M. JEAN-PAUL PROUST,
PRÉFET DES BOUCHES-DU-RHÔNE,
DE
LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D'AZUR
ET DE LA ZONE DE
DÉFENSE SUD
JEUDI 2 AVRIL 1998
M.
MASSON, président
.- Nous pouvons ouvrir la séance. Vous savez
que nous avons, ce soir, l'audition de trois personnalités
éminentes, puisqu'il s'agit de trois préfets, et que nous allons
commencer par M. le Préfet de Marseille.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Paul Proust
prête serment).
Je crois, mes chers collègues, que vous serez d'accord pour que nous
organisions les débats de telle sorte que nous ayons fini avant
16 heures, afin d'entendre ensuite M. le Préfet de Lille.
Monsieur le Rapporteur, je vais vous demander d'ouvrir le feu, comme
d'habitude, et de poser à M. le Préfet les questions que
vous souhaitez pour parfaire vos informations.
Je vous rappelle, Monsieur le Préfet, que la commission s'est
déplacée dans plusieurs préfectures -vous le savez-, que
nous avons déjà engrangé pas mal d'informations et que
nous avons d'ailleurs reçu de vos services, comme de tous les autres,
des documents qui nous ont permis d'étoffer largement notre futur
rapport.
M. BALARELLO, rapporteur
.- Monsieur le Président, je voudrais
tout d'abord exprimer publiquement nos remerciements à M. le
Préfet et à son collaborateur ici présent, qui ont
reçu la commission à Marseille de façon remarquable et qui
nous ont fait visiter tous les locaux où se déroule la
régularisation des personnes qui sont à l'heure actuelle en
séjour irrégulier en France.
Monsieur le Préfet, je vais vous poser une série de questions,
qui sont différentes de celles que nous vous avons posées sur
place, bien évidemment.
Tout d'abord, pouvez-vous nous indiquer la date prévisionnelle de fin de
l'opération de régularisation dans votre
département ? En effet, la situation est différente selon
les départements, mes chers collègues.
M. PROUST
.- Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs, en ce qui concerne la date prévisionnelle de la fin de
l'opération, je rappelle tout d'abord que l'opération
correspondant à la réception individuelle de chaque
étranger s'est terminée cette semaine. Il était
prévu qu'elle dure jusqu'au 31 mars, elle est donc terminée
et nous avons auditionné exactement 8 351 personnes,
c'est-à-dire celles qui sont venues aux convocations. Donc toutes les
personnes convoquées qui se sont présentées sont à
ce jour reçues.
Quant à la date prévisionnelle de fin d'instruction, elle est
prévue à la fin du mois d'avril, le 30 avril.
M. LE RAPPORTEUR
.- Cela m'amène à vous poser une question
subsidiaire : combien de demandes avaient été
déposées ?
M. PROUST
.- Au total, nous avons réceptionné
17 640 demandes à l'origine, mais il faut retirer de ces
dossiers les saisonniers agricoles, qui étaient au nombre de 2 405
et à qui on a notifié qu'ils ne relevaient pas de la circulaire,
puisqu'ils relèvent de l'autorisation temporaire donnée chaque
année. Il y a eu également plusieurs dossiers faisant double
emploi. Bref, nous arrivons à 13 410 dossiers.
M. LE RAPPORTEUR
.- A combien évaluez-vous les dossiers faisant
double emploi ?
M. PROUST
.- Nous les évaluons à 1 610. Donc nous
arrivons à 11.800 demandes, sur lesquelles nous avions
343 personnes qui étaient déjà en situation
régulière et qui avaient à tort déposé une
demande, 160 personnes qui étaient frappées de mesures
administratives ou judiciaires, donc qui ne pouvaient pas
bénéficier d'une régularisation, bien entendu,
531 personnes qui n'avaient pas donné d'adresse ou qui avaient
adressé une demande depuis l'étranger et que nous n'avons donc
pas considérées comme recevables et 535 personnes qui
relevaient de demandes de regroupement familial au titre de l'OMI et qui ne
relevaient pas non plus de cette procédure. Par ailleurs,
115 demandes ont été déposées hors
délai.
Si je retire toutes ces catégories, cela fait 11 941 dossiers
recevables, ce qui est un nombre assez considérable. Je rappelle en
effet que le département compte 1 850 000 habitants et
150 000 étrangers en situation régulière.
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur ces 11 941, vous en avez entendu 8 351.
Quid de la différence ?
M. PROUST
.- La différence, ce sont des personnes qui ne se sont
pas rendues à la convocation.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je suppose que vous nous laisserez une note
là-dessus, Monsieur le Préfet.
M. PROUST
.- Je vous laisserai un document qui reprendra tous ces
chiffres. La différence entre les 11 941 et les 8 351
personnes vient de celles qui ne se sont pas rendues, bien qu'elles aient eu
une convocation à une date déterminée, à cette
convocation.
Cela dit, parmi les 3 590 personnes qui ne sont pas venues, certaines
d'entre elles ont écrit. Evidemment, on peut imaginer qu'il y a
plusieurs raisons. Il peut y avoir simplement des erreurs d'adresse ; il
peut y avoir aussi la crainte de venir. Il peut y avoir de multiples raisons.
Toujours est-il que nous avons 3 590 personnes convoquées
à une heure déterminée qui ne sont pas venues.
Sur ces 3 590, nous avons eu quelques lettres. Il y a des personnes qui
ont dit : "On n'a pas pu venir mais on aimerait bien venir". Celles qui
nous ont écrit ou qui se sont manifestées d'une manière ou
d'une autre sont assez peu nombreuses : elles sont au nombre de 490. Ces
490 personnes vont faire l'objet, bien entendu, d'une nouvelle convocation
qui aura lieu dans le courant du mois d'avril. J'ai dit tout à l'heure
que tout le monde avait été entendu sauf celles-là,
puisque c'est une deuxième convocation qui leur est adressée pour
le mois d'avril.
