C. UNE QUESTION RÉCURRENTE
Votre rapporteur a tenu à rappeler les débats déjà intervenus devant votre commission des Affaires sociales sur le service minimum.
1. Des initiatives multiples
Nombreuses ont été les propositions de loi visant
à instituer le principe d'un service minimum en cas de cessation
concertée du travail dans les services publics.
Onze propositions de loi, -dont celle qui fait l'objet du présent
rapport-, ont été déposées sur ce thème sur
les bureaux des deux Assemblées depuis 1988
La proposition de loi n° 491 de M. Philippe Arnaud et de ses
collègues membres du groupe de l'Union centriste, qui pose de
manière générale le principe de l'instauration d'un
service minimum dont les modalités seraient fixées par
décret, est bien antérieure aux événements
récents qui ont remis la question du service minimum au coeur de
l'actualité.
La multiplication des mouvements sociaux localisés à la SNCF au
cours de l'automne 1998 a soulevé des critiques. Par ailleurs, le
Président de la République, intervenant le 4 décembre
dernier devant le Conseil régional de Bretagne, soulignait
" qu'il n'était pas acceptable dans une démocratie
moderne que les services publics aient le triste monopole de grèves qui
paralysent en quelques heures toute l'activité d'une
agglomération quand elles n'affectent pas la France
entière.
10(
*
)
"
.
Les onze propositions de loi ayant trait au service minimum
•
Proposition de loi n° 183 (Sénat, 1988-1989),
déposée le 22 décembre 1988 par M. Charles Pasqua et
les membres du groupe RPR, tendant à assurer un service minimum en cas
de grève dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 2854 (AN), déposée
le 30 juin 1992 par M. Michel Noir, député, tendant à
instituer l'obligation de service minimum au secteur des transports en commun
publics en cas de grève ;
• Proposition de loi n° 189 (Sénat, 1992-1993),
déposée le 23 décembre 1992 par M. Jean-Pierre
Fourcade, tendant à instituer une procédure de médiation
préalable et à assurer un service minimal en cas de grève
dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 280 (Sénat, 1994-1995),
déposée le 19 mai 1995 par M. Michel Gruillot, tendant
à assurer un service minimum en cas de grève dans les services
publics ;
• Proposition de loi n° 1611 (AN), déposée
le 11 mars 1996 par M. Laurent Dominati et divers membres du groupe
UDF, instituant le principe d'un service minimum en cas de cessation
concertée du travail dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 3028 (AN), déposée
le 10 octobre 1996 par M. Rudy Salles et divers membres du groupe
UDF, instaurant un service minimum d'accueil des élèves en cas de
grève des personnels de l'Education nationale ;
• Proposition de loi n° 3126 (AN), déposée
le 19 novembre 1996 par M. Alain Poyart, instaurant un service
minimum dans les établissements d'enseignement de premier
degré ;
• Proposition de loi n° 417 (AN), déposée le
4 novembre 1997 par M. Rudy Salles et divers membres du groupe UDF,
instaurant un service d'accueil des élèves en cas de grève
des personnels de l'Education nationale ;
• Proposition de loi n° 491 (Sénat, 1997-1998),
déposée le 11 juin 1998 par M. Philippe Arnaud et ses
collègues membres du groupe de l'Union Centriste, tendant à
assurer un service minimum en cas de grève dans les services et
entreprises publics ;
• Proposition de loi n° 1004 (AN), déposée
le 24 juin 1998 par M. Laurent Dominati et divers membres du groupe
UDF, instituant le principe d'un service minimum en cas de cessation
concertée du travail dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 1238 (AN), déposée
le 1
er
décembre 1998 par M. Philippe de Villiers,
visant à instaurer un service minimum dans l'exercice du droit de
grève dans les transports publics.
L'inscription à l'ordre du jour réservé de la proposition
de loi de M. Philippe Arnaud ouvre opportunément la
possibilité de poursuivre la réflexion sur la question du respect
de principe de continuité des services publics, que votre commission
avait déjà engagée en 1993.
