B. NATIONAL
Les
élections législatives du printemps 1997 marquent un tournant en
matière de politique autoroutière. Symboliquement, le ministre de
l'équipement et des transports a choisi, peu de temps après son
entrée en fonction le 9 juin 1997, de suspendre l'ouverture de
l'enquête d'utilité publique sur le tronçon central de
l'autoroute A 51 Grenoble-Sisteron.
Ces revirements sont légitimes en démocratie. En outre, plusieurs
nouveaux députés de la majorité de l'Assemblée
nationale avaient axés leur campagne électorale sur la remise en
cause de projets d'infrastructures dans leur région.
Les évolutions en matière de politique autoroutière se
manifestent à deux niveaux :
- le changement de climat politique permet la structuration des critiques
à l'encontre du modèle autoroutier français, aboutissant
à la mise en place d'une rhétorique nouvelle et d'un argumentaire
solide ;
- le caractère nécessaire de la réalisation du
schéma directeur n'est plus affirmé avec la même force, le
SRDN retrouvant soudain son statut de document purement consultatif.
1. La contestation du modèle autoroutier français
La structuration des différentes critiques formulées à l'encontre du modèle autoroutier français aboutit à la mise en place d'un argumentaire en quatre points :
a) Il faudrait rompre avec une " logique de l'offre "
"
L'essentiel du réseau autoroutier
français
est aujourd'hui constitué.
" Cette affirmation constitue le
point de départ de l'analyse que porte la Cour des comptes sur le
système autoroutier.
Dans le même sens, un conseiller d'Etat a pu écrire : "
le
sentiment que l'administration et le Conseil d'Etat avec celui-ci, qu'il soit
conseiller ou juge, ont mangé leur pain blanc, naît ainsi de la
raréfaction de l'espace. Compte tenu de la manière dont se
dessinent sur le territoire les activités économiques, force est
de faire passer dans le même couloir et l'autoroute et
l'élargissement de celle-ci, et la voie à grande vitesse. Les
populations qui croient avoir payé leur tribut à
l'intérêt général sont confrontées à
de nouveaux chantiers (...) il y aura bien un moment où il pourra
être nécessaire de dire que telle infrastructure n'est pas utile
ou que tel tronçon, viaduc ou tunnel, ne doit pas être
réalisé
"
34(
*
)
.
Le constat de l'arrivée à maturité du réseau
autoroutier français semble confirmé par des
éléments tangibles, tels que l'absence de congestion, les points
d'encombrement étant géographiquement circonscrits et
limités à quelques périodes de l'année. En
conséquence, l'effort devrait plutôt porter sur les liaisons
intra-urbaines, qui n'entrent pas dans le champs du schéma directeur,
réservé aux liaisons interurbaines.
Deux arguments viennent appuyer la préconisation d'une stabilisation de
l'offre autoroutière au niveau existant :
Le lien entre infrastructure autoroutière et développement
local est contesté
Le lien, aujourd'hui contesté, entre infrastructure et
développement local, est un principe fondamental de la doctrine
française et européenne de l'aménagement du territoire,
résumée ainsi par le rapport final du groupe de travail
" Autoroutes " mis en place par la Commission européenne,
daté d'octobre 1994 et consacré au financement des
infrastructures routières en Europe : la route
a
" un
impact direct sur l'économie mais également sur le
développement régional. En effet, on a montré que la route
était un facteur de développement si des mesures d'accompagnement
appropriées étaient prises. La route est également un
outil d'aménagement du territoire car elle améliore
l'accessibilité
".
Le Gouvernement issu des élections législatives de juin 1997
remet en cause ce principe. Ainsi, le ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement cite souvent l'exemple de la vallée de
Moiran-en-Montagne qui, bien que totalement enclavée, assure la
moitié de la production nationale de jouets. A l'inverse, la ville de
Dole, bien pourvue en matière d'autoroutes et disposant d'une gare TGV,
connaît un taux de chômage important.
