans le premier ou le troisième pilier . Ce contrôle est néanmoins plus étendu dans le cadre du premier pilier .

a) L'étendue du contrôle juridictionnel

Le troisième alinéa de l'article 2 du protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, énonce que " la Cour de justice des Communautés européennes exerce les compétences qui lui sont conférées par les dispositions pertinentes applicables des traités ".

S'agissant des dispositions de l'acquis de Schengen qui seront transférées dans le titre IV du traité instituant la Communauté européenne, elles seront soumises au contrôle juridictionnel de droit commun organisé par le traité sous réserve de deux aménagements prévus par l'article 68 : d'une part, les recours préjudiciels (interprétation du titre IV, validité ou interprétation des actes communautaires pris sur la base de ce titre) sont réservés aux seules juridictions nationales de dernier ressort et présentent un caractère facultatif pour ces juridictions ; d'autre part, le Conseil, la Commission ou un Etat membre peut demander à la Cour de justice de statuer sur une question d'interprétation du titre IV ou sur une mesure communautaire prise sur le fondement de ce titre, sans que l'avis rendu ne soit applicable aux décisions des juridictions nationales ayant force de chose jugée.

S'agissant des dispositions transférées dans le troisième pilier , l'article 35 du traité sur l'Union européenne prévoit que la Cour de justice est compétente pour :

- vérifier la légalité des décisions-cadres et des décisions quand un recours en annulation est formé par un Etat membre ou par la Commission dans un délai de deux mois à compter de la publication de l'acte ;

- statuer sur le règlement des différends entre les Etats membres concernant l'interprétation ou l'application des décisions-cadres, des décisions et des conventions, fondées sur l'article 34, ou entre les Etats membres et la Commission concernant l'interprétation ou l'application desdites conventions ;

- sous réserve d'une déclaration effectuée par les Etats membres, pour statuer à titre préjudiciel sur renvoi des juridictions nationales effectué dans les conditions définies par la déclaration, sur la validité et l'interprétation des décisions-cadres et des décisions, sur l'interprétation des conventions, ainsi que sur l'interprétation et la validité de leurs mesures d'application. La France n'a pas encore effectué de déclaration, la décision étant en cours d'arbitrage par le Premier ministre concernant l'étendue de la faculté de recours préjudiciel qui serait ouverte aux juridictions nationales (caractère facultatif ou obligatoire, degré des juridictions autorisées à effectuer un tel recours).

b) Les limitations en matière d'ordre public et de sécurité intérieure des États membres

Que ce soit dans le premier ou le troisième pilier, l'intervention de la Cour est cependant limitée dans les matières mettant en jeu l'ordre public et la sécurité intérieure des Etats membres .

Le troisième alinéa de l'article 2 du protocole intégrant l'acquis de Schengen précise que " la Cour de justice n'est pas compétente pour statuer sur les mesures ou décisions portant sur le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ".

L'article 68 paragraphe 2 du traité communautaire prévoit que la Cour n'est pas compétente pour statuer sur les mesures ou décisions, prises en application du principe de la libre circulation défini au paragraphe 1 de l'article 62, portant sur le " maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ".

L'article 35, paragraphe 5 du traité sur l'Union européenne énonce que " la Cour de justice n'est pas compétente pour vérifier la validité ou la proportionnalité d'opérations menées par la police ou d'autres services répressifs dans un Etat membre, ni pour statuer sur l'exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure " .

Il semble néanmoins que ces clauses n'empêcheraient pas la Cour d'intervenir pour vérifier que l'ordre public et la sécurité intérieure sont en cause. Dans le cadre du premier pilier, il n'est pas totalement exclu que la Cour puisse aller jusqu'à contrôler la proportionnalité des moyens mis en oeuvre avec la menace avancée.

Par ailleurs, il apparaît que la Cour de justice, en tant que gardienne des traités, pourrait se déclarer compétente pour exercer un contrôle sur la validité même de la ventilation de l'acquis de Schengen opérée par le Conseil .

II. LE SYSTÈME D'INFORMATION SCHENGEN (SIS)

A. UN SYSTÈME INTERGOUVERNEMENTAL QUI A FAIT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ

Le système d'information Schengen est l'élément clé de la coopération instituée entre les Etats membres par la convention d'application des accords de Schengen (articles 92 à 119). Il vise à la mise en commun, sous forme de base informatisée, de données policières relatives à des personnes recherchées et à des véhicules ou objets (armes à feu, documents d'identité, billets de banque).

