ANNEXE 2
AUDITIONS DE LA COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé, le mercredi 11 février 1998, à des auditions sur le projet de loi instituant une commission du secret de la défense nationale.

Elle a d'abord entendu Mme Isabelle Renouard, secrétaire générale de la défense nationale (SGDN), accompagnée de M. Jean-Michel Roulet, préfet, et de M. Emmanuel Glaser, maître des requêtes au Conseil d'Etat.

Mme Isabelle Renouard, a exposé le rôle et les compétences du secrétariat général de la défense nationale concernant le secret de la défense nationale. Sur la base de l'article 413-9 du nouveau code pénal, qui fixe le cadre légal de protection du secret de la défense nationale, c'est encore, a précisé Mme Isabelle Renouard, le décret du 12 mai 1981 qui précise les conditions de l'organisation et de la protection des secrets et des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l'Etat. Ce texte détermine trois niveaux de classification : "très secret défense" dont la responsabilité incombe au Premier ministre, "secret défense" et "confidentiel défense" dont la responsabilité relève de chaque ministre et de ses services. Ce même décret de 1981 précise également les modalités d'habilitation de certaines personnes à accéder à des informations protégées en fonction notamment du "besoin d'en connaître" qui leur est reconnu pour l'exercice de leurs missions. Une instruction générale a en outre été élaborée en 1982 par le secrétariat général de la défense nationale pour assurer la mise en oeuvre de la législation et de la réglementation relatives au secret de la défense nationale.

Mme Isabelle Renouard a également précisé que le secrétariat général de la défense nationale, dans les relations avec les Etats étrangers, assurait un double rôle : l'organisation des mesures de sécurité concernant les échanges d'informations classifiées avec notamment l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) et l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), et la participation aux négociations d'accords bilatéraux concernant des échanges de documentation protégée.

Un débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

M. Nicolas About, rapporteur, a interrogé la secrétaire générale de la défense nationale sur les points suivants : l'éventuelle modification des textes réglementant le secret de la défense nationale, les conditions dans lesquelles l'autorité administrative pourrait présenter ses arguments à la commission consultative saisie, à la demande d'une juridiction, en vue de la déclassification éventuelle d'une information ; les raisons justifiant le choix d'un délai de deux mois laissé à la commission pour élaborer son avis ; le nombre d'affaires judiciaires susceptibles d'entrer dans le champ d'application du nouveau projet de loi.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur l'éventuel excès de classification, notamment dans le domaine du "confidentiel défense".

M. Michel Caldaguès s'est dit intéressé par une définition précise de la notion d'"autorité administrative indépendante", qui constituait à ses yeux, pour l'administration traditionnelle, une façon de se défausser de ses responsabilités.

M. Jacques Habert a souhaité obtenir des précisions sur le rôle de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), ainsi que sur la notion d' "autorité administrative indépendante" et sur la composition de la future commission du secret de la défense nationale.

Mme Isabelle Renouard et MM. Jean-Michel Roulet et Emmanuel Glaser ont alors apporté aux commissaires les précisions suivantes :

- il n'est pas prévu de modifier les règles de classification existantes concernant le secret de la défense nationale. En revanche, il est envisagé de préciser les conditions d'échanges d'informations classées "très secrètes" avec nos partenaires de l'Alliance atlantique ;

- la pratique permettra de préciser les conditions dans lesquelles l'administration présentera ses propres arguments dans le cadre des travaux de la future commission ; les modalités évoquées par le sénateur About seraient sans doute toutes deux utilisées : rédaction d'un mémoire explicatif, ou argumentation soumise au président de la commission dans le cadre de ses pouvoirs d'investigation ;

- le délai de deux mois retenu pour laisser à la commission le temps d'élaborer son avis peut être considéré comme un délai raisonnable, compte tenu des investigations à conduire et des échanges d'informations sans doute nécessaires ;

- les affaires susceptibles d'entrer dans le champ de la future procédure ne sont pas très nombreuses ; sans doute l'existence de la nouvelle législation pourrait-elle être l'occasion de les voir se développer ;

- s'il est possible d'identifier, ici et là, une certaine surclassification dans le domaine du "confidentiel défense", on ne peut pas véritablement parler de dysfonctionnement des modalités de classification ;

- malgré l'existence de la nouvelle autorité administrative indépendante, la responsabilité de la déclassification de documents protégés continuera naturellement d'être exercée par l'autorité qui en est aujourd'hui chargée ;

- si la multiplication des autorités administratives indépendantes a pu faire l'objet, même de la part du Conseil d'Etat, de certaines critiques, en ce qu'elles peuvent constituer des démembrements administratifs, ces nouvelles instances n'en tiennent pas moins aujourd'hui un rôle important, particulièrement dans le domaine des libertés publiques ;

- c'est une loi de juillet 1991 qui a créé la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), chargée de surveiller et de régir leur utilisation.

