AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Adoptée par l'Assemblée nationale le 10 décembre 1998, avec l'accord du Gouvernement, la proposition de loi tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de 50 ans a été déposée par M. Alain Belviso et les membres du groupe communiste et apparentés.

Comprenant trois articles, elle vise à étendre le champ de la " contribution Delalande " due pour tout licenciement d'un salarié de plus de 50 ans.

La proposition de loi soumet ainsi à cette contribution les ruptures des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion (article premier) et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite dans le cadre du fonds national de l'emploi (FNE) (article 2).

Elle prévoit que ces dispositions seront applicables pour toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er janvier 1999, c'est-à-dire de manière rétroactive (article 3).

Votre commission a jugé que cette proposition de loi reposait sur des fondements fragiles et contestables : elle a considéré que les prétendus contournements de la " contribution Delalande " par les conventions de conversion et les refus de conventions de préretraite n'étaient pas prouvés. Elle a refusé le procès d'intention fait aux entreprises, globalement considérées par les initiateurs de cette proposition de loi comme ayant un comportement frauduleux.

Votre commission a estimé que cette proposition de loi ne semblait répondre qu'à des considérations très politiques et visait avant tout pour le Gouvernement, qui a demandé l'inscription de ce texte à l'ordre du jour prioritaire du Sénat, à renforcer la cohésion de sa majorité.

Elle a dénoncé la logique de sanction et d'accroissement des charges des entreprises qui animait cette proposition de loi. Elle a enfin exprimé la crainte que cette proposition de loi, qui entendait préserver l'emploi, ne constitue en définitive un véritable frein à l'emploi, notamment pour les salariés âgés de 45 à 50 ans.

Votre commission vous propose par conséquent de supprimer les trois articles du texte, ce qui équivaut à un rejet de la proposition de loi.

I. LA PROPOSITION DE LOI ÉTEND LA " CONTRIBUTION DELALANDE " AUX CONVENTIONS DE CONVERSION ET AUX REFUS DE CONVENTIONS DE PRÉRETRAITE

A. LE DOUBLEMENT PAR VOIE RÉGLEMENTAIRE DE LA " CONTRIBUTION DELALANDE " AU 1ER JANVIER 1999

La " contribution Delalande " a été instituée en 1987 au moment de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement. La loi n° 87-518 du 10 juillet 1987 modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée a instauré cette cotisation supplémentaire - dite " contribution Delalande " du nom de l'auteur de l'amendement qui l'a créée, M. Jean-Pierre Delalande, député du Val d'Oise - due par l'employeur pour toute rupture du contrat de travail d'un salarié âgé de plus de 50 ans (article L. 321-13 du code du travail) 1( * ) .

A l'origine, le montant de cette cotisation, versée au régime d'assurance chômage de l'UNEDIC, était fixé à trois mois de salaire brut.

En 1992, le Gouvernement décida d'augmenter une première fois cette cotisation et de la moduler selon un barème progressif en fonction de l'âge du salarié licencié et de la taille de l'entreprise concernée.

L'article D. 321-8 du code du travail fixe ainsi le montant de la contribution en fonction de l'âge du salarié. Le barème applicable depuis 1992 variait de un à six mois du salaire brut : un mois à 50 ou 51 ans, deux mois à 52 ou 53 ans, quatre mois à 54 ans, cinq mois à 55 ans et six mois pour les salariés âgés de 56 ans et plus.

Conformément à ce qu'avait annoncé à l'Assemblée nationale, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, le 10 novembre dernier, cette cotisation a, de nouveau, été augmentée à compter du 31 décembre 1998.

Le nouveau taux de la contribution, fixé par le décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998, est progressif de deux mois de salaire brut à 50 ans à douze mois de salaire brut à 56 et 57 ans. Il est ensuite dégressif à partir de 58 ans.

Le nouveau barème procède pour l'essentiel à un doublement - voire dans certains cas un triplement - de la " contribution Delalande ".

Nouveau barème de la contribution Delalande
pour les entreprises de 50 salariés et plus

Montant de la contribution due

Age du salarié à la date de la fin du contrat de travail

(exprimée en mois de salaire brut)

50

51

52

53

54

55

56

57

58

59 ou +

Barème actuel*

1

1

2

2

4

5

6

6

6

6

Nouveau barème

2

3

5

6

8

10

12

12

10

8

* Ce barème reste applicable aux entreprises de moins de 50 salariés.

Le Gouvernement justifie cette mesure en soulignant que la contribution est, dans le cas d'un salarié de 57 ans, deux moins onéreuse pour l'entreprise qu'une préretraite FNE.

Les entreprises de moins de 50 salariés restent assujetties au barème antérieur. Les entreprises de moins de 20 salariés continuent à être exonérées de la contribution pour la première rupture de contrat de travail d'un salarié âgé d'au moins 50 ans dans une période de douze mois.