Il comporte un système central situé à Strasbourg dont la France assure la gestion pour l'ensemble de ses partenaires (C.SIS) et, dans chaque pays, une partie nationale (N.SIS) assurant la consultation de la copie nationale du fichier Schengen ainsi qu'une unité de support (SIRENE) répondant aux besoins d'informations complémentaires pour mener une procédure.

Après un début difficile, la base, devenue opérationnelle en 1995, est désormais alimentée par les dix pays participant à l'accord. Elle fonctionne de manière satisfaisante et a démontré qu'elle était un outil performant à l'usage des services de police , de gendarmerie et de douanes ainsi que des services chargés de la délivrance des visas. Elle comprend près de 8 millions de références, la France, l'Allemagne et l'Italie en ayant chacune intégré plus de 2 millions. En 1997, la France a découvert sur son territoire 9.029 signalements intégrés au SIS par nos partenaires, tandis que 3.143 signalements français étaient découverts par eux.

Le SIS est actuellement géré par trois groupes de travail : le comité d'orientation SIS, compétent pour les questions juridiques, financières et techniques liées au fonctionnement du SIS ; le groupe SIRENE composé des directeurs de bureaux nationaux dont l'activité est tournée vers la coopération policière sous l'angle opérationnel et le groupe de travail permanent, composé d'experts techniques, centré principalement sur les questions d'exploitation.

A court terme, le SIS doit subir d'importantes adaptations pour assurer le passage du système à l'an 2 000 et intégrer les cinq états nordiques. A l'échéance de 2005, est envisagé le passage à une nouvelle génération du système (SIS II). Notre collègue M. Alex Türk, membre de l'autorité de contrôle de Schengen, a indiqué à la commission des lois qu'il faudrait attendre la mise en oeuvre de ce nouveau système pour régler les problèmes rencontrés actuellement par les " alias ", personnes fichées à tort du fait de l'utilisation frauduleuse de leur nom, et exposées à être arrêtées à tout moment lors du passage d'une frontière.

Pour préserver un fonctionnement régulier du SIS , compte tenu des adaptations envisagées, le groupe " acquis de Schengen " s'est prononcé sur la reprise, auprès du Conseil, des groupes de travail existants plutôt que d'accepter la proposition de la Commission de création d'une agence ad hoc disposant de la personnalité juridique et placée auprès d'elle. Il s'est également prononcé pour la reprise par le Conseil des contrats en cours et sur l'élaboration par celui-ci d'un nouveau règlement financier. Concernant la détermination des bases juridiques applicables, en revanche, aucune décision n'a pu être prise à ce jour.

B. LA DÉTERMINATION DES BASES JURIDIQUES

1. Une négociation difficile

Le document E1219 ne mentionne pas de base juridique de rattachement pour l'ensemble des articles de la convention d'application de Schengen relatifs au SIS. Depuis l'origine, la ventilation de ces dispositions a en effet constitué un point dur de la négociation. Trois options sont encore actuellement envisagées.

Les articles de la convention relatifs au Système SIS concernent :

- la gestion du SIS (articles 92 à 94, 101 et 119) ;

- les signalements composant la base de données (articles 95 à 100) ;

- l'accès au SIS (articles 101) ;

- la protection des données (articles 102 à 118).

Une première option consisterait à donner une double base juridique , dans le premier et le troisième pilier, aux dispositions concernant la gestion, l'accès et la protection des données. Une base du 1 er ou du 3 ème pilier serait affectée aux dispositions concernant les signalements en fonction de la nature de ceux-ci.

Dans cette hypothèse, serait rattaché au premier pilier en ce qu'il concernerait la liberté de circulation, l'article 96 de la convention concernant les signalements à fin de non-admission pouvant être fondés soit sur une menace à l'ordre public que peut constituer la présence d'un étranger sur le territoire national, soit sur des mesures nationales d'interdiction d'entrée ou de séjour prises à l'encontre d'un étranger.

Cette option est défendue par la commission, la Grande-Bretagne et l'Irlande.

