EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 10 novembre 1998,
sous la présidence de
M. Alain Lambert, président
, la commission a
procédé, sur le
rapport de M. Gérard Braun, rapporteur
spécial,
à l'
examen des crédits
de la
fonction publique et la réforme de l'Etat pour 1999.
A titre liminaire,
M. Gérard Braun
a indiqué que l'examen
des crédits de la fonction publique appelait deux analyses distinctes :
la première était juridique. Il s'agissait de présenter
les crédits du ministère chargé de la gestion de la
fonction publique qui sont individualisés dans le budget des services
généraux du Premier ministre au sein d'un agrégat
:" fonction publique ". Ils s'élèvent à
1,4 milliard de francs en 1999 et sont en diminution de 0,18 %.
La seconde était économique : il convenait d'analyser les
charges de personnel de l'Etat, qu'il s'agisse des crédits de
rémunération, des charges sociales ou des pensions. Elles
apparaissaient au sein de l'ensemble des départements
ministériels et représentaient plus de 650 milliards de
francs en 1999, soit près de 39 % des dépenses du budget
général, nettes de remboursement et dégrèvements.
Il a précisé que l'examen de ces crédits conduisait
à se poser deux questions : comment l'Etat gère-t-il ses charges
de personnel et celles-ci sont-elles maîtrisées ? Comment l'Etat
fait-il évoluer ses structures, conformément au principe de
" mutabilité " du service public, et cela afin de fournir aux
usagers des services publics les meilleures prestations ?
Il a rappelé que les crédits du ministère chargé
de la fonction publique représentaient 1,4 milliard de francs et
comportaient des dépenses de personnel exclusivement constituées
de prestations d'action sociale interministérielle ou
d'opérations d'action sociale.
Il a indiqué que la diminution de ces crédits de personnel
était due principalement -à hauteur de 230 millions de
francs- à la suppression de la provision destinée, dans le projet
de loi de finances pour 1998, à accompagner la négociation
salariale dans la fonction publique. Elle a été
transférée, sans justification, au sein du titre V
" dépenses en capital " pour un montant fixé dans le
projet de loi de finances pour 1999 à 255 millions de francs.
Les dépenses de fonctionnement représentent 343,95 millions
de francs, en progression de 4,46 % et correspondent aux subventions
destinées aux écoles (ENA, IIAP -Institut international
d'administration publique-, et IRA -instituts régionaux
d'administration).
Il a par ailleurs précisé que, outre les dépenses
d'investissement du fonds pour la réforme de l'Etat (5 millions de
francs), les dépenses en capital correspondaient à
255 millions de francs destinés à des
" équipements en faveur de l'action sociale
interministérielle ". Il s'agit en réalité des
crédits qui figuraient dans le projet de loi de finances pour 1998 au
sein du titre III et étaient destinés en tant que
" provision exceptionnelle non reconductible " à accompagner
les négociations salariales dans la fonction publique (accord du
10 février 1998). Il a rappelé que la commission
s'était opposée, l'année dernière, à
l'adoption de ces mesures et que le rapporteur spécial des
crédits des services généraux du Premier ministre avait
également déposé un amendement de suppression, auquel il
s'associait.
Puis, il a présenté, de façon plus
générale, l'évolution des charges de personnel de l'Etat.
Il a relevé que, en 1999, les dépenses de fonction publique
progressaient de 6,8 % et dépassaient le seuil de 650 milliards de
francs, pour atteindre 652,1 milliards, soit 38,7 % du budget
général, contre 38,1 % en 1998.
Cette progression était principalement due, outre les effets de la
budgétisation de 14.822 millions de francs de pensions des
fonctionnaires de La Poste et les conséquences de la
professionnalisation des armées, aux conséquences de l'accord
salarial du 10 février 1998 dont le coût en 1999 pour le
budget de l'Etat a été chiffré à
14,8 milliards ; aux mesures catégorielles et aux transformations
d'emplois (1,9 milliard) ; à l'impact du
" GVT-solde " (3,7 milliards), ainsi qu'à la
dérive spontanée des dépenses de pensions
(5,85 milliards).
Il a également rappelé que la fonction publique de l'Etat
induisait des dépenses qui allaient au-delà de celles
liées aux fonctionnaires. Les dépenses totales, y compris les
subventions à l'enseignement privé, les pensions des anciens
combattants et les charges de personnel du budget de l'aviation civile
étaient, en 1999, de 717,4 milliards, en augmentation de 6,2 %.
En outre, il a souligné que la dépense " induite "
était liée à plus de 91 % à l'évolution du
point " fonction publique ". De ce fait, plus de 38 % des
dépenses du budget général de l'Etat étaient
indexées sur le point " fonction publique ".
Puis
M. Gérard Braun
a présenté ses principales
observations sur les crédits de la fonction publique et de la
réforme de l'Etat. Il a tout d'abord tenu à souligner que les
dépenses de la fonction publique échappaient au contrôle du
Gouvernement et présentaient une très forte inertie.