Nous avons l'intention d'envoyer (mais nous ferons cela après la fin de
la procédure) une lettre de rappel à tous ceux qui ne sont pas
venus, car il se peut qu'il y ait des problèmes d'acheminement -je n'en
sais rien-, de telle sorte que tous ceux qui voulaient venir soient bien
informés et que l'on fasse le maximum pour qu'ils puissent venir.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous êtes d'accord, Monsieur le
Président ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui. Une petite question au passage, Monsieur
le Préfet. Quand vous avez fait une première approche de cette
procédure, à combien estimiez-vous le nombre de dossiers que vous
auriez à examiner, au tout début, quand le ministre disait qu'il
n'y en aurait qu'une dizaine ou une vingtaine de milliers ?
M. PROUST
.- Nous avons toujours donné des chiffres plus
élevés. Nous pensions tourner autour d'un chiffre de quinze
à vingt mille.
M. LE PRÉSIDENT
.- Dès le début, vous aviez donc
pronostiqué à vous seul un chiffre supérieur à
celui que M. le Ministre donnait sur le plan national ?
M. PROUST
.- Je parle bien de demandes et non pas de
régularisations. Nous avions avancé ce chiffre de
15 000 demandes.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous l'avez notifié au ministère
de l'intérieur dès le début ?
M. BOURLARD, Secrétaire général adjoint de la
préfecture
.- Pas tout à fait au début, parce qu'il
fallait voir comment les choses se passaient, mais, dès le début,
nous avions dit que nous tournerions autour de 15 000.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous l'aviez donc dit aux services, à
Paris ?
M. PROUST
.- Oui, mais peut-être pas tout à fait au
début. Nous l'avons dit quand on a mis la mécanique en route.
M. ALLOUCHE
.- Il serait étonnant que M. le Ministre ait
annoncé 10 000 à 15 000 dossiers au niveau
national. Nous vérifierons.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le ministre a dit qu'il pensait avoir une
vingtaine de milliers de dossiers. Nous avons le Journal officiel, les uns et
les autres.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je poursuis. Monsieur le Préfet, comment
vérifiez-vous concrètement que le demandeur ne représente
pas une menace pour l'ordre public ?
M. PROUST
.- Dans un certain nombre de cas de figure, nous demandons une
enquête de police complémentaire du casier judiciaire.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quand vous avez reçu le casier ?
M. PROUST
.- Si nous avons quelque doute, nous demandons une
enquête de police.
M. BOURLARD
.- Nous les repérons déjà sur AGDREF.
Dès que la demande est enregistrée, nous vérifions sur
AGDREF que la personne n'est pas recherchée, et également sur le
fichier Schengen. Il y a des vérifications qui se font au départ.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les comptes rendus des missions menées par
M. Galabert et par l'Inspection générale d'administration
vous ont-ils été communiqués ?
M. BOURLARD
.- M. Galabert est venu deux fois à Marseille
pour nous dire ce qui se passait dans les autres préfectures.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il est venu deux fois dans chaque
préfecture ?
M. BOURLARD
.- Oui, il est venu deux fois, mais nous n'avons pas eu de
compte rendu de ses missions.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quel a été le coût global de
l'opération de régularisation dans votre département ?
M. BOURLARD
.- Je n'ai pas fait un total, mais je peux vous dire que nous
avons eu au total 101 mois-vacataires, dont 41 mois en 1997,
45 mois en 1998 et 15 mois supplémentaires qui nous ont
été notifiés il y a un mois. Nous arrivons donc à
101 mois-vacataires, ce qui représente huit postes à temps
complet pour la période.
Nous avons eu 390 000 francs pour l'informatisation et la mise en
état des locaux nécessaires à l'opération et nous
avons eu, jusqu'à présent, 75 000 francs pour les
heures supplémentaires. Ce qui fait environ 20 000 francs par
mois d'heures supplémentaires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je suppose que vous n'avez pas eu de problèmes
pour le renouvellement des vacataires. Quel en est le profil ? Vous nous
aviez dit que c'étaient généralement des étudiants.
C'est bien cela ?
M. BOURLARD
.- Oui. Nous avons cherché des étudiants en
droit. Le problème, c'est que cela nécessite une formation
relativement poussée, ce qui fait que les vacataires en question sont
utilisables pendant une période relativement courte. Certes, il est
préférable d'avoir des agents formés à ce type
d'action, mais je dois dire que, globalement, les vacataires que nous avons
choisis ont vraiment rempli leur mission dans de très bonnes conditions.
M. PROUST
.- Je précise qu'ils ne participent pas à
l'instruction proprement dite.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous nous aviez expliqué leur mission
très exactement.
Avez-vous reçu des consignes particulières permettant d'assurer
la continuité entre la circulaire et les dispositions du projet de loi
relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en
France qui est en cours d'examen par le Parlement ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment va se passer la transition, ou
l'amalgame ? Je suppose que vous avez des dissonances. Vous connaissez le
projet de loi ?
M. PROUST
.- Bien sûr.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc comment cela va-t-il se passer ?
M. PROUST
.- Je dois dire que la recommandation a été
effectivement de tenir les délais, de telle sorte qu'il n'y ait pas
superposition, c'est-à-dire que nous ayons achevé
"l'opération circulaire" avant la mise en oeuvre de la loi.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce sont des instructions que vous aviez
reçues du ministre ?
M. PROUST
.- Oui. C'est d'ailleurs pour cela que nous tenons tant aux
dates indiquées par rapport à la prévision approximative
de la promulgation de la loi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les consignes résultent de
télégrammes ou de circulaires ?
M. BOURLARD
.- C'était dans la circulaire et cela a
été dit également au cours des réunions. J'ajoute
qu'un certain nombre de gens qui relèvent du dispositif continuent
à pouvoir déposer une demande jusqu'à la date
d'intervention de la loi. C'est le cas des étudiants, des
réfugiés et d'un certain nombre de personnes. Nous appliquons
strictement les consignes, comme l'a dit M. le Préfet, à savoir
qu'il ne faut pas de télescopage entre la loi et le dispositif actuel.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les délais étaient dans la
première circulaire, n'est-ce pas ?