Demeurent en outre exclus du champ d'application de la contribution, comme précédemment, les salariés qui, lors de leur embauche intervenue après le 9 juin 1992, étaient âgés de plus de 50 ans et inscrits depuis plus de trois mois comme demandeurs d'emploi.

B. L'EXTENSION DE " LA CONTRIBUTION DELALANDE " AUX CONVENTIONS DE CONVERSION ET AUX REFUS DE CONVENTIONS DE PRÉRETRAITE

L'article L. 321-13 du code du travail prévoit que la " contribution Delalande " n'est pas due dans un certain nombre de cas : licenciement pour faute grave ou lourde, licenciement résultant d'une cessation d'activité de l'employeur pour raison de santé ou de départ en retraite entraînant la fermeture définitive de l'entreprise, licenciement pour fin de chantier, rupture du contrat due à la force majeure...

La contribution n'est notamment pas due en cas de rupture du contrat de travail d'un salarié qui adhère à une convention de conversion et dans le cas où l'employeur conclut avec l'Etat, dans le cadre des actions du Fonds national de l'emploi (FNE), une convention d'allocation spéciale de préretraite (ASFNE).

La présente proposition de loi soumet à la " contribution Delalande " les ruptures des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite FNE. Ces deux cas d'exonération sont en effet considérés par le Gouvernement et les auteurs de la proposition de loi comme " deux failles " du dispositif. La proposition de loi est présentée par le Gouvernement comme le complément indispensable du doublement de la " contribution Delalande ".

L'article premier de la proposition de loi insère un nouvel alinéa dans l'article L. 321-13 du code du travail afin de prévoir que la " contribution Delalande " est due également pour chaque rupture de contrat de travail intervenue du fait de l'adhésion d'un salarié à une convention de conversion 2( * ) .

Cet alinéa précise également que le montant de cette cotisation tient compte de la participation de l'entreprise au financement de la convention de conversion. Cette disposition vise, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, à permettre au pouvoir réglementaire de moduler de manière spécifique le montant de la cotisation dans ce cas : le montant de celle-ci pouvant être d'autant plus réduit que la participation de l'entreprise au financement de la convention de conversion est importante.

Le financement de l'allocation spécifique de conversion est aujourd'hui assuré par l'employeur du salarié qui adhère à la convention de conversion et par le régime d'assurance chômage. La participation de l'employeur correspond au montant équivalant aux deux mois d'indemnité de préavis qu'il aurait versés au salarié si celui-ci n'avait pas adhéré à la convention de conversion. L'employeur verse également une participation forfaitaire aux frais de fonctionnement de 4.500 francs par adhérent.

La rédaction retenue par l'article premier de la proposition de loi concernant la participation financière de l'entreprise aux conventions de conversion est pour le moins imprécise et peut s'interpréter de deux façons : soit, la référence se fait sur la base de l'article D. 322-2 du code du travail, qui détermine la participation de l'entreprise au sens large du terme, préavis du salarié y compris, soit l'interprétation se fait plus stricte et la participation de l'entreprise se limite au forfait de 4.500 francs.

L'article 2 propose une nouvelle rédaction de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 321-13 du code du travail afin de prévoir que la " contribution Delalande " n'est pas due dans le cas où le salarié bénéficie des allocations spéciales de préretraite du FNE 3( * ) .

Cette nouvelle rédaction de l'alinéa signifie a contrario que le refus du salarié de la proposition de préretraite assujettit l'employeur au versement de la " contribution Delalande ".

L'article 3 prévoit que les dispositions de la présente loi entreront en vigueur, de manière rétroactive, au 1 er janvier 1999.

Le doublement et l'extension de la " contribution Delalande " devrait générer des recettes supplémentaires. Cette contribution a ainsi rapporté, en 1997, 1,7 milliard de francs à l'UNEDIC. Selon les estimations de cet organisme, son doublement et son extension devraient générer 1,4 milliards de francs de recettes supplémentaires (cf. encadré ci-dessous).

Les conséquences financières du doublement et de l'élargissement du champ de la " contribution Delalande "

(Estimations de l'UNEDIC)

Situation initiale

En 1997, le montant total encaissé au titre de la " contribution Delalande " s'élevait à 1.665,4 millions de francs. En 1999, le montant encaissé serait de 1,7 milliard de francs hors modifications réglementaires et législatives.

" Doublement " de la contribution à champ constant

Le fichier national des allocataires de l'UNEDIC donne une évaluation du poids des établissements de plus de 50 salariés dans les licenciements de l'ordre de 38 %. Par ailleurs, les informations relatives aux effectifs affiliés au régime permet d'estimer le poids des entreprises de 50 salariés et plus. Compte tenu de ces éléments, on estime à environ 49 % le poids des licenciés issus d'entreprises de 50 salariés et plus.

Pour quelque 13.450 allocataires (sur 27.400 allocataires concernés), la contribution supplémentaire serait alors fortement majorée puisque l'application des nouvelles règles revient à multiplier en moyenne par 2,3 le montant moyen encaissé auparavant (60.830 francs en 1997).