L'impact des autoroutes sur l'activité économique serait encore
plus faible s'agissant des autoroutes concédées car, compte tenu
du péage, les points d'entrée sont moins nombreux que sur les
autoroutes gratuites. Ainsi, certaines autoroutes traversent des territoires
sans permettre aux habitant de ces régions d'en
bénéficier.
Enfin, le développement des autoroutes pourrait même avoir des
effets pervers, en transformant les régions nouvellement desservies en
banlieues des grands centres économiques.
Il faudrait tenir compte de " la demande "
Dans le cadre de la préparation du comité interministériel
d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 15
décembre 1997, la Gouvernement a demandé à l'institut
IPSOS Opinion de réaliser un sondage sur la conception de la politique
d'aménagement du territoire par les français. Les
résultats de cette enquête, "
réalisée
auprès de 959 personnes constituant un échantillon
représentatif de la population française âgée de
18 ans et plus interrogées par téléphone les 24 et 25
octobre 1997
", sont fréquemment cités par le
Gouvernement pour justifier les changements d'orientation. Ils ne sont pas
très favorables au mode autoroutier :
Les
français et l'aménagement du territoire
(enquête
IPSOS réalisée à la demande du Gouvernement en octobre
1997)
La
construction de grands équipements comme les autoroutes, les lignes TGV
à vocation européenne ou les universités arrive au dernier
rang des priorités identifiées par les personnes
interrogées
35(
*
)
, avec
24%, contre 77 % au soutien du développement économique et
de l'emploi au niveau local.
L'accroissement du réseau routier et autoroutier est jugé
prioritaire par 17 % des personnes interrogées et secondaire par
43 %, tandis que la réorientation du trafic de marchandise vers le
rail ou les voies navigables est considéré prioritaire par
50 % et secondaire par 18 % des sondés.
Enfin, l'Etat doit plutôt favoriser la construction d'équipements
de proximité (routes, dessertes locales de trains) pour 72% des
personnes interrogées, tandis que seulement 21 % se prononcent en
faveur de la construction de grands équipements tels que des autoroutes
ou des TGV.
Conforté dans ses présupposés, le Gouvernement à
décidé de rompre avec les schémas d'infrastructures tels
qu'ils étaient envisagé jusqu'ici. L'avant-projet de loi portant
réforme de la LOADT de 1995 envisage de remplacer les schémas
d'infrastructures modaux par des schémas de service multimodaux, qui
devraient permettre d'éviter la concurrence entre les modes et de
permettre un rééquilibrage au sein de l'existant, au
détriment de la route et au profit du fer.
Cette évolution est motivée par le sentiment, exprimé
devant la commission d'enquête par le ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement, que "
l'indice de satisfaction
vis-à-vis de l'élaboration de schémas d'infrastructures,
tant pour les élus demandeurs que pour les services ou les
opérateurs, est réglé sur le nombre d'infrastructures
nouvelles venant s'inscrire sur la carte. C'est la dynamique du " toujours
plus ", qui ignore fondamentalement les ressources ouvertes par une
meilleure exploitation du patrimoine existant (...) on sait bien que
l'amélioration de l'exploitation et l'optimisation du réseau
existant recèlent de potentialités considérables qu'il ne
faut pas occulter au seul bénéfice de la création de
nouvelles infrastructures
".
La philosophie du Gouvernement semble donc être celle d'un ralentissement
délibéré de la croissance des infrastructures, au profit
de la recherche d'une meilleure utilisation de l'existant.
b) Il faudrait mettre fin à une allocation absurde des ressources
L'allocation des ressources dans le cadre du système
autoroutier actuel est remise en cause à trois points de vue :
Le système autoroutier actuel aboutirait à un
surdimensionnement des investissements
Le cloisonnement entre le financement des autoroutes concédées,
financées par des emprunts gagés sur des péages, et celui
du réseau national, dépendant des crédits
budgétaires, aurait conduit à décider la construction
d'autoroutes concédées, neutres pour les finances publiques,
là où un aménagement des voies existantes aurait suffi.