M. BOURLARD
.- Non, pas la date du 30 avril.
M. LE PRÉSIDENT
.- Quand vous a été fixée
cette date du 30 avril ?
M. PROUST
.- Elle a été donnée directement par le
ministre comme ultime délai pour les gros départements qui
avaient une très lourde charge, ce qui n'est pas forcément le cas
de l'ensemble des départements, qui pouvaient terminer plus tôt.
M. LE RAPPORTEUR
.- Combien d'invitations à quitter le territoire
avez-vous transmis à l'OMI ?
M. BOURLARD
.- Nous avons transmis tous les refus, c'est-à-dire
actuellement 1 090 dossiers.
M. LE RAPPORTEUR
.- Actuellement. Savez-vous combien vous en aurez,
à peu près ?
M. PROUST
.- On peut en avoir une petite idée, bien que le
pourcentage de refus s'accroisse considérablement au fur et à
mesure que le temps passe, parce que les dossiers les plus simples sont
arrivés les premiers et qu'ensuite, sont arrivés les dossiers les
moins bons, si je puis dire, par rapport aux critères. Cela fait
qu'actuellement, sur les 8 000 dossiers et quelques,
3 767 ont fait l'objet d'une notification, d'une décision.
M. LE RAPPORTEUR
.- De refus ?
M. PROUST
.- Non, d'une décision. Parmi ces 3 767, nous avons
2 677 régularisations, dont 160 autorisations provisoires
(il s'agit des malades), et nous avons notifié 1 090 refus.
Cela fait qu'actuellement, le taux de refus est de 33 %.
Maintenant, au mois d'avril, nous sommes en train d'instruire tous les autres
dossiers, c'est-à-dire les 4 584 cas. A titre indicatif, je
peux vous indiquer que le taux de refus des dossiers que nous instruisons
actuellement est passé à 55 % et qu'il est probable que,
lorsque nous allons arriver vers la fin, nous serons plutôt à
70 %.
Donc mon estimation approximative est de l'ordre de 50 %, mais c'est
approximatif, et je tiens à préciser que cela ne peut pas
être pris comme un chiffre définitif tant que nous n'avons pas
achevé l'instruction. Nous devrions donc arriver autour de 50 % non
pas des demandes mais des 8 351 dossiers considérés
comme recevables et examinés.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Quel sort avez-vous
réservé aux étrangers qui ont fait l'objet d'une
invitation à quitter le territoire avant la publication de la circulaire
du 19 janvier 1998 relative à l'aide au retour ?
M. PROUST
.- Nous avons notifié le refus en même temps que
la nécessité de quitter le territoire, bien entendu, et nous
avons notifié les dispositions de la circulaire sur les avantages au
retour qui pouvaient être apportés.
M. LE RAPPORTEUR
.- A tout le monde, même à ceux qui avaient
fait l'objet d'un refus au préalable ?
M. PROUST
.- Aux 1 090.
M. BOURLARD
.- A tous. Nous n'avions pas encore la circulaire, mais nous
l'indiquions déjà dans notre lettre d'invitation à quitter
le territoire puisque c'est simplement le montant qui a changé, en
l'occurrence, et qui est passé de 1 500 F à
4 500 F par personne. Le dispositif existait déjà et,
par conséquent, nous notifiions déjà aux
intéressés la possibilité d'une aide au retour. Nous avons
simplement remis dans l'enveloppe la petite brochure qui nous a
été fournie par l'OMI indiquant que les dispositions avaient
été améliorées et que, désormais, ce
n'était plus 1 500 F mais 4 500 F, plus une
assistance éventuelle.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous l'avez fait à tout le monde ?
M. PROUST
.- Oui, systématiquement. Les 1 090 ont
reçu ces informations.
M. LE RAPPORTEUR
.- Le télégramme du ministère de
l'intérieur du 26 janvier 1998 vous enjoignant de ne pas
prendre d'arrêté préfectoral de reconduite à la
frontière avant le 24 avril 1998 a-t-il été
suivi d'autres instructions complémentaires ?
M. PROUST
.- Non. Puisque c'est le délai de trois mois à
partir de la circulaire qui avait été fixé par le
ministre, nous attendons le 24 avril et, à partir de cette date,
nous prendrons les arrêtés de reconduite à la
frontière.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment les notifierez-vous ?
M. PROUST
.- Nous les notifierons aux adresses que nous avons, par lettre
recommandée.
M. LE PRÉSIDENT
.- Aux adresses qui figurent dans les
dossiers ?
M. PROUST
.- Bien évidemment.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous indiquer le nombre de demandeurs
d'aide au retour "majorée", si je puis dire, que vous avez
reçus ?
M. BOURLARD
.- Nous en avons eu trois à ce jour.
M. LE RAPPORTEUR
.- Nous parlons bien de l'aide au retour majorée
par la circulaire du 19 janvier 1998, qui a prévu de passer de
1 500 à 4 500 F, la moitié versée ici
et l'autre moitié versée dans le pays. Vous n'en avez donc que
trois. Comment expliquez-vous ce faible nombre de demandes ?
M. PROUST
.- Je crois qu'ils ne veulent pas trop se manifester.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais quelles en sont les raisons, Monsieur le
Préfet ? C'est un phénomène particulièrement
grave. Tout le monde a bien compris que l'aide au retour est une
procédure destinée à faciliter la transition d'une
situation de non-droit en France vers une situation d'établissement dans
le pays du retour avec une aide de la République. Comment expliquez-vous
que cela ne marche pas ? Est-ce que l'information a été mal
faite ?
M. BOURLARD
.- Je pense que l'information a été assez bien
faite, bien que l'on ait adressé les nouvelles brochures assez
tardivement, puisqu'on n'a pas pu le faire dès le début. Cela
dit, il est vrai que les intéressés qui ont reçu un refus
hésitent à aller quelque part dire : "
Je suis toujours
là
", parce qu'ils savent par ailleurs qu'à partir du
24 avril, ils seront sans doute reconduits à la frontière.