Il a indiqué qu'en 1998, les créations d'emplois civils avaient
repris, avec un solde positif de 621 emplois et que, pour 1999, le
Gouvernement affichait un solde nul : 2.358 créations de
postes civils compensées par autant de suppressions.
Il a souligné qu'il était cependant possible de diminuer les
effectifs nets de la fonction publique, sans pour autant perturber le bon
fonctionnement des services publics, comme le ministère de
l'économie en donnait lui-même l'exemple en baissant de 0,4 % les
effectifs budgétaires, soit 695 emplois, grâce à des
progrès de productivité.
Il a également relevé la très grande difficulté
d'arriver à chiffrer précisément les effectifs
réels de la fonction publique, la notion d'effectif budgétaire ne
rendant qu'imparfaitement compte de la réalité.
A propos des rémunérations des fonctionnaires de l'Etat, il a
souligné qu'entre 1990 et 1998, elles avaient progressé de
5 % par an, soit un gain annuel de pouvoir d'achat de 3,2 %, qui
était de plus de deux fois celui dont avaient
bénéficié les salariés du secteur privé.
M. Gérard Braun
a rappelé que l'accord salarial du
10 février 1998 coûterait à l'Etat, en 1999, 14,8
milliards de francs et se traduirait par un accroissement du pouvoir d'achat
des fonctionnaires, comme le souligne le rapport sur les
rémunérations publiques annexé au présent projet de
loi de finances, et non par une simple " préservation ", selon
les termes du ministère de la fonction publique.
Il a souligné que cet accord induisait une rigidité croissante
dans les dépenses publiques : ainsi une revalorisation de 1 %
du point fonction publique représentait un coût de
6,3 milliards de francs pour l'Etat et avait également des effets
sur les autres fonctions publiques et les dépenses induites. Le
coût total net, en ce cas, était de 11,2 milliards de francs.
Cet accroissement du poids des dépenses de rémunération ne
ferait que renforcer une situation relevée à de nombreuses
reprises par la Cour des Comptes.
Par ailleurs, il a souligné que les contours de l'emploi public
devenaient plus flous. En effet, plus d'un actif sur cinq est concerné
par le champ de la négociation salariale puisque, au-delà des
2,1 millions d'agents civils de l'Etat et de ses établissements
publics, il faut comptabiliser dans l'emploi public : les
460.000 agents des exploitants publics de la Poste et de France Telecom,
les 295.000 militaires (hors appelés du contingent), les
1,323 million d'agents de la fonction publique territoriale, les
681.000 agents de la fonction publique hospitalière, ainsi que
146.000 enseignants des établissements privés sous contrat
et 125.000 salariés des établissements de santé
privés à but non lucratif, tarifés en dotation globale.
Il a relevé que c'était la totalité de cette population
qui était concernée par la négociation salariale dans la
fonction publique, même si seule une partie de ses effets apparaissait
dans le budget de l'Etat. Il s'est par ailleurs inquiété de la
probable pérennisation des emplois-jeunes. En effet, les agents
employés par l'Etat, les collectivités territoriales et les
établissements hospitaliers ne l'étaient pas sous le même
statut : outre le " noyau dur " constitué des
titulaires, le solde était constitué de non titulaires tandis
qu'existe un troisième cercle d'agents. Ce dernier comprend, outre des
personnes bénéficiaires de contrats emploi solidarité,
dont le nombre est supérieur à 200.000, les
" emplois-jeunes " qui peuvent être considérés
comme des emplois publics, puisque l'Etat prenait en charge 80 % de leur
rémunération, et même 100 % pour ceux qui sont
recrutés par le ministère de l'intérieur ou de
l'éducation nationale.
M. Gérard Braun
a rappelé que cela représenterait
250.000 emplois à la fin de 1999 et 350.000 en l'an 2000
qui relèveront d'un statut quasi-public, conformément d'ailleurs
au souhait exprimé par le rapporteur spécial des crédits
de la fonction publique à l'Assemblée nationale, mais
également par le ministre de l'éducation nationale lors de son
audition par la commission.
Enfin, évoquant les retraites publiques, il a souligné que
celles-ci connaîtraient une " explosion programmée " en
raison d'une dérive forte et rapide du coût budgétaire. En
effet, si le coût brut des pensions était de 179,9 milliards
de francs en 1999, en progression de 4,8 % par rapport à 1998,
compte tenu des évolutions démographiques, le surcoût
était estimé à 79 milliards de francs dès 2010
par les services du ministère de l'économie.
Au travers des réflexions menées notamment par le Commissariat
général du Plan, il a indiqué que l'on pouvait esquisser
quelques pistes en ce domaine afin de faire face à cette
dérive : allongement de la durée de cotisation, prise en
considération des rémunérations accessoires ou
création d'une caisse autonome de financement de ces pensions.
Il a rappelé qu'en tout état de cause, il est indispensable
d'agir rapidement en ce domaine, puisque les premières
difficultés apparaîtront dès 2005 et qu'une première
étape consisterait à clarifier la situation en disposant à
l'image du rapport sur les rémunérations publiques joint au
présent projet de loi d'un document budgétaire " ad
hoc ". Il a ainsi souhaité que soit publié un " jaune
budgétaire " spécifique sur cette question.