Compte tenu des coûts de construction croissants des autoroutes et du
faible trafic prévu sur ces infrastructures, le financement privé
de ces liaisons à la rentabilité faible n'est possible que
grâce au mécanisme de l'adossement, qui permet à la
société concessionnaire d'une autoroute non rentable de financer
sa construction grâce à l'allongement de la concession d'une
section très profitable exploitée par elle. Or, lorsqu'un projet
privé n'est parfois même pas financé à hauteur de
50 % par ses usagers, il est permis de se demander si les limites du
système de l'adossement et de la péréquation entre les
sections exploitées par une même société ne sont pas
atteintes.
L'annulation par le Conseil d'Etat
36(
*
)
, le 28 mars 1997, de la
déclaration d'utilité publique de la section de l'autoroute A 400
entre Annemasse et Thonon, au motif qu'elle présentait "
un
intérêt limité
" et que son coût financier
au regard du trafic attendu suffisait, "
à lui seul
",
à disqualifier ce projet, doit être interprété comme
allant dans le sens de la thèse du surdimensionnement. En outre, le
commissaire du Gouvernement a considéré que le financement de
l'A 400 par les usagers, et non par des crédits budgétaires,
"
ne saurait justifier que l'on couvre la France
d'autoroutes
". Implicitement, c'est le système de la
concession avec adossement qui est ainsi remis en cause.
Le caractère d'utilité publique d'une infrastructure autoroutière selon le Conseil d'Etat, à travers l'exemple de l'A 400
La
décision du Conseil a été élaborée en
application de la méthode du bilan coût-avantage, inaugurée
en 1971 avec l'arrêt " Ville nouvelle est ".
Conformément à cette théorie, le juge administratif a tout
d'abord vérifié que le projet d'autoroute entre Annemasse et
Thonon présentait un intérêt public, avant d'analyser les
éventuels inconvénients de sa réalisation.
1. L'intérêt public de l'opération
Toute autoroute présente un intérêt public en soi du fait
de l'amélioration des conditions de circulation et de
sécurité. Toutefois, cet intérêt est inhérent
à toute liaison autoroutière, et ne saurait justifier à
lui seul un projet de cette ampleur. Le Conseil a utilisé d'autres
critères pour juger de l'intérêt de l'opération :
la connexion de l'autoroute
avec des axes de communication
internationaux : en l'espèce, le projet de connexion avec une autoroute
suisse ayant été abandonné, l'A 400 ne présentait
pas cet avantage ;
l'utilité de la liaison au regard du désenclavement
: le
Conseil avait retenu ce moyen en faveur de l'A 71 entre Bourges et
Clermont-Ferrand. Dans le cas l'A 400, le Conseil a considéré que
l'autoroute ne présentait qu'un intérêt local ;
la qualité de la desserte existante
: le Conseil a estimé
que les deux villes étaient déjà desservies par deux
trajets, de longueur inférieure ou égale à celle
prévue pour l'autoroute, comportant des deux fois deux voies et que, de
ce fait, la réalisation de l'infrastructure ne s'imposait pas.
Le Conseil a donc considéré que "
l'intérêt
que présente l'opération apparaît, dans les circonstances
de l'espèce, limité
".
2. Les inconvénients
les atteintes à l'environnement
il est arrivé au
Conseil d'Etat d'annuler un projet parce que celui-ci "
nuirait
gravement au caractère des lieux
" ou amputerait un site
protégé. Il a explicitement choisi de ne pas le faire dans le cas
de l'A 400 puisque la déclaration d'utilité publique a
été annulée "
sans qu'il y ait lieu de rechercher
si les atteintes à l'environnement seraient excessives ".
Le coût de l'opération
: les décisions
prononçant l'annulation sur la base d'un coût financier excessif
sont restées relativement rares dans la jurisprudence du Conseil.