M. PROUST
.- Il faut préciser que, sur les 1 090, beaucoup de
personnes essaient, après avoir eu notification du refus et, bien
évidemment, avant de faire toute démarche pour obtenir les
4 500 F, tous les recours que la loi leur permet.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous allons revenir sur les recours.
M. PROUST
.- Beaucoup d'entre eux ayant déposé un recours,
ils ne demandent pas l'aide, bien entendu.
M. LE RAPPORTEUR
.- Combien de recours gracieux avez-vous reçus
à ce jour ?
M. BOURLARD
.- 70 % des refus.
M. LE RAPPORTEUR
.- 70 % des refus ont fait l'objet d'un recours
gracieux. Avez-vous des recours contentieux ?
M. BOURLARD
.- Une centaine.
M. LE RAPPORTEUR
.- C'est important. Sur quelle argumentation sont
fondés les recours contentieux ? Y a-t-il beaucoup de droits
d'asile ?
M. BOURLARD
.- Il y a surtout des erreurs manifestes
d'appréciation, ce qui est traditionnel, si je puis dire. Il ne s'agit
pas du tout du problème du droit d'asile. On vise surtout l'erreur
d'appréciation du préfet qui n'a pas pris en compte de la
manière souhaitée les éléments
présentés par les étrangers qui ont essuyé un
refus.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que ce sont des associations qui formulent des
recours ou des avocats ?
M. BOURLARD
.- Aucune association, à ce jour, n'a
déposé un recours contentieux, mais elles font des recours
gracieux. Ce sont donc en majorité des avocats qui déposent des
recours contentieux ainsi que l'écrivain public, puisque nous avons la
chance d'en avoir un.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en viens à ma dernière question. A
l'expiration du délai fixé par la circulaire, vous aurez un grand
nombre de personnes non régularisées à éloigner.
Comment envisagez-vous concrètement de procéder à
l'éloignement de ces personnes ? Le fait que ces personnes soient
identifiées par vos services vous paraît-il de nature à
faciliter leur éloignement du territoire, et pensez-vous
réellement que ces personnes seront effectivement
éloignées du territoire ?
M. PROUST
.- Cela fait plusieurs questions. Concrètement, nous
suivons la procédure que la circulaire a prévue,
c'est-à-dire que nous prendrons des arrêtés de reconduite
à la frontière. C'est la première chose. A partir de ce
moment-là, nous ferons comme nous l'avons toujours fait,
c'est-à-dire que les services de police, dans les délais qui ont
été fixés dans l'arrêté, seront
habilités à appréhender ces personnes et pourront donc
exécuter la reconduite à la frontière, sous
réserve, évidemment, du contrôle par les tribunaux. Je ne
pense pas qu'en soi, il y ait là une novation ni un problème
particulier.
Les reconduites à la frontière continuent ; il y en a tous
les jours. Donc ces personnes tomberont sous le coup de la reconduite à
la frontière.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ne croyez-vous pas qu'elles vont demander un
nouvel examen à la suite de la promulgation de la loi ?
M. PROUST
.- Y en a-t-il beaucoup qui tomberont sous le
bénéfice de la loi ?
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est une appréciation que vous porterez
vous-même.
M. BOURLARD
.- De toute façon, dès lors que nous aurons
pris l'APRF, nous pourrons l'exécuter. Qu'ils fassent une nouvelle
demande ou non, cela n'a aucune influence sur la suite administrative.
M. LE PRÉSIDENT
.- La procédure veut que vous leur disiez
qu'ils ont à se préparer à partir.
M. BOURLARD
.- C'est ce que l'on fait dans chaque lettre.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ils doivent aussi, dans le délai d'un
mois, vous donner l'endroit où ils vont.
M. BOURLARD
.- Oui, mais cela ne s'est jamais fait auparavant non plus.
Nous n'avons jamais reçu de lettres de gens qui nous disaient qu'ils
allaient partir. C'était uniquement par les services de police que l'on
arrivait à les faire repartir. Je n'ai jamais, depuis deux ou trois ans,
reçu de lettres disant : "Je vais partir demain matin".
M. PROUST
.- Il y a probablement les trois personnes qui ont
demandé les 4 500 F qui vont le faire, mais les autres feront
comme elles font d'habitude, c'est-à-dire que ce sont les services de
police qui devront les appréhender
M. BOURLARD
.- Je dois dire que, dans notre département, le
chiffre de reconduite à la frontière est peut-être l'un des
meilleurs de France, puisque ce taux est de 50 % par rapport aux
arrêtés qui sont pris.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les recours ne sont pas suspensifs, en la
matière. Donc je suppose que vous ne tiendrez pas compte des recours et
que vous appliquerez la loi.
M. PROUST
.- Nous appliquerons la loi.
M. LE PRÉSIDENT
.- Qu'est-ce qu'ajoute l'identification par les
services ?
M. BOURLARD
.- Cela ajoute que, dans nos dossiers, nous avons, pour le
moment, une copie du passeport, ce que nous n'avons pas toujours lorsque nous
éloignons quelqu'un. En effet, un certain nombre de personnes ont perdu
leur passeport et il faut donc des laissez-passer consulaires. Nous avons la
chance, à Marseille, d'avoir 70 consulats. Donc il n'est pas
très difficile de les obtenir, d'une manière
générale, mais cela demande des délais et nous n'avons pas
toujours les laissez-passer dans les délais voulus quand la personne est
en rétention. Donc cela devrait améliorer les reconduites
à la frontière, puisque nous avons la certitude de la
nationalité de la personne.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en ai terminé, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il y a une question que vous avez posée,
Monsieur le Rapporteur, et à laquelle M. le Préfet n'a pas
donné son sentiment personnel. Pensez-vous réellement que ces
personnes seront éloignées du territoire, Monsieur le
Préfet ?