Une deuxième option consiste à intégrer l'ensemble du dispositif dans le troisième pilier au titre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Cette option est défendue par la France et sept autres pays (Suède, Italie, Espagne, Grèce, Danemark, Portugal et Autriche).

La dernière option consiste à intégrer les dispositions concernant la gestion du SIS dans le troisième pilier et à donner une double base aux dispositions concernant la protection des données . Les dispositions relatives aux signalements et à l'accès seraient intégrées dans le troisième pilier , sauf celles faisant référence aux signalements opérés en fonction de l'article 96 précité.

Cette option est défendue pour le moment par l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Finlande.

2. La nécessité, en l'état, d'un maintien total du SIS dans le pilier intergouvernemental

Le Gouvernement français a opté dès l'origine pour le rattachement de l'intégralité du système SIS au troisième pilier. Il est maintenant soutenu par sept autres pays. La réponse de M. le ministre de l'intérieur à une question de M. Paul Masson sur le sujet, publiée au Journal officiel du 25 mars 1999, confirme cette position.

La Commission, pour sa part, fait ressortir que le SIS, très lié aux questions de libre circulation, est souvent utilisé dans ce cadre, le fichage de personnes dans le système ayant lieu selon elle essentiellement en matière de contrôle de l'immigration. Elle estime que l'aspect communautaire de cette politique doit primer et ne permet pas de rattacher le SIS au seul troisième pilier.

Or, il est parfaitement logique de rattacher le SIS au troisième pilier, dans la mesure où il été conçu avant tout comme un outil de coopération policière et que cette coopération relève elle-même du troisième pilier. Le système a de plus été organisé pour être intégré étroitement aux systèmes nationaux . Il serait donc difficile de le faire fonctionner selon des règles communautaires. Une scission du dispositif entre deux ensembles de règles différentes ou l'attribution d'une double base introduirait une incertitude et une complexité qui ne pourrait lui être que néfaste.

Votre commission rejoint M. Paul Masson pour considérer que la France doit rester ferme sur sa position et n'accepter aucun compromis tendant à remettre en cause la gestion d'un système qui a prouvé son efficacité et doit à court terme faire l'objet d'importantes adaptations . Cette fermeté se justifie d'autant plus que, si l'unanimité n'est pas dégagée, la position retenue par défaut sera celle d'un maintien de l'ensemble du dispositif dans le 3 ème pilier, sachant que, d'après la présidence allemande, le défaut d'accord avant l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam n'exclurait pas de reprendre les négociations ultérieurement .

III. LA CLAUSE DE SAUVEGARDE DE L'ARTICLE 2 § 2 DE LA CONVENTION D'APPLICATION DES ACCORDS DE SCHENGEN

A. UNE CLAUSE LARGEMENT UTILISÉE

L'article 2 § 1 de la convention d'application des accords de Schengen dispose que " les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu'un contrôle des personnes soit effectué ".

L'article 2 § 2 permet cependant à un Etat de rétablir librement les contrôles à ces frontières intérieures pour une durée limitée " lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exige ", après consultation des partenaires ou simple notification en cas d'urgence.

Une décision du comité exécutif Schengen du 20 décembre 1995 a précisé les modalités de consultation ou d'information des partenaires.

Cette clause de sauvegarde a été un élément déterminant de la ratification de la convention d'application. Elle a été utilisée par la France, comme par ses partenaires.

La France l'utilise depuis le 1 er juillet 1995 aux frontières terrestres avec la Belgique et le Luxembourg en raison des problèmes de trafic de drogue en provenance des Pays-Bas. Elle se traduit par des contrôles dans le train au passage des frontières. Son utilisation prolongée soulève cependant des difficultés d'ordre diplomatique avec le Luxembourg et la Belgique.

Ses partenaires en ont également fait usage : les Pays-Bas en 1997 à l'occasion d'une rencontre sportive ; le Luxembourg en octobre 1998 lors d'un match de football contre l'Angleterre ; l'Allemagne le 23 décembre 1998 pour faciliter une mesure d'enquête pénale en zone frontalière avec l'Autriche ; l'Espagne du 27 décembre 1998 au 2 janvier 1999, sur certains postes frontaliers en raison d'un déplacement du roi et du Premier ministre.

