ARTICLE 33 bis (nouveau)
Légalisation de la déclaration
d'intention en cas de franchissement de seuil pour les sociétés
cotées
Commentaire : le présent article, adopté
à l'initiative de la commission des finances de l'Assemblée
nationale, propose de légaliser la déclaration d'intention,
actuellement fixée par un règlement de la Commission des
opérations de bourse, pour tous les acquéreurs de titres de
sociétés cotées qui franchiraient certains des seuils de
contrôle prévus à l'article 356-1 de la loi du 24 juillet
1966 sur les sociétés commerciales et d'assortir cette obligation
de sanctions civiles.
I. LA SITUATION ACTUELLE
La déclaration d'intention en cas de franchissement de seuil a pour
objet d'informer le marché des opérations financières
significatives qui s'y déroulent et, notamment, celles destinées
à prendre le contrôle de sociétés par voie d'offres
publiques d'achat (OPA). Elle permet ainsi aux investisseurs d'être
informés de l'évolution du marché et, le cas
échéant, d'en tenir compte dans leurs décisions
d'investissement.
Cette obligation générale fait donc partie de la panoplie des
instruments dont disposent les autorités de contrôle afin
d'assurer l'égalité des actionnaires et la transparence des
marchés.
Actuellement cette obligation résulte du règlement n° 88-02
de la Commission des opérations de bourse (COB)
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*
)
qui fixe une procédure
analogue à celle proposée par le présent article, à
la différence près toutefois, que cette procédure ne
comporte pas de sanctions civiles et ne revêt, de ce fait, qu'un
caractère assez formel.
C'est la raison pour laquelle le présent article propose de fixer de
façon plus précise les contours de cette procédure et,
surtout, de l'assortir de sanctions civiles, ce qui ne peut être fait que
par la loi.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ
Une déclaration d'intention serait obligatoire pour les investisseurs
qui franchiraient les seuils du dixième ou du cinquième du
capital d'une société cotée. On observera que pour les
autres seuils, une déclaration n'est pas nécessaire, puisque le
seuil de 33 % est celui des offres publiques d'achat obligatoires et celui de
50 % celui de la garantie de cours. Dans ces deux derniers cas, l'intention de
l'acquéreur est nécessairement connue. Par ailleurs, le seuil du
vingtième, qui impose le dépôt d'une déclaration de
franchissement de seuil, n'a pas été retenu comme suffisamment
significatif pour justifier une déclaration d'intention.
Comme en matière de déclaration de franchissement de seuil, dans
le cas où le nombre ou la répartition des droits de vote ne
correspondrait pas au nombre ou à la répartition des actions
enregistrées, le calcul des seuils se fait sur la base des droits de
vote et non des actions.
1. Contenu de la déclaration d'intention
Cette déclaration d'intention devrait préciser les
éléments suivants :
- le fait que l'acquéreur agisse seul ou de concert ;
- son intention d'arrêter ses achats ou de les poursuivre ;
- son intention d'acquérir ou non le contrôle de la
société ;
- son intention de demander sa nomination ou celle d'une ou plusieurs personnes
comme administrateur, membre du directoire ou du conseil de surveillance. C'est
dans cette dernière obligation que résulte la seule modification
au règlement COB, puisque celui-ci ne prévoyait jusqu'à
présent que l'obligation relative à sa propre nomination.
2. Procédure applicable
a) La communication de la déclaration d'intention
Cette déclaration devrait être adressée :
- à la société dont les actions ont été
acquises ;
- au Conseil des Marchés Financiers, qui la rendrait publique ;
- à la Commission des opérations de bourse (COB), en même
temps que la déclaration de franchissement de seuil.