M. PROUST
.- Je le pense, mais selon le taux habituel de résultat
que nous avons, c'est-à-dire au taux de 50 %. Nous allons prendre
systématiquement les arrêtés. Jusqu'à maintenant,
nous avions 50 % de résultat et nous ferons le maximum pour avoir
plus de 50 %, mais je prévois d'essayer d'obtenir le
résultat que nous avons habituellement et qui est de l'ordre de
50 %.
M. BOURLARD
.- Ce qui n'est pas mal.
M. PROUST
.- C'est une réponse d'intuition, parce que je n'ai pas
d'éléments nouveaux qui peuvent me permettre de penser qu'on
arrivera à faire moins bien ou mieux qu'avant. Donc je pense que l'on
arrivera à peu près au même taux.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, il est
15 h 31 et je pense donc qu'il y a de quoi vous permettre de poser
quelques questions complémentaires à M. le Préfet.
M. CALDAGUES
.- Je voudrais vous demander, Monsieur le Préfet,
comment, actuellement, se répartissent les moins de 50 %, si j'ai
bien compris, des arrêtés de reconduite à la
frontière non exécutés, comment se répartissent les
causes de ce défaut d'exécution entre décisions
judiciaires ou différentes catégories d'impossibilités
matérielles.
M. BOURLARD
.- Nous avons des statistiques. C'est "moitié
moitié" par rapport à ce qui sort du pénal. Nous avons
instauré, avec les services pénitentiaires, des relations tout
à fait coordonnées. On nous signale systématiquement les
sorties de prison dans des délais tout à fait compatibles avec ce
qui concerne l'éloignement et nous avons un taux de 50 % à
cet égard. Par ailleurs, nous avons un taux de 50 % sur des
arrêtés préfectoraux ou ministériels que nous
prenons pour des personnes que nous reconduisons.
Par conséquent, le taux est à peu près équivalent
d'un côté comme de l'autre, mais nous avons vraiment mis en place,
avec les services de la DICCILEC et les services pénitentiaires, une
coordination tout à fait efficace.
M. PROUST
.- Si j'ai bien compris la question, dans les 50 % que
nous n'arrivons pas à reconduire, vous voulez savoir quelles sont les
causes judiciaires (notamment parce qu'il y a eu des recours qui ont abouti
positivement) et le nombre de cas pour lesquels on n'a pas retrouvé
l'intéressé.
M. CALDAGUES
.- Ou bien parce qu'on n'a pas pu l'embarquer.
M. BOURLARD
.- La plus grosse part des difficultés vient des
laissez-passer. Nous avons de bonnes relations avec les consulats, avec
lesquels nous travaillons tous les jours, qui nous permettent d'avoir le
maximum de laissez-passer, mais un certain nombre d'entre eux arrivent dans des
délais qui ne permettent pas l'exécution de la décision.
C'est la cause principale.
Ensuite, bien entendu, nous n'arrivons pas toujours à appréhender
les gens. Quand on prend un arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière, il faut trouver la personne. Les
annulations par le juge judiciaire sont très peu importantes, en
définitive.
M. PROUST
.- Dans la majorité des cas, la police ne les trouve pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- La parole est à M. Allouche.
M. ALLOUCHE
.- Merci, Monsieur le Président. Avant de poser une
question à M. le Préfet, je voudrais, à ce stade des
travaux de notre commission depuis plusieurs semaines, dire combien, pour ce
qui me concerne et pour ce que j'ai pu constater, là où je suis
allé, le travail effectué par les services préfectoraux
était d'une qualité exceptionnelle. Ce n'est pas extraordinaire,
c'est un travail quotidien, mais, compte tenu de la tâche qui vous
était donnée, il faut souligner le travail tel qu'il est fait
dans les préfectures, surtout lorsqu'on a affaire à des cas d'une
extrême difficulté.
Monsieur le Préfet, à ce stade, puisque nous sommes à
trois ou quatre semaines de la fin de la procédure qui a
été prévue, vous est-il possible de nous dire, sans tirer
de conclusions définitives, quels sont les enseignements que vous tirez
de cette opération de régularisation ?
M. PROUST
.- Monsieur le Sénateur, vous me posez une question
difficile et importante...
M. LE PRÉSIDENT
.- ...mais intéressante.
M. PROUST
.- Personnellement, je voudrais souligner une chose concernant
la méthode de travail, la définition des critères de la
circulaire et, surtout, la manière de les appliquer concrètement.
Au début de l'opération, j'ai tenu personnellement, avec mes
collaborateurs, et surtout ceux qui allaient s'en occuper au quotidien,
à présider moi-même les premières commissions
d'instruction, c'est-à-dire que l'on prenait cent dossiers au hasard,
parmi les premiers reçus, et qu'on les examinait pour essayer de voir,
concrètement, par rapport à la circulaire, comment on allait les
traiter.
A partir de là, c'est-à-dire à partir de cas concrets dans
le cadre de l'examen des quelques centaines de premiers dossiers, nous avons
défini des critères qui allaient être les nôtres pour
essayer d'apprécier ces dossiers. Parmi ces critères, nous avons
considéré que nous serions intraitables vis-à-vis des
dossiers pour lesquels il y avait un problème d'ordre public,
c'est-à-dire pour tous ceux qui avaient un passé de
délinquant.
Deuxièmement, nous avons considéré que nous devions
traiter sans complaisance, mais avec humanité, tous les dossiers qui
posaient des problèmes familiaux, c'est-à-dire ceux pour lesquels
il y avait une grave perturbation de la vie familiale si on ne les prenait pas
en considération, en dehors de l'automaticité de certains
critères de la circulaire. Je parle des cas pour lesquels il y a une
marge d'appréciation. Nous avons estimé que nous prendrions ces
dossiers en considération.
En revanche, nous avons considéré que nous regarderions les
dossiers de célibataires qui ne posaient pas de problème d'ordre
public mais qui ne posaient pas non plus de problèmes familiaux au
regard du critère d'intégration dans notre société
française.