Enfin, s'agissant de la réforme de l'Etat, de ses contours et de sa
portée, il a évoqué les
" valses-hésitations " du Gouvernement, en ce domaine. En
effet, après 18 mois de fonctionnement, ses orientations
n'apparaissent pas clairement, et on semble en rester au stade des
" déclarations d'intention ".
Il a tout d'abord souhaité que se poursuivent les réformes mises
en place, telles que la déconcentration. Il apparaissait
nécessaire de mettre fin à la situation qui faisait que 4 %
des agents des administrations centrales de l'Etat géraient encore un
tiers des crédits et prenaient toujours un quart des décisions
administratives individuelles. Il a par ailleurs évoqué la
question de la gestion patrimoniale de l'Etat ainsi que la nécessaire
modernisation de la gestion de la fonction publique, indiquant que trois
chantiers, au moins, devaient absolument être poursuivis : les
fusions de corps administratifs, l'enrichissement de la procédure de
notation et l'élargissement de la mobilité des fonctionnaires qui
pourrait conduire à l'avènement de " métiers "
au sein de la fonction publique. S'agissant de la formation et de l'ouverture
vers l'étranger des fonctionnaires, il a souhaité le
développement de la mobilité à l'étranger des
fonctionnaires français et que l'accentuation de la nécessaire
dimension européenne de la formation professionnelle. Il s'est par
ailleurs étonné qu'aucun crédit ne soit prévu en
1999 pour les opérations de délocalisation :
l'activité pour cet exercice budgétaire du fonds de
délocalisation était donc totalement dépendante d'un
éventuel abondement en loi de finances rectificative ou de reports de
crédits.
En conclusion, il a souligné que le Gouvernement tardait à
afficher ses priorités. La seule certitude claire était l'absence
de maîtrise de la négociation salariale, dont les effets pour les
finances publiques seraient très lourds. Néanmoins,
évoquant l'aménagement du temps de travail au sein de la fonction
publique, il a rappelé que la réflexion devait s'engager à
effectif constant. L'aménagement du temps de travail devait se traduire
non par un accroissement des effectifs de la fonction publique, mais par une
plus grande souplesse dans la gestion des horaires et, partant, une plus grande
efficacité au service des usagers des services publics. Par ailleurs,
s'agissant de la situation des hauts fonctionnaires, il importait de leur
assurer une progression de carrière motivante et une mobilité
accrue entre départements ministériels. A défaut se
développerait la " fuite des cerveaux " de la fonction
publique, phénomène qui serait particulièrement
préjudiciable au bon fonctionnement des services publics.
Il s'est enfin interrogé sur les traductions concrètes de la
circulaire du Premier ministre en date du 3 juin 1998 qui mettait en place
un programme pluriannuel de modernisation de l'administration, sur
l'état d'avancement de l'examen du projet de loi sur les droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations et souhaité que
le ministre puisse définir quel serait le rôle de la
délégation interministérielle à la réforme
de l'Etat qui venait de remplacer le Commissariat à la réforme de
l'Etat.
En conclusion, et sous réserve de ces observations,
M. Gérard
Braun, rapporteur spécial,
s'est déclaré favorable
à l'adoption des crédits concernés.
M. François Trucy
a tenu à remercier
M. Gérard Braun pour la qualité de sa présentation,
s'agissant d'un problème aussi complexe. A propos du financement des
retraites, il a par ailleurs évoqué les conséquences
budgétaires, pour l'Etat, du changement de statut de France
Télécom ainsi que, pour l'avenir, de celui d'EDF, de la SNCF ou
de la Poste.
M. Denis Badré
a souhaité obtenir des précisions
sur les modalités de calcul de la progression des dépenses de
retraite ainsi que des compléments d'information quant au nombre de
corps existant au sein de la fonction publique ou les perspectives de fusion de
certains d'entre eux.
Il
a par ailleurs déclaré partager le sentiment du
rapporteur spécial quant à l'inertie du Gouvernement en
matière de réforme de l'Etat et souhaité que se
développent tant la formation aux questions communautaires que la
participation de fonctionnaires français aux instances
décisionnelles de l'Union européenne.
En réponse à M. Roger Besse qui s'inquiétait de la
mise en place des 35 heures au sein de la fonction publique,
M.
Gérard Braun
a indiqué qu'elle ne devait pas entraîner
de création de postes et qu'en tout état de cause, il
était nécessaire de procéder au préalable à
un état des lieux précis de la situation, eu égard
à la spécificité de la fonction publique.
M. Gérard Braun
a par ailleurs précisé à M.
Denis Badré que le surcoût en termes de dépenses de
fonctionnement de la double localisation de l'ENA pouvait être
estimé à 16 millions de francs par an, mais qu'il ne
souhaitait cependant pas, à titre personnel, que celle-ci soit
" relocalisée ".
Puis, la commission
a adopté le rapport de
M. Gérard
Braun.