Pourtant, s'agissant de l'A 400, "
le coût financier au regard du
trafic attendu (
10 000 véhicules jours pour un coût de 80
millions de francs le kilomètre, le coût moyen d'une autoroute de
plaine étant estimé par le commissaire du Gouvernement à
35 millions de francs le kilomètre
) doit être
regardé comme à lui seul excédant l'intérêt
de l'opération, et comme de nature à lui retirer son
caractère d'utilité publique
".
L'allocation actuelle des ressources traduirait une conception
singulière de l'aménagement du territoire
Cette critique est formulée à l'encontre du financement du
réseau routier par les contrats de plan entre l'Etat et les
région. En effet, les contrats en cours ont été
élaborés dans la perspective de consacrer plus de richesses aux
régions les moins favorisées. Mais, comme ces régions sont
celles où le trafic est le plus faible, elles ne sont pas celles qui
connaissent le plus de problèmes en matière de saturation du
réseau. Par conséquent, certains noeuds d'encombrement, tels
qu'en connaît par exemple la région Provence Alpes Côte
d'Azur, ne peuvent être résorbés faute de moyens.
La tradition consistant à baser la contractualisation sur les enveloppes
précédentes ne permettrait pas d'envisager des
redéploiements. De plus, le faible taux d'exécution du
XIème plan, par rapport aux précédents (70 % contre
plus de 90%) contribuerait à l'assèchement des ressources des
régions qui ont des besoins.
L'émergence d'un réseau à deux vitesses
Aujourd'hui, avec le renforcement des normes environnementales, les autoroutes
mises en service, à péage notamment, sont de très haute
qualité et sont sans cesse perfectionnées. Parallèlement,
les tronçons plus anciens, construits selon des normes moins exigeantes,
ne sont pas mises à niveau.
L'exemple du bruit est très révélateur. Sur certains
nouveaux tronçons, les coûts sont majorés de plusieurs
milliards de francs pour réduire les nuisances sonores de 60 à 55
décibels. Dans le même temps, les riverains d'autoroutes plus
anciennes restent soumis à 75 ou 85 décibels.
c) Le système autoroutier actuel se dirigerait vers une crise financière généralisée
La Cour
des comptes a estimé, dans son rapport public particulier de 1992
consacré à la politique routière et autoroutière de
la France, que "
le système autoroutier a été
développé en dehors de toute logique économique,
financière, juridique et comptable ; le maintien d'une organisation
aussi ambiguë n'est pas à même de garantir le
développement optimal de l'infrastructure de notre pays
".
Dès 1990, la Cour indiquait "
qu'une grave crise
financière n'est pas à exclure
".
Le point de vue, sévère, défendu par la Cour a longtemps
été isolé. Depuis les élections législatives
de 1997, il est également défendu par certaines administrations.
L'argumentaire contre le mode de financement du système autoroutier
tient en trois points :
Le système des " charges de structures différées
" constituerait un lourd handicap
Le mécanisme des charges différées constituerait un
dispositif d'incitation permanente à la construction d'autoroutes
nouvelles et à l'extension du réseau à des axes de moins
en moins rentables. Cette tendance est renforcée par le fait que
l'autonomie de gestion des sociétés autoroutières
d'économie mixte est en réalité très faible. Ces
dernières ne sont en effet pas en mesure de refuser à
l'administration la réalisation des sections pour lesquelles elles sont
pressenties.
D'un point vue comptable, ce mécanisme, qui avait une justification en
période de préexploitation des investissements, conduit à
mettre ou à retirer de l'actif des sociétés
d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes le montant des pertes
constatées. Il permet aux sociétés d'afficher
artificiellement un résultat comptable nul en toutes circonstances et
compromet la juste appréciation de la situation financière des
sociétés. En conséquence, l'Etat actionnaire ne peut
percevoir de dividendes alors qu'il assume beaucoup de risques.