Ce sont les trois éléments que nous avons pris en
considération. Autrement dit, intraitables en cas de délinquance,
ouverts aux situations familiales humanitaires qui se présentaient et
d'une relative sévérité vis à vis des
célibataires, en prenant en compte le niveau d'intégration dans
la société. Voilà les trois critères que nous avons
arrêtés.
Ce que je vous dis n'est pas une théorie que l'on a
développée. Cela s'est traduit à partir de l'examen de cas
très concrets et c'est ce que la commission a continué à
faire.
Certes, le travail que nous avons fait n'est sûrement pas parfait et nous
pouvons nous tromper, bien sûr, mais je crois pouvoir dire, malgré
tout, que les situations qui seront régularisées à la
suite de cette action, soit environ 4 000 personnes dans le cas des
Bouches-du-Rhône, résoudront des problèmes humanitaires et
familiaux aigus qui existaient et, d'un autre côté, ne viendront
pas aggraver nos problèmes d'ordre public ni le flux d'immigration.
Personnellement, je porte donc un jugement globalement positif. Nous avons
essayé de faire au mieux en appliquant les critères que je vous
ai indiqués, mais sans prétendre à la perfection, encore
une fois. Nous aurons commis des erreurs, mais je crois que nous aurons, en
toute conscience, essayé de traiter ce problème à la fois
avec humanité et fermeté, comme nous l'avait d'ailleurs
demandé le ministre de l'intérieur. Personnellement, je
considère que ce sera une action plutôt positive. Du moins, je la
ressens comme telle, puisque vous m'avez demandé une sentiment
personnel.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais quels sont les enseignements à en
tirer, Monsieur le Préfet ? Cela a été le mot
clé de l'interrogation de M. Allouche. Est-ce qu'on aurait pu faire
mieux avant ? Est-ce que, avec plus de moyens, vous auriez fait
différemment ? Est-ce que, avec plus de moyens encore, vous
pourriez faire mieux ? Vous avez maintenant une actualisation des moyens
et, peut-être, une meilleure organisation. Vous avez un service des
étrangers assez faible à Marseille et assez difficile à
tenir, de tout temps.
M. PROUST
.- Vous me posez une question sur les moyens ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Je vous pose celle des enseignements.
M. PROUST
.- Je vous ai dit tout à l'heure que la population
étrangère des Bouches-du-Rhône était de
150 000 personnes actuellement. Il est clair aussi que nous sommes le
grand port face à l'Afrique du nord, et vous connaissez toutes les
traditions de Marseille et ses rapports au Maghreb. Vous connaissez aussi la
situation en Algérie. Nous sommes soumis -c'est vrai- à une
pression particulière à Marseille.
Je crois que c'est certainement l'un des départements de France qui, par
rapport à l'émigration en provenance maghrébine, est
soumis aux plus fortes pressions pour de nombreuses raisons historiques.
Maintenant, vous me demandez si nous avons les moyens suffisants en termes de
service des étrangers et je vous dirai que, bien sûr, nous
aimerions avoir davantage de moyens. Je ne vais pas vous dire que tout va bien
pour conduire à bien cette opération. Nous avons eu beaucoup de
mal à la conduire à bien et nous avons parlé de
vacataires, d'heures supplémentaires, etc. Cela dit, il est clair que ce
n'était pas la seule opération et que si nous avons
commencé lentement, c'est parce que c'était la rentrée
universitaire et que, dans le même temps, nous avions à traiter
des milliers de dossiers d'étudiants étrangers. Nous avons
dû différer un peu les choses, c'est-à-dire monter en
puissance lentement, parce qu'il fallait assurer l'immédiat, qui
était la rentrée universitaire.
Par conséquent, en termes de moyens, il est vrai que, pour les gros
départements, d'une manière générale (mais je ne
sais pas ce que vous diront mes collègues), il y a peut-être des
redéploiements à effectuer pour tenir compte du fait que certains
départements sont plus exposés que d'autres et ont un traitement
des étrangers plus lourd que d'autres.
Pour le reste, l'enseignement que je tire, c'est que, par rapport aux
situations que nous voyons (je ne dis pas que l'on voit toutes les
situations : il fallait que les gens se manifestent et viennent
déposer un dossier), il me paraît qu'un traitement humain normal
mais sévère s'exerce. Le problème des moyens et de
l'efficacité se pose plus, à mon avis, au niveau des services de
police. Notre vrai sujet, c'est celui de faire exécuter les
décisions et non pas tellement la prise des décisions.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce n'est pas nouveau.
M. PROUST
.- Ce n'est pas nouveau, mais le chiffre que je regrette, c'est
que l'on n'assure que 50 % d'exécution des décisions que
nous prenons. C'est le regret que j'ai. Cela dit, les choses ne sont pas
faciles ; je ne dis pas que la police ne fait pas son travail. Je dis au
contraire que son travail est très difficile et qu'elle a autre chose
à faire mais qu'en termes de moyens, on a quand même une
difficulté à cet égard : celle de faire
exécuter les décisions qui sont prises. Cela ne devrait pas
être 50 % mais 95 %. C'est vrai.
M. LE PRÉSIDENT
.- D'autres questions, mes chers
collègues ? La parole est à M. Blaizot.
M. BLAIZOT
.- Si l'on en croit la presse, les intéressés
s'appellent des "sans papiers". Comment fait-on pour faire constituer un
dossier à quelqu'un qui est sans papiers ? Peut-être, tout
simplement, ceux qui sont sans papiers ne se présentent pas, ne
demandent rien et continuent à vivre dans la clandestinité.
A-t-on un moyen, dans ce cas-là, d'apprécier quels sont ceux qui,
n'ayant aucun moyen de justifier quoi que ce soit, pas même leur
identité, soit qu'ils n'aient jamais eu de papiers, soit qu'ils les
aient détruits (car il paraît que cela rentre aussi dans leurs
habitudes), échapperont totalement à cette régularisation
qui a été engagée par le ministre de l'intérieur,
qui sont dans la nature et qui y restent, et comment la situation de ces
intéressés peut-elle évoluer ?
