B. UNE OFFRE LIMITÉE DANS LE TEMPS ET DE PLUS EN PLUS DÉSÉQUILIBRÉE DANS L'ESPACE
Tenter d'évaluer les ressources énergétiques de la planète ne saurait nous dispenser de nous poser un problème de responsabilité par rapport à l'avenir, voire même d'éthique : a-t-on le droit de consommer, en quelques générations toutes ces ressources dont la production a nécessité des millions d'années et, d'autre part, de détruire des édifices moléculaires complexes qui pourraient avoir des finalités plus nobles que la simple production de chaleur ?
1. L'estimation des réserves énergétiques fossiles
"
Nous pourrions avoir utilisé tout le
pétrole
de la planète d'ici à 1990
" prophétisait Jimmy
CARTER lorsqu'il était Président des États-Unis..., ce qui
doit nous conduire à considérer avec prudence les estimations en
ce domaine.
Se référant à une étude de la British Petroleum
Statistical Review, le Commissariat Général du Plan estime qu'au
rythme actuel de production, la durée des réserves atteindrait
228 ans
pour le charbon
(houille et lignite),
42 ans pour
le pétrole
et
62 ans pour le gaz naturel
.
Les réserves d'hydrocarbures, toutefois, donnent lieu à un
débat.
Les plus
optimistes
estiment qu'au rythme prévu pour la
consommation mondiale, nous disposerions encore de 80 à 100
années de ressources pour le pétrole et de 140 à 180
années pour le gaz. Ils s'appuient sur le fait que
les chiffres sont
toujours revus en hausse malgré la couverture annuelle des besoins.
Ils citent les récentes découvertes faites notamment au large des
golfes du Mexique ou de Guinée, en Angola, évoquent les promesses
de la mer Caspienne et la " renaissance " de la mer du Nord
4(
*
)
.
Ils mettent en avant l'amélioration des taux de
récupération dans les gisements : certaines compagnies
pétrolières jugent que ce taux pourrait atteindre 50 % en
2020, notamment grâce à la technique de la sismique 3D, du forage
horizontal, et de l'extraction en eau profonde.
Les plus
pessimistes
estiment que le pic de production mondiale se
situerait entre 2000 et 2010 pour le pétrole conventionnel
5(
*
)
et autour de l'année 2025 pour
le gaz.
Ils divergent des optimistes dans leurs appréciations du rôle du
progrès technologique et, plus généralement de
l'amélioration de l'efficacité de l'industrie
pétrolière.
Ainsi dans un récent article MM. Colin CAMPBELL et Jean LAHERRÈRE
affirment-ils :
" Même si l'on tient compte des
récentes découvertes de pétrole, l'offre
" classique ", celle du pétrole bon marché, ne
satisfera plus la demande dans moins d'une dizaine d'années. Cette
conclusion s'oppose aux prévisions de l'industrie
pétrolière qui, début 1998, annonçait
fièrement des réserves prouvées s'élevant à
140 milliards de tonnes. En divisant ce chiffre par les 3,2 milliards
de tonnes actuels correspondant à la production actuelle, on
prévoirait une production sereine durant quarante-trois ans, voire plus,
car les statistiques officielles montrent un accroissement des réserves.
Toutefois ce raisonnement contient trois erreurs graves. Premièrement,
il repose sur une mauvaise estimation des réserves. Deuxièmement,
il suppose que la production pétrolière restera constante. Enfin,
il postule que l'on extraira les dernières gouttes de pétrole
tout aussi facilement qu'aujourd'hui.
Or, la production d'un puits -ou d'un gisement- n'est pas
régulière : après le moment de production maximale,
elle diminue quand les réserves ont diminué environ de
moitié.
D'un point de vue économique, peu importe de savoir quand la
planète manquera totalement de pétrole : ce qui compte,
c'est la date à partir de laquelle la production déclinera. Les
prix augmenteront alors, sauf si la demande décroît. Plusieurs
méthodes d'estimation des réserves classiques actuelles et de la
quantité de pétrole restant à découvrir nous font
conclure que ce déclin commencera avant 2010. [...]
La consommation mondiale de pétrole croît aujourd'hui à un
rythme supérieur à 2 % par an. Depuis 1985, la consommation
d'énergie augmente d'environ 30 % en Amérique latine, de
40 % en Afrique et de 50 % en Asie. D'après l'administration
américaine, la demande mondiale en pétrole augmentera de
60 % vers 2020, pour atteindre alors environ 5,5 milliards de tonnes
par an.
Le déclin de la production pétrolière engendrera
probablement des tensions économiques et politiques. À moins que
l'on n'utilise rapidement d'autres formes d'énergie, la part de
marché de l'OPEP augmentera rapidement pour dépasser 30 %
dans deux ans, atteignant ainsi le niveau des années 1970, au cours des
chocs pétroliers.
Le prix du pétrole augmentera sans doute considérablement :
les augmentations réduiront la demande et ralentiront la production
durant peut-être dix années (la demande a chuté de plus de
dix % après le choc pétrolier de 1979 et a mis quinze ans
pour retrouver son niveau antérieur), mais, vers 2010 environ, nombre de
pays du Moyen-Orient auront eux-mêmes épuisé plus de la
moitié de leurs réserves. La production pétrolière
mondiale chutera.
Si l'on s'y prépare suffisamment tôt, la transition ne sera pas
nécessairement traumatisante. Si l'on rentabilise et si l'on diversifie
les techniques de production de carburants liquides à partir du gaz
naturel, ce dernier pourrait devenir la prochaine source d'énergie des
transports. Une énergie nucléaire plus sûre, des
énergies renouvelables moins chères et des plans de stockage du
pétrole retarderaient également le déclin
inévitable du pétrole classique.
Dès aujourd'hui, les pays devraient planifier la gestion de
l'énergie et investir dans de nouvelles recherches.
La planète
n'est pas encore à court de pétrole, mais nous devons envisager
la fin du pétrole bon marché et abondant
"
6(
*
)
.
Quelle que soit leur estimation exacte, les réserves de ressources
fossiles ont des limites peut-être techniques, sans doute
économiques et certainement physiques.
Ainsi, les plus optimistes envisagent un passage aisé à la
récupération des pétroles non-conventionnels lorsque le
pétrole conventionnel sera épuisé. Or, les sables
asphaltiques, les bruts extra-lourds, les schistes bitumineux ne pourront
être exploités qu'après une conséquente
amélioration des technologies de récupération.
Par ailleurs, ces techniques de récupération, si elles
parviennent à être applicables à grande échelle,
entraîneront un surcoût du pétrole. Ce surcoût peut
être acceptable dans le cadre d'une raréfaction des ressources
énergétiques qui rendrait " rentable " le recours
à ce type de production. Toutefois, l'économie d'un pays ne peut
absorber très longtemps des coûts énergétiques trop
importants sans remettre en cause sa croissance.
Enfin, qu'il s'agisse de charbon, de pétrole ou de gaz, les
réserves sont par définition physiquement limitées.
Même si l'on considère que ces trois limites : technologique,
économique et physique, laissent largement le temps de passer des
combustibles fossiles à d'autres formes d'énergie, il convient de
tenir compte de l'avertissement lancé par le Conseil mondial de
l'Énergie à ce sujet :
"
Le vrai défi est
de communiquer la réalité selon laquelle le passage à
d'autres sources d'approvisionnement prendra de nombreuses décennies et
que, dans ces conditions, il faut commencer dès aujourd'hui la
concrétisation de cette nécessité et engager les actions
appropriées
"
7(
*
)
.