2. Les débats antérieurs devant votre commission
A la fin
de l'année 1992, marquée par d'importantes grèves dans le
secteur public, M. Jean-Pierre Fourcade avait déposé,
à titre personnel, une proposition de loi visant à instituer une
procédure de médiation préalable avant le
dépôt du préavis de grève et à
prévoir, dans les entreprises chargées d'un service public, qu'un
accord devait être passé entre la direction et les organisations
syndicales pour déterminer les règles d'un service
minimum
11(
*
)
.
La proposition de loi avait d'abord pour objet d'instituer
une
procédure de médiation préalable
dans les services
publics.
Constatant que les procédures de médiation prévues dans le
secteur privé étaient inadaptées au service public
(incidence de la grève sur le public qui fait que la grève est
une sorte de préalable à la négociation ;
caractère public du financement rendant difficile la
délégation d'autorité à un médiateur), il
était proposé de créer une procédure de
médiation dont la mise en oeuvre était obligatoire et qui venait
se conjuguer avec le délai de préavis de cinq jours prévu
aux articles L. 521-2 et suivants du code du travail.
Avant toute grève, le ministre ou le préfet devaient, dans un
délai de cinq jours, désigner, à la demande de la
direction de l'entreprise ou des organisations syndicales
représentatives, un médiateur, c'est-à-dire une
personnalité qualifiée extérieure à l'entreprise.
Le médiateur avait quinze jours pour proposer des solutions.
Au-delà de ce délai, les parties avaient cinq jours pour exprimer
leur accord ou désaccord qui est publié au Journal Officiel ou au
bulletin officiel. L'ensemble de la procédure s'inscrivait donc dans un
délai de trente jours.
S'agissant du contexte, il n'est pas inutile de rappeler que la RATP avait mis
en place, le 29 octobre 1992, sous l'impulsion de M. Christian Blanc, alors PDG
de cette entreprise, une
" mission permanente de
conciliation "
, composée de trois personnes extérieures
à l'entreprise, qui avait pour fonction de faciliter des accords portant
sur des conflits déjà engagés, c'est-à-dire des
situations susceptibles de donner lieu à dépôt d'un
préavis des organisations syndicales. Faute de légitimité
auprès du personnel, le dispositif a dû être
abandonné au profit de la démarche contractuelle qui allait
aboutir ultérieurement à la signature du protocole d'accord de
mai 1996 sur le droit syndical et l'amélioration du dialogue social.
Le second objet de la proposition de loi est de favoriser la mise en oeuvre
d'un
" service minimum conventionnel ".
Faisant valoir l'absence de dispositions législatives existantes pour
concilier droit de grève et continuité des services publics ainsi
que le caractère inopérant des dispositions relatives à la
réquisition, la proposition de loi effectuait une distinction
entre :
- les services de l'Etat et des collectivités territoriales, pour
lesquels le service minimum serait instauré par décret ;
- les entreprises, organismes et établissements chargés d'un
service public pour lesquels un accord devait être passé entre la
direction et les organisations syndicales pour déterminer le service
minimum qui devait être assuré. Ce n'était qu'en l'absence
d'accord (aucun délai n'est imposé) que le service minimum devait
être imposé dans des conditions fixées par décret
sans que le texte ne prévoie de délai sur ce point.
Le service minimum était articulé autour de la sauvegarde de
quatre objectifs : l'ordre public, la sécurité des personnes
et des biens, les liaisons et communications indispensables à l'action
du Gouvernement, la
" continuité du service public
nécessaire aux besoins essentiels du pays dans les domaines sanitaire,
économique et social ".
Cette proposition de loi, même si elle n'est pas reprise aujourd'hui par
votre rapporteur en raison des modifications du contexte et notamment de
l'accord intervenu à la RATP, a été essentielle à
sa réflexion pour deux raisons : elle met l'accent sur la
nécessité de favoriser la recherche de solutions aux conflits en
recourant à des moyens de prévention ; elle souligne, par
ailleurs, qu'en matière de continuité des services publics, la
solution contractuelle doit être recherchée en priorité, en
faisant de l'application de normes réglementaires uniformes un
instrument " pédagogique " pour inciter à la
négociation.
