B. UN SCHÉMA À LA VALEUR INCERTAINE
1. Un schéma qui n'est pas un document de programmation
En
dépit de sa prise en compte dans le cadre d'une planification
européenne, le schéma directeur national des lignes à
grande vitesse est doté d'une valeur incertaine.
A la lecture du rapport de présentation qui l'accompagne,
le
schéma publié en 1992 apparaît
plus comme une
déclaration d'intention que comme un effort de programmation de la
dépense publique.
On peut lire ainsi qu'"
un tel schéma a pour vocation
d'évaluer les besoins, avec suffisamment d'anticipation, compte tenu de
l'importance des délais de réalisation des lignes
". Sa
réalisation devait être décidée "
par
l'État et la SNCF dans le cadre des contrats de plan successifs en
tenant compte des enjeux de transport attachés à ces
éléments, des contraintes macro-économiques, de la
situation financière de la SNCF et du développement des liaisons
correspondantes dans les pays voisins
". La prudence de la
rédaction contrebalance à l'évidence les ambitions
exprimées dans l'énumération des projets envisagés.
Le schéma n'est au demeurant accompagné d'aucun
élément relatif au financement des lignes nouvelles. A
l'exception d'une estimation très approximative concernant le coût
moyen kilométrique de construction d'une ligne nouvelle, comprise entre
30 et 70 millions (soit du simple à plus du double), le document ne
comporte
aucune indication chiffrée
.
Cela apparaît d'autant plus regrettable que certains projets
présentent pour la SNCF des taux de rentabilité interne
très faibles, ce qui pose à l'évidence le problème
de leur financement par l'entreprise ferroviaire. C'est le cas en particulier
du TGV Normandie dont le TRI est de 0,1 %, selon les indications contenues
dans le rapport de présentation du schéma directeur.
Par ailleurs,
aucune échéance n'est fixée pour la
réalisation des lignes
inscrites au schéma directeur. Est
indiqué tout au plus que
" pour chaque axe, le schéma
directeur retient un niveau d'équipement possible dans une perspective
d'une vingtaine d'années
".
Comme l'indique le rapport de présentation, le schéma directeur
"
n'est pas un document de programmation
".
Il est donc
difficile d'y voir le résultat d'une politique de planification de
l'investissement ferroviaire
. Il importe de souligner qu'à la
même époque bon nombre de nos partenaires firent également
le choix de la grande vitesse ferroviaire ; néanmoins, certains pays
comme l'Allemagne l'accompagnèrent, à la différence de la
France, d'une véritable planification des investissements.
En Allemagne, le plan des infrastructures fédérales de transport,
le Bundesverkehrswegeplan (BVWP), adopté en 1992, prévoyait un
important programme d'investissement ayant pour objectif de doter le pays,
à l'issue de la période fixée pour sa réalisation,
soit 2012, d'un réseau ferré à grande vitesse d'une
longueur de 3.200 kilomètres, grâce à la création de
lignes nouvelles et à l'aménagement de lignes existantes.
Cependant, si l'ampleur des réalisations envisagées est à
peu près comparable à celui de la France,
les méthodes
de programmation des investissements diffèrent profondément
.
En effet, depuis 1973, la politique suivie en Allemagne en matière
d'infrastructures de transport est inscrite dans le plan des infrastructures
fédérales de transport (BVWP) élaboré par le
ministère des transports et approuvé par le Gouvernement
fédéral. Ce document fixe pour 10 à 15 ans les objectifs
de la politique d'investissement et énumère les projets de
construction, d'aménagement, de rénovation et d'entretien lourd
ainsi que les moyens de financement qui y seront affectés.
Décliné en deux plans relatifs aux grandes routes
fédérales, d'une part, et aux voies ferrées, d'autre part,
il est adopté par le Bundestag et fait l'objet d'une mise à jour
régulière grâce à l'élaboration de plans
quinquennaux.
Cette procédure présente aux yeux de votre commission deux
mérites essentiels : en premier lieu, elle permet une
réflexion globale intégrant les différents modes de
transport et, en second lieu, elle s'accompagne d'un effort de programmation
des investissements. On se rapproche là de la notion de loi de programme
dont la valeur serait incontestablement supérieure à celle d'un
schéma à l'image de celui arrêté pour les liaisons
ferroviaires à grande vitesse en 1992.
En outre, l'exemple allemand souligne
le caractère parcellaire du
schéma de 1992
. En effet, le BVWP concerne non seulement les lignes
à grande vitesse mais aussi les lignes existantes, et, à ce
titre, il prévoit que l'essentiel des investissements prévus
(soit 213,6 milliards de DM) soit consacré à
l'aménagement des voies et à la mise à niveau du
réseau de l'Est de l'Allemagne. Enfin, comportant un volet relatif au
transport combiné, il s'inscrit dans une perspective intermodale.
Il s'agit là, à l'évidence, d'une planification plus
proche de celle voulue par le législateur lors de l'adoption de la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire de 1995 que de celle mise en oeuvre pour l'élaboration du
schéma de 1992.
Votre commission souligne que, parmi les témoignages qu'elle a pu
recueillir, nombreux ont été ceux qui déploraient
l'absence d'une véritable planification des infrastructures ferroviaires.