Une déclaration d'intention modificative pourrait être
établie dans le cas d'un changement important intervenant dans
l'environnement, la situation ou l'actionnariat de la société
concernée. Une telle déclaration modificative n'est pas
prévue dans le règlement COB.
b) Les sanctions en cas de non respect
Dans le cas où l'acquéreur ne procéderait pas à la
déclaration d'intention à laquelle il serait désormais
tenu, il se verrait privé des droits de vote attachés aux actions
excédant la fraction du seuil franchi. Cette privation partielle des
droits de vote se prolongerait jusqu'à l'expiration d'un délai de
deux ans à compter de la date de régularisation de la
notification.
Dans le cas où l'acquéreur agirait en contravention des
intentions par lui déclarées, le tribunal de commerce
compétent, pourrait, à la demande du président de la
société, d'un actionnaire ou de la Commission des
opérations de bourse (COB), prononcer la suspension totale ou partielle,
pour une durée ne pouvant excéder cinq ans, de l'ensemble des ses
droits de vote.
III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION
Le présent article soulève deux catégories de
problèmes, les uns liés à sa rédaction et les
autres liés aux incertitudes entourant la notion de contrôle d'une
société.
A. LES AMELIORATIONS DU TEXTE PROPOSE
1° L'appréciation du franchissement de seuil
Actuellement, le franchissement de seuil est apprécié par
rapport à la notion de répartition des actions (article 356-1 de
la loi de 1966). Toutefois, l'article 356-1-1 prévoit que :
"
lorsque le nombre ou la répartition des droits de vote ne
correspond pas au nombre ou à la répartition des actions, les
pourcentages prévus au premier alinéa de l'article 356-1 sont
calculés en droits de vote
".
Il se peut en effet que les droits de vote soient supérieurs au nombre
des actions, par exemple dans le cas où la société aurait
émis des actions à droit de vote double.
Il se peut au contraire que les droits de vote soient inférieurs au
nombre des actions, lorsque certains titres ont été privés
du droit de vote, par exemple à la suite d'un franchissement de seuil
non déclaré (article 356-4).
L'appréciation du franchissement des seuils par référence
aux seuls droits de vote peut donc faciliter les manoeuvres de certains
acquéreurs afin de prendre le contrôle d'une
société, sans avoir à déclarer le franchissement
des seuils.
Supposons par exemple, une société qui franchirait le seuil du
dixième en acquérant, en une seule fois 19 % des titres d'une
société, sans pour autant le déclarer. Elle subirait une
privation de ses droits de 9 %.
Dans un deuxième temps, cette même société
acquerrait 9 % supplémentaires et se retrouverait ainsi avec 19 % des
droits de vote et 28 % du capital, sans avoir jamais rien déclaré.
Il serait donc souhaitable de modifier le critère d'appréciation
des seuils afin de rendre cette appréciation plus stricte en prenant la
plus haute des deux valeurs en droit de vote ou en capital.
2° La déclaration d'intention modificative
La rédaction proposée concernant la déclaration
d'intention modificative est source d'ambiguïté.
Le texte proposé par le Gouvernement et adopté par
l'Assemblée nationale signifie en effet qu'il est possible, pour
l'acquéreur, de changer d'intention avant la fin du délai de
douze mois ; ce changement d'intention ne peut être motivé
que par des modifications importantes intervenant dans
"
l'environnement, la situation ou l'actionnariat de la
société concernée
".
En revanche, il ne résulte pas clairement de ce texte, que la
déclaration modificative doive être publiée, même si
on pourrait déduire une telle obligation du fait que la nouvelle
rédaction proposée pour l'article 356-4 de la loi de 1966
prévoit des sanctions civiles pour l'actionnaire qui n'aurait pas
respecté le contenu de la déclaration.
C'est pourquoi, il semblerait plus clair de prévoir expressément
que non seulement un changement d'intention est possible, mais que lorsqu'il a
lieu, sa déclaration est obligatoire.
3° Le régime des sanctions
Afin de garantir véritablement le respect du régime des
déclarations d'intention, il conviendrait de prévoir que
l'absence de déclaration ou l'établissement de fausses
déclarations, soient sanctionnés de plein droit par une privation
des droits de vote sur l'ensemble des titres détenus.