M. PROUST
.- Là aussi, vous me posez une question difficile, parce
que, par définition, on ne les connaît pas, puisqu'ils ne se sont
pas manifestés et qu'ils ne se manifestent pas. Il est vrai (on le voit
justement par le hasard des contrôles de police) qu'un certain nombre de
personnes sont sans papiers et n'ont pas cherché à obtenir des
régularisations. Je suis incapable d'en apprécier exactement le
nombre et je peux dire qu'il n'y a que le contrôle de police qui peut les
déterminer.
M. BLAIZOT
.- Au hasard de la chance.
M. PROUST
.- Cela dit, le dispositif de régularisation a eu un
effet positif dans le domaine du travail "au noir". En effet, dans les
critères d'intégration dont je parlais tout à l'heure, il
y a évidemment l'activité professionnelle. Or, bien entendu, par
définition, puisqu'ils n'avaient pas de papiers, ils ne pouvaient pas
avoir d'activité professionnelle, mais beaucoup d'entre eux avaient une
activité professionnelle de fait et ils nous l'ont dit pour plaider leur
dossier. Cela nous a permis d'exiger des employeurs de faire autrement.
Je pense donc qu'à la suite de cette opération, nous aurons un
recul du travail "au noir" et une régularisation sur un autre plan, qui
est celui du droit du travail. Je me permets de le souligner, parce que c'est
la première question : on leur demande s'ils travaillent, s'ils ont
des revenus et un emploi, et la plupart disent tranquillement : "Je
travaille chez tel employeur".
M. LE RAPPORTEUR
.- Beaucoup ont d'ailleurs des bulletins de salaire, ce
qui est assez étonnant.
M. BOURLARD
.- Un certain nombre d'entre eux ont effectivement des
bulletins de salaire.
M. BLAIZOT
.- S'ils travaillent régulièrement, ils sont
connus, quand même. Un employeur ne peut pas délivrer un bulletin
de salaire à quelqu'un qui n'est pas en situation
régulière.
M. BOURLARD
.- Normalement, non. Cela dit, nous avons pris pour principe
d'adresser à l'employeur potentiel ou révélé une
lettre lui disant que nous avons régularisé la situation de
M. X et que nous lui demandons désormais de le déclarer dans
des conditions normales.
Vous demandiez tout à l'heure quels avantages on pouvait en tirer. J'en
vois un deuxième, tout aussi important, c'est le fait que les "sans
papiers" ont aujourd'hui des papiers. Je veux dire par là que, dans les
exigences que nous formulons pour délivrer ou refuser un titre, il y a
celle d'aller au consulat demander un passeport. Cela veut dire que tous ceux
qui auront déposé un dossier chez nous auront un passeport.
M. BLAIZOT
.- Les consulats le leur délivrent ?
M. BOURLARD
.- Ils les délivrent sans difficulté, et je
peux vous dire que les files sont longues devant les consulats. Tous les
consuls n'en sont pas forcément satisfaits, mais tous les
intéressés vont avoir des papiers, même s'ils ont
essuyé un refus.
M. BLAIZOT
.- Vous avez dit tout à l'heure, Monsieur le
Préfet, que vous estimiez à 150 000 le nombre
d'étrangers dans les Bouches-du-Rhône...
M. PROUST
.- Ce n'est pas une estimation ; c'est une connaissance
précise.
M. BLAIZOT
.- Et ce sont 150 000 réguliers ?
M. PROUST
.- Tout à fait.
M. BLAIZOT
.- Quant aux irréguliers éventuels, je suppose
que vous n'êtes pas en mesure d'avancer un chiffre.
M. PROUST
.- Je ne suis pas en mesure de le faire, très
honnêtement. Je vous dirais n'importe quoi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur ces 150 000, combien sont originaires de
l'Union européenne ?
M. BOURLARD
.- Très peu. La moitié des
150 000 sont des Algériens, et vous avez ensuite
18 000 Marocains et 14 000 Tunisiens. En revanche, il y a
de fortes populations portugaise, italienne et espagnole. Ce sont les trois
populations qui viennent ensuite.
M. PROUST
.- J'ajoute un point sur le travail "au noir", si vous me le
permettez, Monsieur le Président, parce que je crois que c'est l'un des
points délicats. Cette opération devait être conduite en
souplesse. Nous n'avons donc pas verbalisé. Nous avons connaissance par
les intéressés du nom de l'employeur et de son adresse et nous
lui avons écrit et demandé de régulariser la situation.
Bien entendu, nous nous réservons, dans quelques mois, la
possibilité d'aller contrôler, mais nous avons simplement fait une
invitation à régulariser.
M. LE RAPPORTEUR
.- Donc il n'y aura pas de poursuites.
M. LE PRÉSIDENT
.- L'inspection du travail n'a pas
été mise dans le coup.
M. PROUST
.- C'est nous-mêmes qui, à ce stade, avons
écrit à l'employeur pour lui demander de régulariser la
situation des travailleurs.
M. BLAIZOT
.- Vous n'êtes donc pas en mesure d'évaluer
combien d'entre eux travaillaient "au noir" et ne se sont pas signalés
d'une manière ou d'une autre, si bien qu'ils continuent à
travailler "au noir" dans la situation antérieure ?
M. PROUST
.- Pour ceux que l'on régularise, normalement, ce n'est
plus le cas, sachant que nous aurons les moyens d'aller les contrôler. Je
parle là des 4 000.
M. LE PRÉSIDENT
.- La parole est à Mme Pourtaud.
Mme POURTAUD
.- Merci, Monsieur le Président. Monsieur le
Préfet, je voudrais d'abord faire une remarque et vous dire que j'ai
beaucoup apprécié la manière dont vous nous avez
présenté vos critères. J'ai particulièrement
apprécié le fait que vous ayez utilisé les termes
"humanité" et "fermeté". Au-delà de cela, je voudrais vous
poser deux questions.