Il serait donc souhaitable que les sociétés concessionnaires
évoluent vers un fonctionnement de réelles
sociétés, disposant de contraintes de fonds propres.
L'endettement des sociétés autoroutières est
jugé préoccupant
La dette contractée par les sociétés autoroutières
a augmenté de 50 % au cours des cinq dernières
années. L'encours total des prêts de la Caisse nationale des
autoroutes aux sociétés est passé de 78,7 milliards de
francs fin 1993 à 127,5 milliards de francs fin 1997.
Le poids total de la dette des sociétés d'autoroutes, capital et
intérêts, a dépassé 200 milliards de francs à
la fin de 1997 : il s'établissait à 186,1 milliards de
francs fin 1996 et à 202,5 milliards de francs fin 1997.
Cette forte augmentation est due à quatre facteurs :
l'accélération du programme autoroutier décidée en
1993, une évolution du trafic inférieure aux prévisions,
la hausse des coûts, et l'augmentation des prélèvements,
notamment de remboursement d'avances et le doublement de la taxe
d'aménagement du territoire, qui grève 10% du chiffre d'affaire
des sociétés.
L'augmentation de l'endettement du système autoroutier est
critiquée de trois points de vue :
- d'un point de vue macro-économique, l'endettement public ne se
justifie que s'il permet de procurer des avantages socio-économiques. La
rentabilité socio-économiques des nouvelles sections étant
jugée trop faible, la légitimité de la pression sur
l'épargne que constituent les emprunts des sociétés
autoroutières est mise en cause.
Toutefois, il est permis à ce stade de préciser que le
caractère d'établissement public de la Caisse nationale des
autoroutes, qui supporte l'endettement des sociétés
d'économie mixte, n'implique pas forcément que cet endettement
doive être considéré comme public. En effet, la dette des
sociétés autoroutières n'est pas comprise dans
l'endettement public au sens du traité sur l'Union européenne ;
- les paramètres essentiels sur lesquels reposent les concessions, le
trafic, les taux d'intérêts ou l'inflation, sont très
fragiles. Une surestimation, même légère, de l'un d'entre
eux peut modifier les recettes de plusieurs dizaines de milliards de francs,
mettant ainsi en péril la capacité des sociétés
à rembourser la dette ;
- le bilan comptable des sociétés concessionnaires est atypique.
Aujourd'hui, la dette est près de 130 fois plus élevée que
le montant cumulé du capital social des sociétés
d'économie mixtes. Dans le secteur privé et pour des projets de
l'ampleur d'une autoroute, la dette maximale représente ne
représente que 5 fois les capitaux investis.
Le système autoroutier comporte des " maillons
faibles "
Les sociétés autoroutières sont dans des situations
financières très diverses. La seule société
privée, Cofiroute, est en bonne santé. Il n'en va pas de
même pour l'ensemble des sociétés d'économie mixte,
en dépit des filialisations intervenues en 1994.
Deux sociétés ne sont pas en situation de rembourser leurs dette
avant le terme de leur concession. Il s'agit de la Société des
autoroutes Paris-Normandie (SAPN) et de la société du tunnel de
Fréjus (SFTRF), dans le capital de laquelle l'Etat n'est pas
majoritaire. Ces sociétés ont été mises en
difficulté par des investissements trop importants au regard de leur
taille, et dont les coûts ont dérivé (notamment la
réalisation de l'A 14 entre Orgeval et La Défense pour la SAPN).
Toutes deux ne pouvaient en effet " adosser " leurs investissements
que sur une seule section rentable, le tunnel du Fréjus pour la SFTRF et
l'A 13 pour la SAPN.
Ces deux sociétés ont été exclues du champ du
décret du 26 décembre 1997, qui a concédé
l'ensemble des sections faisant l'objet d'une déclaration
d'utilité publique favorable à la fin de 1997 et a allongé
en conséquence les concessions de chacune des sociétés
concernées.