La clause de sauvegarde reste un outil indispensable pour assurer l'ordre public et la sécurité nationale. Elle peut également faciliter la lutte contre l'immigration clandestine en permettant de prononcer des non-admissions des étrangers aux frontières plutôt que de procéder à des procédures plus lourdes de réadmission. Elle peut aussi être un moyen de pression politique sur des partenaires pour les engager à prendre des mesures compensatoires à la libre circulation. Les Allemands ont ainsi fréquemment brandi la menace d'un recours à cette clause.

B. LA DÉTERMINATION DES BASES JURIDIQUES

1. Le rattachement au premier pilier est envisagé

L'ensemble des Etats membres semble accepter le rattachement de cette clause au premier pilier. La base juridique en serait l'article 62, paragraphe 1, établissant le principe de la liberté de circulation dans l'espace de l'Union. A la demande des délégations allemande et autrichienne, serait de plus visé le respect de l'article 64 paragraphe 1 disposant que le titre IV du traité " ne porte pas atteinte à l'exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ".

Il a en effet été considéré qu'il était préférable de soumettre l'exception au principe de la libre circulation que constitue la clause de l'article 2 § 2 aux mêmes règles que le principe lui même , la clause pouvant avoir, paradoxalement, une portée supérieure si elle était intégrée dans le droit communautaire que si elle était isolée dans le 3 ème pilier. En vertu du principe de la primauté du droit communautaire , une exception au principe de la liberté de circulation non explicitement prévue dans la partie communautaire du traité aurait en effet peu de poids.

On peut observer que le traité instituant la Communauté européenne contient déjà, à l'article 30, une exception au principe, affirmé aux articles 28 et 29, de la liberté de circulation des marchandises entre États membres.

2. La nécessité du maintien de la responsabilité exclusive des États

L'intégration de la clause de sauvegarde dans le cadre de l'Union européenne ne doit pas aboutir à priver les Etats de la responsabilité de sa mise en oeuvre.

La Commission européenne pourrait être tentée de proposer l'adoption d'une procédure limitant l'autonomie des Etats dans la mise en oeuvre de la clause. Votre commission souhaite que le Gouvernement s'oppose à toute modification de la clause qui irait dans ce sens, ce qui, tant que les décisions sont prises à l'unanimité, au moins pendant les cinq premières années suivant l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, garantirait le maintien de la responsabilité exclusive des Etats en la matière.

Il faut être néanmoins conscient du fait que l'autonomie des Etats pourrait être limitée par l'intervention de la Cour de justice . En dépit des dispositions de l'article 68 § 2 énonçant que " la Cour de justice n'est pas compétente pour statuer sur les mesures ou décisions prises en application de l'article 62, point 1, portant sur le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ", la Cour, qui a une conception extensive de des compétences, pourrait être amenée à vérifier la réalité de la menace pour l'ordre public et la sécurité intérieure des Etats membres.

La Cour pourrait être saisie sur renvoi préjudiciel facultatif d'une juridiction de dernier ressort d'un Etat membre appelée à se prononcer, sur recours d'un particulier, sur la légalité d'une mesure de contrôle aux frontières opérée dans le cadre de l'application de la clause de sauvegarde ( article 68 paragraphe  1 ). Elle pourrait également, conformément au droit commun communautaire, être saisie directement par la Commission européenne ou par un Etat membre contestant la mise en oeuvre de la clause ( articles 226 et 227 du traité sur l'Union européenne). Ces saisines pourraient intervenir, que la clause soit rattachée au premier ou au troisième pilier , sur le fondement d'une atteinte à la liberté de circulation.

*

* *

Votre commission des Lois fait donc sienne les inquiétudes de M. Paul Masson concernant l'avenir du système SIS et de la clause de sauvegarde. Elle souhaite que le système SIS continue, en l'état, à relever entièrement d'une gestion intergouvernementale. Concernant la clause de sauvegarde, elle considère que sa mise ne oeuvre doit continuer à relever de la responsabilité exclusive de chaque Etat.