Par ailleurs, il conviendrait de modifier le régime de la saisine du
tribunal de commerce : en cas de manquement à l'obligation de
notification du franchissement de seuil ou à celle de déclaration
d'intention, tout actionnaire devrait pouvoir saisir ce tribunal, statuant en
la forme des référés, afin qu'il puisse se prononcer sur
la capacité à voter du nouvel acquéreur, ou décider
de reporter la date de l'assemblée générale.
B. L'AMELIORATION DE LA DEFINITION DU CONTROLE D'UNE SOCIETE PAR UNE
AUTRE
L'ensemble du dispositif proposé par le présent article a
pour objet de permettre une meilleure connaissance par les actionnaires des
conditions de la prise de contrôle d'une société par un
investisseur ou un groupe d'investisseurs.
Or, la notion de contrôle est une notion complexe faisant l'objet
d'interprétations différentes selon que l'on se
réfère au droit des sociétés (article 355-1 de la
loi de 1966) ou au droit financier (règlement général du
Conseil des marchés financiers (CMF) articles 5-4-1 et 5-4-6 d) et
e) ).
Le troisième tiret de l'article 355-1 de la loi de 1966 prévoit
qu'il y a contrôle d'une société par une autre
"
lorsqu'elle détermine en fait par les droits de vote dont elle
dispose les décisions dans
les
assemblées
générales
". Selon certaines décisions de
justice, ce texte ne permettrait pas d'ajouter les voix des personnes agissant
de concert avec cette société
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*
)
.
En revanche, l'article 5-4-1 du règlement général du CMF
(article issu de l'ancien règlement du Conseil des bourses de valeur
-CBV-) dispose que "
lorsqu'une personne physique ou morale,
agissant seule ou de concert
, vient à détenir plus du
tiers des titres de capital ou plus du tiers des droits de vote d'une
société française dont les titres sont inscrits à
la cote officielle ou à la cote du second marché, elle est tenue,
à son initiative, d'en informer immédiatement le Conseil et de
déposer un projet d'offre publique visant la totalité des titres
de capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote,
et libellé à des conditions telles qu'il puisse être
déclaré recevable par le Conseil. "
Ce texte a pour objet d'obliger la société qui franchit le seuil
de 33 % à déposer un projet d'offre publique d'achat ou
d'échange, cette obligation étant fondée sur le changement
de contrôle entraîné par ce franchissement. Il ajoute donc
les actions et voix des personnes agissant de concert avec cette
société.
De même, l'article 5-4-6 e) du règlement du CBV prévoit
que le CMF peut accorder une dérogation à l'obligation de
déposer une offre publique lorsque "
la ou les personnes
détenaient préalablement le contrôle de la
société au sens du troisième tiret du premier
alinéa de l'article 355-1 de la loi de 1966
". Le texte et son
application par le CMF ajoutent les actions et voix des personnes agissant de
concert.
Ainsi, la même notion de contrôle est appréciée de
deux façons distinctes ; tantôt les voix des partenaires
agissant de concert sont totalisées, tantôt ces voix ne sont pas
totalisées. Cette dysharmonie entre le droit commercial et le droit
financier est d'autant plus critiquable que l'article 5-4-6 d) du
règlement du CBV précité se réfère
expressément au contrôle "
au sens de l'article
355-1
" donnant ainsi à ce texte de loi deux sens
différents.
Il serait donc souhaitable, puisqu'il s'agit de renforcer les
possibilités pour le marché d'être informé des
prises de contrôle, de préciser au préalable la notion
même de contrôle et d'en donner une définition identique en
droit financier et en droit commercial.
C'est ce que vous proposera votre commission en insérant un article
additionnel après l'article 33
bis
.
Décision de votre commission : votre commission vous propose
d'adopter le présent article ainsi modifié.