On évalue à 970 millions de francs cette majoration.

Extension du champ aux conventions de conversion 4( * )

La suppression de l'exonération concernerait environ 18.500 bénéficiaires des conventions de conversion âgés de plus de 50 ans. Une fois prises en compte, les exonérations pour les entreprises de moins de 20 salariés (dont c'est le premier licenciement dans l'année) et les autres types d'exonération, le nombre d'allocataires concernés s'établit à 14.100.

De l'augmentation des contributions perçues, il conviendrait de décompter les 4.500 francs versés au titre de la formation par 48 % des entreprises environ 5( * ) . Au total, le supplément de versement des entreprises est estimée à 1.015 millions de francs 6( * ) .

Effet des modifications réglementaires dans l'hypothèse où les entreprises ne modifient pas leur comportement

Les nouvelles mesures devraient permettre ainsi l'encaissement de 1.985 millions de francs supplémentaires, hors toute limitation des licenciements de travailleurs âgés. Au total, le montant perçu au titre de la contribution spéciale des travailleurs âgés serait, sans modification des flux concernés, de 3.685 millions de francs.

Effet d'une hypothèse de limitation de 15 % des licenciements de travailleurs âgés

En l'absence de tout chiffrage précis sur la limitation des licenciements des travailleurs âgés que pourraient provoquer ces modifications réglementaires, il est fait l'hypothèse que 15 % des licenciements pourraient être évités. Le montant perçu ne serait plus alors que de 3.130 millions de francs.

L'effet net des modifications législatives et réglementaires serait alors de 1.430 millions de francs.

Ces estimations sont naturellement fortement dépendantes des hypothèses de comportement des entreprises. Ces hypothèses amènent d'ailleurs à s'interroger sur la nature exacte de cette contribution : la " contribution Delalande " constitue-t-elle une contribution de dissuasion ou une contribution de rendement ?

Dans le premier cas, l'objectif consiste à dissuader, autant que possible, les licenciements des salariés : l'idéal serait donc que le produit de cette contribution soit quasiment nul, ce qui témoignerait de son efficacité.

Dans le second cas, la finalité est toute autre : il s'agit d'accroître le produit d'un prélèvement en majorant son taux et en élargissant son assiette.

Les recettes supplémentaires que le Gouvernement attend de la majoration et de l'extension de la " contribution Delalande " conduisent à penser que l'on se situe plutôt dans le cas d'une contribution de rendement : le Gouvernement semble se faire peu d'illusions quant à l'efficacité réelle du nouveau dispositif et privilégie avant tout le rendement financier de cette contribution.

Le bénéficiaire final de ces recettes supplémentaires n'est cependant pas encore définitivement connu.

D'un strict point de vue juridique, l'UNEDIC est seul bénéficiaire des sommes prélevées au titre de la " contribution Delalande ". L'article L. 321-13 du code du travail prévoit en effet que toute rupture du contrat de travail d'un salarié d'un âge déterminé par décret ouvrant droit au versement de l'allocation d'assurance chômage de l'UNEDIC entraîne l'obligation pour l'employeur de verser aux ASSEDIC la " contribution Delalande ".

Si les recettes supplémentaires iront donc, dans un premier temps, à l'UNEDIC, selon la stricte application de la loi, il n'est cependant pas certain que cet organisme en garde effectivement le bénéfice final.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a ainsi indiqué le 18 janvier dernier, en marge de ses voeux à la presse, que " pour cette année au moins, la majoration du Delalande était affectée au budget de l'Etat " 7( * ) .

Le Gouvernement semble en réalité décidé à prélever sur les sommes qu'il avance à l'UNEDIC au titre des préretraites FNE - versées par l'UNEDIC pour le compte de l'Etat - une somme équivalente au surcroît de recettes induit par le doublement et l'extension de la " contribution Delalande ".

L'UNEDIC se verrait ainsi privée d'une somme équivalente à la recette supplémentaire que généreront l'augmentation et l'extension de la " contribution Delalande ".

L'objectif poursuivi par le Gouvernement est simple : il s'agit de faire pression sur les partenaires sociaux afin d'obtenir une meilleure indemnisation du chômage des salariés précaires, notamment les jeunes, qui, parce qu'ils n'accumulent que des contrats de courte durée, ne parviennent pas à se constituer des droits à indemnisation au titre de l'assurance chômage. Si les partenaires sociaux acceptaient cette proposition, l'UNEDIC conserverait le bénéfice des recettes supplémentaires au titre de la " contribution Delalande ". Les négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux se poursuivent actuellement.

Si l'on suit ainsi la logique du Gouvernement, l'amélioration de la prise en charge du chômage des jeunes dépend de recettes assises sur les licenciements des salariés les plus " âgés ". Il faudrait en quelque sorte souhaiter des licenciements massifs de salariés de plus de 50 ans afin de disposer des recettes nécessaires pour mener à bien cette tâche prioritaire que constitue l'amélioration de l'indemnisation des jeunes chômeurs !

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