Une troisième société pourrait rejoindre les deux
première si les paramètres de sa concession connaissaient une
modification. Il s'agit de la société ESCOTA dont, compte tenu de
l'évolution actuelle des paramètres, la dette ne serait
remboursée que quelques mois avant le terme de la concession.
D'autres sociétés connaissent des problèmes de moindre
importance. Par exemple, la SAPRR est obligée d'emprunter pour
refinancer sa trésorerie.
A la lumière de ces éléments, le président de la
septième chambre de la Cour des comptes a déclaré, devant
la commission d'enquête, que "
si le système autoroutier
n'est pas modifié et si l'extension du réseau autoroutier est
poursuivie en dehors de toute logique économique et financière,
il est clair qu'une crise financière de grande ampleur est
inéluctable, à terme, dans le secteur
".
d) Le droit communautaire rendrait nécessaire l'abandon du modèle autoroutier français
Depuis
les années 60, l'Etat français désignait les
concessionnaires de façon tout à fait libre. Avant la signature
de la concession, un concessionnaire était pressenti, de façon
à ce qu'il soit associé à la réalisation des
études.
Ce système est remis en cause par l'évolution du droit
communautaire, notamment la directive européenne dite " directive
travaux ", qui est entrée en vigueur le 22 juillet 1990, mais n'a
pas été immédiatement appliquée par la
France
37(
*
)
. A la suite de
discussions avec les institutions communautaires, la France s'est
engagée à solder avant le 31 décembre 1997 l'ensemble des
concessions fondées sur la notion de pressentiment.
Cet engagement a été respecté par le Gouvernement issu des
élections d'avril 1997, et s'est traduit par le décret du 26
décembre 1997 déjà cité. Depuis le 1er janvier
1998, aucun " pressentiment " accordé ne peut plus emporter
attribution automatique de la concession.
La mise en conformité de la France avec la directive a pris un
caractère d'urgence absolue à la suite de l'annulation par le
Conseil d'Etat de la concession de l'A 86, attribuée de gré
à gré à Cofiroute en dehors des règles
communautaires.
Le nouveau régime prévoit donc la publicité des appels
d'offre des nouvelles concessions afin de respecter les règles de la
concurrence entre les entreprises communautaires.
Cette évolution remettrait en cause le modèle français de
l'adossement, et plus précisément la pratique de l'allongement
des concessions. En effet, la Commission européenne considérerait
qu'il faille distinguer entre :
- l'adossement financier, d'une part, c'est à dire la
péréquation entre sections rentables et non rentables au sein du
réseau exploité par une même société.
Celui-ci serait compatible avec le droit communautaire ;
- l'allongement des concessions, d'autre part. Cette pratique est
assimilée à une concession nouvelle. Elle devrait donc faire
l'objet d'une mise en publicité spécifique en bonne et due forme,
et non plus être accordée à la société en
place.
La rentabilité des nouvelles sections concédées
étant très faible, l'interprétation de la directive
retenue par certaines administrations françaises équivaut
à remettre en cause les fondements du mode de financement des autoroutes
françaises.
Le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement l'a
d'ailleurs confirmé devant la commission d'enquête : "
Le
droit communautaire est un droit de la concurrence. L'obligation de
publicité ne se réduit pas à une obligation de pure forme.
L'égalité des chances entre les candidats interdit qu'un candidat
puisse, à la différence des autres, faire reposer une partie du
financement de l'ouvrage à construire sur les recettes procurées
par le reste du réseau.
Le déficit éventuel lié
à une section nouvelle doit être couvert par une subvention
publique
.
"
La contestation du modèle autoroutier français repose sur des
arguments de nature politique, juridique, économique, comptable et
financière émanant des plus nobles institutions de l'Etat. Ils
appellent donc de la part de la commission d'enquête une analyse
rigoureuse. Utilisés politiquement par le Gouvernement, ils servent de
support au tournant de la politique autoroutière.