B. LA " SOLUTION FRANÇAISE " : UNE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE VOLONTARISTE
1. Une intervention constante de l'Etat
La
réponse à ces contraintes a été la mise en place
progressive d'une politique énergétique volontariste, sous-tendue
par la participation croissante des pouvoirs publics. Trois grandes
étapes marquent ce processus.
•
Après la première guerre mondiale,
les
gouvernants comprirent que pour assurer l'indépendance et le
développement de la France, il était indispensable
d'acquérir le contrôle de gisements se trouvant à
l'étranger
et de disposer de moyens de raffinage à la mesure
de nos besoins, au lieu de continuer à importer des produits
raffinés des États-Unis ou de Grande-Bretagne. Ces
préoccupations conduisirent le Gouvernement français à
conclure avec le Royaume-Uni le pacte de San Remo (1920) grâce auquel la
participation allemande (23,7 %) aux gisements mésopotamiens de la
Turkish Petroleum Company fut dévolue à la France.
La gestion de cette part de production fut confiée à la Compagnie
française des Pétroles, l'État participant au capital de
celle-ci à hauteur de 36 %. Puis en 1930 fut créée
une filiale de la CFP, la Compagnie française de Raffinage,
également à participation étatique.
État actionnaire
mais également
État
régulateur :
choisissant une voie originale à une
époque dominée par le principe de la libre concurrence, les
pouvoirs publics décidèrent de soumettre le secteur
pétrolier français à un régime particulier,
défini par la loi du 30 mars 1928, qui institua un régime de
monopole délégué en disposant que toute entreprise
désirant importer du pétrole brut devait bénéficier
d'une autorisation préalable octroyée par décret pris en
Conseil des ministres après avis du Conseil d'État.
Ces mesures ont accru notre indépendance et contribué
efficacement au développement d'un indispensable outil de raffinage.
•
Après la deuxième guerre mondiale,
le secteur
énergétique français se trouva profondément
modifié par les mesures de nationalisation et de regroupement qui
affectèrent une partie importante des entreprises productrices. Trois
grandes entreprises furent créées en 1946 :
Électricité de France (EDF), Gaz de France (GDF) et Charbonnages
de France.
Cette politique de regroupement et de mise sous tutelle des entreprises
productrices d'énergie donnait à l'État la
possibilité d'orienter efficacement la politique
énergétique
du pays. Il ne s'agit pas ici de juger du
bien-fondé des nationalisations mais de constater que, pendant la
période de reconstruction, puis pendant les années de fort
développement économique qui ont suivi, seul l'État
pouvait, à travers une grande entreprise telle qu'EDF, mener à
bien les énormes investissements rendus nécessaires par la
croissance exponentielle de la demande d'électricité.
Par ailleurs la loi de nationalisation de 1946, tout en conférant
à EDF un monopole quasi-absolu qui lui permettait d'être la
courroie de transmission de la politique énergétique nationale,
n'excluait pas totalement
les acteurs locaux du système : les
régies de distribution électrique
qui existaient avant 1946
ont été maintenues, dans leur périmètre d'origine.
Elles gèrent aujourd'hui encore la fourniture
d'électricité à environ 5 % des communes
françaises.
Un autre volet de cette politique énergétique volontariste fut la
valorisation de l'une de nos ressources naturelles non fossiles, notre
réseau de fleuves et de rivières,
l'État a ainsi pu
programmer la construction massive de barrages
qui nous permettent encore
aujourd'hui de bénéficier d'un apport d'énergie
hydroélectrique non négligeable et ne dépendant pas de
pays étrangers.
Enfin, dès la Libération,
le général de Gaulle
veilla à ce que la France puisse reprendre ses recherches sur
l'atome
. Sous l'impulsion de Maurice Schumann, alors ministre chargé
des questions atomiques, et qui fut un visionnaire en ce domaine, Raoul Dautry
et Frédéric Joliot-Curie préparèrent un projet
d'ordonnance qui allait aboutir à la création du Commissariat
à l'énergie atomique (CEA) le 18 octobre 1945. Cet organisme
bénéficiait d'un statut original puisque placé directement
sous l'autorité du Président du Conseil, il était
cependant doté de la personnalité civile et jouissait de
l'autonomie financière. C'est dire que, dès l'origine, il avait
semblé impératif de placer l'énergie nucléaire sous
le contrôle de l'Etat. Quelques années plus tard, Félix
Gaillard présentait un plan quinquennal doté d'un budget de
40 milliards de francs, ayant pour objectif la production d'une
cinquantaine de kilos de plutonium et se traduisant par la construction des
premiers réacteurs nucléaires à Marcoule. Il concluait son
exposé par cette affirmation : "
Il dépend de nous
aujourd'hui que la France reste un grand pays moderne dans dix ans ".
Pour la première fois en 1952, l'atome faisait l'objet d'un débat
à l'Assemblée nationale et
en 1955 les premières
études d'un programme français d'énergie nucléaire
pour les vingt années à venir étaient lancées.
•
Après la guerre du Kippour,
en 1973, et l'envolée
des cours du pétrole, les pouvoirs publics, soucieux d'affranchir la
nation de la " tutelle " pétrolière
décidèrent de développer une énergie de
substitution dont nous ayons la maîtrise.
Ils choisirent la voie de l'énergie nucléaire, mise en place
depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avec le vote de lois-programmes
établissant des plans quinquennaux de développement de
l'énergie atomique, en 1952 et 1957, la construction des premiers
réacteurs au graphite et le choix en 1969 de la filière des
réacteurs à eau pressurisée.
Ainsi, début 1974, EDF fut autorisée à engager,
l'année même, la construction de six tranches nucléaires de
900 MW et, en 1975, de sept tranches de même puissance. Puis EDF
reçut l'autorisation de mettre en chantier, pour les années 1976
et 1977, des installations d'une puissance totale de 12 000 MW. Et le
mouvement se poursuivit, pour doter la France d'un parc
électronucléaire de taille respectable.
Parallèlement, dès le début de 1974, les pouvoirs publics
mettaient en place un considérable programme d'économie
d'énergie (qui représentait une véritable rupture avec le
passé) en créant l'Agence pour les Économies
d'Énergie (AEE) et définissaient dans le cadre du VIIe Plan un
objectif de 45 millions de TEP d'économies. Les mesures prises
furent soit à portée immédiate soit à effet
différé (actions de caractère structurel telles que le
financement de recherches visant à permettre d'économiser
l'énergie et les subventions ou incitations fiscales aux investissements
répondant au même objet). Le chiffre global des économies
d'énergie atteignit 24 millions de TEP en 1980.
Les objectifs constants de cette politique énergétique, qui a
consacré le rôle des pouvoirs publics ont été la
recherche de l'indépendance nationale et la volonté de soutenir
l'expansion économique. Les résultats ont été
à la hauteur des ambitions.