En avril 1993, votre commission a évoqué à nouveau la
question du service minimum à l'occasion de l'examen d'une autre
proposition de loi de M. Jean-Pierre Fourcade
12(
*
)
tendant à compléter
l'article L. 521-6 du code du travail
afin de rétablir le principe
du " trentième indivisible " pour les entreprises, organismes
ou établissements
" chargés de la gestion d'un service
public de transports terrestres de voyageurs ".
Votre commission a alors constaté qu'un mouvement se dessinait
spontanément en faveur d'un service minimal avec par exemple le respect
d'accords tacites sur le service minimum (EDF) ou la création
d'instances de conciliation. La mission décidait en conséquence
" de laisser l'évolution se poursuivre sans intervention du
législateur ".
LE PRINCIPE DU " TRENTIÈME INDIVISIBLE "
Conformément à un principe comptable ancien
confirmé pour les fonctionnaires de l'Etat et des établissements
publics administratifs par la loi du 29 juillet 1961 portant loi de Finances
pour 1961 et étendu aux agents de droit privé dans les organismes
chargés d'un service public par la loi n° 63-777 du 31 juillet
1963 en cas de grève des fonctionnaires ou des salariés
chargés d'un service public,
la retenue sur
rémunération
était
égale au minimum à
une journée de salaire
même si la cessation de travail
était inférieure à une journée.
La loi du 19 octobre 1982 dite " loi Le Pors " est revenue sur ce
principe en autorisant des
prélèvements modulables
selon
que l'arrêt de travail dure une heure (retenue de
1/60
ème
de la rémunération), une
demi-journée (1/50
ème
) ou une journée
(1/30
ème
).
A l'occasion de la discussion de la loi du 29 juillet 1987, a été
adopté l'amendement " Lamassoure " qui abrogeait la
disposition prise en 1982, afin de revenir à ladite situation
antérieure et au principe du " trentième indivisible "
pour l'ensemble des salariés des services publics.
Le Conseil constitutionnel a admis la validité de la disposition pour
les agents de l'Etat et des établissements publics administratifs ;
en revanche, dans une disposition interprétative, il a
considéré que le retour au " trentième
indivisible " n'était pas applicable aux personnels de droit
privé dans un organisme chargé de la gestion d'un service
public : il a considéré en effet que cette limitation du
droit de grève ne devait intervenir que pour autant que la grève
était abusive ou anormale et que la disposition législative
adoptée était donc trop générale.
La proposition de loi n° 212 précitée avait pour objet de
revenir à la règle du " trentième " pour les
seuls salariés de droit privé dans les entreprises, organismes ou
établissements publics ou privés chargés de la gestion
d'un service public de transports terrestres de voyageurs.
S'agissant de la règle du trentième indivisible, il semble que le
mode actuel de calcul des retenues sur salaires des fonctionnaires de l'Etat
qui exercent leur droit de grève soit actuellement
considéré comme non conforme à la Charte sociale
européenne
13(
*
)
. Le
principe devrait être celui d'une retenue sur rémunération
proportionnelle à la durée de la grève.
De fait, encore aujourd'hui, comme l'ont montré les auditions publiques
du 20 janvier dernier, la situation est fortement contrastée entre des
entreprises de secteur public, telles qu'EDF ou la Poste, où le service
du public peut être maintenu même en cas de grève, et le
secteur des transports publics où, abstraction faite des efforts de la
RATP, les conflits débouchent trop souvent sur des grèves sans
solution alternative.
L'inscription à l'ordre du jour réservé de la proposition
de loi de M. Philippe Arnaud doit permettre au Sénat de
légiférer " à froid " dans un domaine où
les arguments de principe apparaissent comme largement inconciliables.