Elle a en conséquence adopté la proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
(Texte adopté par la commission des lois en application de
l'article 73 bis du Règlement du Sénat)

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques pour l'acquis de Schengen ( E 1219 ),

Considérant que le traité d'Amsterdam, en créant un nouveau titre IV dans le traité instituant la Communauté européenne, transfère dans le domaine communautaire, dès sa mise en vigueur, les matières relatives aux visas, à l'asile, à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre circulation des personnes ;

Considérant que les coopérations policière et judiciaire en matière pénale demeurent dans le domaine intergouvernemental régi par le titre VI du traité sur l'Union européenne.

Considérant d'autre part qu'un protocole annexé au traité d'Amsterdam régit l'introduction de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne et qu'il prévoit, à cet effet, la répartition des dispositions constituant l'acquis de Schengen soit dans le domaine communautaire (premier pilier) soit dans le domaine intergouvernemental (troisième pilier) ;

Considérant que cette ventilation, si elle devait aboutir au traitement communautaire d'un nombre excessif de matières relevant jusqu'alors exclusivement du domaine intergouvernemental, pourrait conduire à une remise en cause de l'équilibre même du traité, tel qu'il a été signé à Amsterdam, le 2 octobre 1997 ;

Considérant que le système d'information Schengen (SIS) est à titre principal un système de coopération policière et judiciaire en matière pénale  et doit donc être régi selon les procédures applicables à ces matières ;

Considérant que la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde prévue à l'article 2 paragraphe 2 de la convention d'application des accords de Schengen du 19 juin 1990 relève du maintien de l'ordre public et de la sauvegarde de la sécurité intérieure des Etats, au sens des articles 64 paragraphe 1 et 68 paragraphe 2 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant enfin que le présent projet de décision du Conseil doit être adopté à l'unanimité ;

Invite le gouvernement :

- à s'opposer, en l'état, au transfert dans le domaine communautaire de l'ensemble des dispositions de la convention d'application des accords de Schengen régissant le système d'information Schengen (SIS) ;

- à veiller à ce qu'un éventuel transfert dans le domaine communautaire de la clause de sauvegarde prévue à l'article 2 paragraphe 2 de la convention d'application des accords de Schengen du 19 juin 1990 n'aboutisse pas à une remise en cause du principe de la responsabilité exclusive des Etats dans la mise en oeuvre de cette clause.

ANNEXE

PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 263 (1998-1999)
PRÉSENTÉE PAR M. PAUL MASSON

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil déterminant la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen (E 1219 ),

Considérant que le traité d'Amsterdam, en créant un nouveau titre IV, transfère dans l'ordre communautaire, dès sa mise en vigueur, les domaines des visas, de l'asile, de l'immigration et des autres politiques liées à la libre circulation des personnes ;

Considérant d'autre part que le traité d'Amsterdam, par le moyen d'un protocole annexé, régit l'introduction de l'acquis de Schengen dans l'ordre communautaire et qu'il prévoit, à cet effet, la répartition des dispositions constituant l'acquis de Schengen soit dans le premier pilier, soit dans le troisième pilier ;

Considérant que cette ventilation détermine le traitement communautaire ou intergouvernemental de matières jusqu'alors traitées exclusivement dans le cadre intergouvernemental et que cette ventilation peut conduire à une remise en cause de l'équilibre même du traité, tel qu'il a été signé à Amsterdam, le 2 octobre 1997 ;

Considérant enfin que le présent projet de décision du Conseil doit être adopté à l'unanimité ;

Demande au gouvernement :

- de s'opposer au transfert dans l'ordre communautaire du dispositif de la convention d'application des accords de Schengen qui traite du système d'information Schengen (S.I.S.), la coopération policière et judiciaire en matière pénale relevant du domaine intergouvernemental ;

- d'obtenir le maintien dans le ressort de la seule responsabilité des Etats de la clause de sauvegarde de l'article 2 paragraphe 2 de la convention d'application des accords de Schengen du 15 juin 1990.



1 Se reporter au rapport de M. Alex Türk établi au nom de la mission de la commission des Lois, présidée par M. Paul Masson, sur le suivi du processus européen de coopération policière : Quand les policiers succèdent aux diplomates.- Assurer la présence de la France dans la coopération policière européenne.- Rapport n° 523 (1997-1998).

2 Les numéros d'articles cités dans le présent rapport sont ceux des traités consolidés, tenant compte du traité d'Amsterdam.



Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page