Vous avez effectivement indiqué que les critères qui vous avaient
guidé pour dégrossir les catégories des demandeurs avaient
été, d'une part, ceux qui étaient en infraction ou qui
avaient commis des atteintes à l'ordre public, d'autre part, le souci de
régler les situations familiales (c'était effectivement l'esprit
de la circulaire), et vous avez indiqué que, dans une troisième
catégorie, vous aviez apprécié avec humanité mais
aussi avec fermeté la situation des célibataires.
Sur la manière dont vous avez traité les dossiers des
célibataires, pourriez-vous nous dire comment vous avez
apprécié en particulier le critère d'intégration
à la société française, puisque, là aussi,
c'était l'esprit de la circulaire ? Avez-vous pris des
critères objectifs ? On nous a dit dans certaines
préfectures que l'on avait exigé six mois de séjour
régulier sur le territoire français. Est-ce que vous avez
régularisé plutôt au-dessus de cinq ans, sept ans ou dix
ans de séjour sur le territoire ? Quels ont été vos
points de repère ? C'est ma première question.
J'ai une deuxième question plus factuelle. Comme vous venez de nous
donner à l'instant la composition de la population
étrangère sur votre région, pouvez-vous nous dire, parmi
les demandes ou les personnes régularisées (je ne connais pas les
chiffres dont vous disposez), quelles étaient les nationalités
d'origine ?
M. PROUST
.- M. Bourlard vous donnera la statistique sur les
nationalités d'origine. Quant aux critères (sachant que,
là aussi, M. Bourlard pourra apporter un complément), bien
entendu, ils ne s'appliquent que lorsqu'on n'a pas un cas d'automaticité
prévu par la circulaire : je ne parle pas des conjoints, des
enfants, etc. Je parle essentiellement des célibataires sans charge de
famille. A cet égard, je dois souligner que, sur le total des dossiers,
ils représenteront 72 % des dossiers examinés. C'est
évidemment sur ces cas que le pourcentage de refus va être le plus
élevé.
Parmi les points de repère, puisque chaque dossier est examiné
par plusieurs personnes pour essayer d'avoir une réponse aussi juste et
égale que possible, il y a le fait d'avoir, sauf cas exceptionnel, au
moins sept ans de présence en France et d'avoir été,
pendant une certaine période, en situation régulière.
Enfin, il y a le degré d'insertion dans la société
française. Pour nous, cela correspond à toute une série de
critères qui s'apprécient à travers l'emploi et l'exercice
d'une activité professionnelle, à travers le logement, à
travers le respect non seulement du droit pénal mais aussi des simples
obligations fiscales et à travers le niveau culturel, non seulement en
ce qui concerne la langue mais aussi en ce qui concerne le niveau culturel
général de l'intéressé et de son insertion en
général.
Il y a aussi, dans ces critères, la rupture ou non des liens avec le
pays d'origine. Il s'agit de savoir si tout le reste de la famille est dans
l'autre pays ou s'il n'y a plus aucun lien avec le pays d'origine et si tous
les éléments de la vie familiale et personnelle de cette personne
sont désormais liés à la France, sans aucun lien avec le
pays d'origine.
Il y a enfin, bien entendu, l'existence ou non d'autres membres de la famille
qui se trouveraient en France en situation régulière et dans des
conditions d'insertion satisfaisante. A cet égard, je ne pense pas, bien
entendu, au problème des conjoints ou de enfants, mais à la prise
en compte des frères, des soeurs ou des ascendants. Ce sont autant
d'éléments qui sont pris en compte.
Ce sont des points de repère. C'est l'ensemble de ces points de
repère qui nous amènent, à plusieurs, à essayer
d'apporter la moins mauvaise des réponses.
M. LE PRÉSIDENT
.- Merci. Je vois qu'il est presque l'heure. Une
dernière question, Monsieur le Rapporteur ?
Mme POURTAUD
.- Je n'ai pas eu de réponse à ma
deuxième question.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez raison. Pardonnez-moi.
M. BOURLARD
.- Effectivement, on peut constater que les premières
demandes de régularisation émanent d'Algériens, ce qui est
tout à fait normal dans les Bouches-du-Rhône, où beaucoup
de familles d'origine algériennes mais françaises sont
installées depuis très longtemps. Beaucoup d'Algériens
sont installés chez nous et sont Français. La proportion est de
27 %.
Les deuxièmes, ce sont les Marocains, toujours pour les mêmes
raisons historiques (18 %). Ensuite, viennent les Comoriens (16 %) et
les Tunisiens (14 %). C'est la grosse majorité des cas.
Enfin, nous avons (mais cela relève de l'asile politique) des Roumains
et des Kurdes. Nous avons très peu, dans le sud de la France,
contrairement à ce qui se passe dans la région parisienne, de
gens qui viennent d'Asie.
Dans la salle
.- Et combien viennent du Sahel ?
M. BOURLARD
.- Très peu.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'ai une dernière question en liaison avec le
nombre d'Algériens que vous avez. Le tribunal administratif de Marseille
a-t-il déjà statué sur des demandes de droit d'asile
politique de personnes algériennes menacées ?
M. BOURLARD
.- A ma connaissance, il n'y a que deux tribunaux qui ont
rejeté en raison de la situation dans le pays de destination, dont celui
de Nice. Celui de Marseille n'a pas encore statué dans ce sens.
Jusqu'à présent, il n'a jamais fait d'annulations sur le pays de
destination.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, je crois qu'il nous
faut remercier M. le Préfet et M. le
Secrétaire-général de leur disponibilité, de la
qualité de leur prestation et de la façon tout à fait
sincère et franche avec laquelle ils ont répondu à vos
questions et à celles de M. le Rapporteur. Monsieur le Préfet, je
vous remercie de vous être prêté à cette prestation
et je vous souhaite un bon retour.
Nous suspendons notre séance cinq minutes avant l'audition de
M. le Préfet de Lille.