EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Gouvernement ayant déclaré l'urgence sur le projet de loi
relatif au mode d'élection des conseillers régionaux et des
conseillers de l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils
régionaux, le Sénat aborde donc, après l'échec de
la commission mixte paritaire, son examen pour une nouvelle lecture, qui
serait la dernière dans le cas où le Gouvernement demanderait
à l'Assemblée nationale de se prononcer définitivement.
Ce texte déterminant pour une collectivité territoriale -il
concerne à la fois le mode de scrutin et le fonctionnement des conseils
régionaux- aura ainsi été étudié par le
Parlement dans une précipitation qu'aucune raison objective ne rendait
nécessaire.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales aux
termes de la Constitution, avait, dès le départ,
été privé par la déclaration d'urgence de la
possibilité de voir examinées par l'Assemblée nationale
les propositions qu'il aurait pu formuler.
En dépit de cette situation, votre commission des Lois, tout en
dénonçant cet usage abusif de la procédure d'urgence,
avait estimé, dans un premier temps, utile de présenter des
amendements à ce projet de loi.
Le débat en séance publique ayant fait apparaître
clairement que le ministre se refuserait à prendre en
considération les propositions de votre commission des Lois, le
Sénat a finalement décidé, avec l'avis favorable de la
commission, d'adopter une question préalable.
Dans ces conditions, l'échec de la commission mixte paritaire
était prévisible.
Or, en nouvelle lecture, si l'Assemblée nationale a maintenu la plupart
de ses positions initiales, elle les a cependant modifiées sur des
points importants.
Ainsi, pour ce qui est du mode de scrutin, a-t-elle abaissé de 5 %
à 3 % des suffrages exprimés le seuil permettant à
une liste de participer à la répartition des sièges et
ramené de 10 % à 5 % des suffrages exprimés
celui permettant à une liste de se maintenir au deuxième tour.
Ces dispositions, en encourageant l'émiettement de la
représentation et surtout en institutionnalisant les triangulaires sont
manifestement destinées à répondre à des
préoccupations partisanes très éloignées de
l'objectif affiché initialement de dégager des majorités
stables dans les régions, susceptible d'être atteint par
l'institution d'une " prime majoritaire ".
Accessoirement, par une décision qui se veut symbolique, alors qu'elle
serait, si elle était adoptée, normative, l'Assemblée
nationale a, de plus, maintenu les dispositions anticipant sur l'adoption
éventuelle du projet de loi constitutionnelle relatif à
l'égalité entre les femmes et les hommes.
L'inconstitutionnalité de cette disposition est pourtant
établie.
I. LES TRAVAUX DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE
A. LES PROPOSITIONS INITIALES DE LA COMMISSION DES LOIS
1. La réforme du mode de scrutin
Votre
commission des Lois n'avait pas contesté l'opportunité de
procéder à une révision du mode de scrutin pour les
élections régionales, afin de faciliter le dégagement de
majorités stables de gestion, susceptibles d'être atteintes par
l'instauration d'une " prime majoritaire ".
En revanche, elle avait mis en cause les solutions proposées ainsi que
la procédure suivie, tendant au vote précipité sur des
dispositions essentielles à la vie d'une collectivité
territoriale, et ce, en l'absence de toute contrainte objective.
Rien ne démontre ni qu'un
mandat de six ans
ait contribué
en quoi que ce soit au blocage du fonctionnement de certaines régions,
ni que le mandat de cinq ans proposé convienne mieux à la
démocratie locale.
S'agissant du
choix de la circonscription électorale
, le cadre de
la région, sans garantie d'une représentation équitable et
identifiée de tous les départements, ne parait pas de nature
à rapprocher l'élu de l'électeur. Il contribuerait
à une politisation accrue de l'élection, dont les enjeux locaux
seraient occultés et risquerait de provoquer une progression
préoccupante du taux d'abstention (42 % en 1998).
Alors que l'élection dans le cadre de la région, sans
règles garantissant la représentation de chaque
département, risquerait de conduire à une
sous-représentation des départements les moins peuplés, la
circonscription départementale, maintenue dans les propositions de la
commission des Lois, garantit de la manière la plus simple et la plus
équitable la représentation de chaque département.
En ce qui concerne le
mode de scrutin
proprement dit, votre commission
des Lois avait accepté le maintien du scrutin de liste proportionnel,
avec l'introduction d'une " prime majoritaire " qu'elle proposait de
porter au tiers des sièges (50 % pour les élections
municipales) et accepté l'organisation du scrutin sur deux tours,
cherchant à assurer ainsi une quasi certitude de majorité stable.
Elle avait préconisé, comme l'Assemblée nationale en
première lecture, de fixer à
5 %
des suffrages
exprimés le
seuil
pour pouvoir participer à la
répartition des sièges
et à
10 %
le
minimum pour le
maintien d'une liste au deuxième tour.
Votre commission des Lois, revenant au texte initial du Gouvernement, avait
souhaité maintenir à
5 %
des suffrages
exprimés le
seuil
permettant à une liste de
fusionner
avec une autre liste au deuxième tour, que
l'Assemblée nationale avait abaissé à 3 %.
Il y avait d'évidence, là, trois points d'accord potentiels.
Cette potentialité a été ruinée par les
députés en nouvelle lecture malgré les réserves du
Gouvernement.
En revanche, elle n'avait pu que constater l'inconstitutionnalité
manifeste de la proposition d'assurer la parité entre les femmes et les
hommes dans les listes de candidats aux élections
régionales.
2. Le fonctionnement des conseils régionaux
A
l'occasion de la première lecture, votre commission des Lois vous avait
proposé de
supprimer
les dispositions relatives au fonctionnement
des conseils régionaux, qui figurent au
titre III
du projet
de loi.
En premier lieu, il lui avait semblé qu'il était
prématuré
de modifier la procédure d'adoption sans
vote du budget de la région (
article 22
). Instituée
très récemment par la loi du 7 mars 1998, cette
procédure -il est vrai fort complexe et peu conforme aux principes
régissant habituellement les collectivités locales- ne saurait
être modifiée dans l'urgence pour des motifs purement
circonstanciels
, découlant de péripéties qui n'ont
rien à voir avec les dispositions de la loi mais qui résultent
uniquement du comportement de deux présidents de conseil régional
qui ont méconnu le texte et son esprit.
La nouvelle
procédure de " vote bloqué "
(
article 21
)
parait, par ailleurs, difficilement
conciliable avec les principes régissant constitutionnellement les
collectivités territoriales. Ces dernières -faut-il le rappeler-
sont
administrées librement par des conseils élus.
Enfin, votre commission des Lois vous avait proposé de supprimer les
ajouts de l'Assemblée nationale (
articles 22
bis
à
22
quater
) qui, soit conduisaient à une
plus grande
rigidité
dans le fonctionnement des conseils régionaux en
imposant que les séances des commissions permanentes soient publiques,
soit bouleversaient les règles de composition du bureau et le
régime des délégations de fonctions.