Après avoir indiqué à MM. Nicolas About, rapporteur, et M. Xavier de Villepin, président, que la présence ou non de parlementaires au sein de la future commission relevait de l'appréciation du pouvoir politique, Mme Isabelle Renouard a alors apporté à MM. Jean Clouet et Jacques Habert les précisions suivantes :

- la voix prépondérante reconnue au président de la commission évite qu'en cas de partage égal des voix, notamment en cas d'absence d'un de ses membres, aucune décision ne puisse être prise ;

- le projet de loi prévoit la nomination, par le seul Président de la République, des trois magistrats membres de la commission ; cette disposition, préparée par le Gouvernement, a reçu, lors de sa présentation en Conseil des ministres, l'agrément du Président et du Premier ministre.

Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Bertrand Warusfel, maître de conférences à l'Université Paris V-René Descartes, secrétaire général du centre de recherches "Droit et défense".

M. Bertrand Warusfel a tout d'abord commenté la notion de secret de la défense, qui a été substantiellement modifiée dans le nouveau code pénal entré en vigueur en 1994. Il a notamment remarqué qu'en vertu du premier alinéa de l'article 413-9 du code pénal, un lien a été pour la première fois établi entre la notion de secret et les classifications opérées par l'autorité administrative, un document n'ayant pas été classifié ne pouvant relever du secret de la défense. Il a estimé que, dans ces conditions, la pratique de l'administration, qui a recours ou non à la classification, est déterminante pour la définition du secret de la défense. Il a cependant précisé que dans son second alinéa, l'article 413-9 du code pénal ouvrait la voie à un certain contrôle juridictionnel de l'opportunité de la classification, dans la mesure où cet alinéa lie la classification d'une information au risque que sa divulgation ferait courir à la défense nationale.

S'agissant du contrôle par les juridictions de la pertinence du secret de la défense, M. Bertrand Warusfel a distingué le cas dans lequel le juge doit statuer sur une violation du secret de la défense et le cas dans lequel il se voit opposer ce secret par l'administration, notamment au cours d'une instruction. Il a précisé que, dans le premier cas, c'est-à-dire lorsque le litige porte sur une violation du secret, bien que le juge ait -en principe- un pouvoir souverain d'appréciation du secret, l'administration ne s'estime pas obligée de fournir l'information classifiée au juge et se contente de lui faire connaître son avis sur l'opportunité de la classification. Dans le second cas, en ce qui concerne l'opposition du secret de la défense à un juge, par exemple lors d'une instruction, M. Bertrand Warusfel a cité une décision de la Cour de cassation de 1956, ainsi que des décisions de la chambre d'accusation de Paris, qui reconnaissent à l'administration le droit d'opposer le secret de la défense ; mais ces décisions, à l'exception de celle de la chambre d'accusation de Paris du 27 mai 1987 (affaire Chalier) laissent au juge la faculté d'apprécier, indépendamment de la position du Gouvernement, si la mesure d'instruction qu'il envisage serait susceptible ou non de porter atteinte au secret de la défense. Il a toutefois considéré que ces décisions laissaient en pratique peu de marge au contrôle du juge qui s'avérait en conséquence difficile.

M. Bertrand Warusfel a ensuite évoqué le projet de loi instituant une commission du secret de la défense nationale qui, selon lui, comporte de nombreux éléments positifs permettant de renforcer la légitimité de l'utilisation du secret de la défense, tels que la création d'un organe de contrôle spécifique, le caractère obligatoire de la saisine de la commission dès lors qu'une juridiction a saisi l'autorité adminisrative, et la publicité donnée au sens des avis qu'elle émettra. Il a rappelé que la Cour européenne des droits de l'homme avait légitimé l'usage d'un système de classification tout en estimant que ce système devait être contrôlé, soit par un organisme indépendant, soit par un organisme parlementaire.

M. Bertrand Warusfel a ensuite constaté que le projet de loi contient un certain nombre d'imprécisions qui soulèvent plusieurs questions : la commission émettant un avis sur la déclassification et la communication des documents, doit-on considérer qu'elle ne peut proposer que la communication d'un document après déclassification, ce qui serait restrictif ? Quelles sanctions seront appliquées aux autorités ou agents publics qui s'opposeraient à l'action de la commission ? Les juridictions se verront-elles notifier l'intégralité de l'avis de la commission ou seulement le sens de ce dernier ?

Il a par ailleurs considéré que le projet de loi pouvait appeler des critiques sur plusieurs points importants :

- la composition de la commission, dont on comprend mal pourquoi elle se limite à des magistrats et n'est pas ouverte soit à des parlementaires, soit à des experts extérieurs ou à des représentants de corps de contrôle de l'administration,

- la présidence de la commission, qui est confiée au président de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, ce qui pourrait conduire à un conflit d'intérêts évident lorsqu'une juridiction se heurte au secret opposé par cette dernière,

- le mode de saisine complexe, qui pourrait être remplacé par une saisine directe de la commission par les juridictions,

- l'absence de possibilité de saisine pour avis de la commission, hors de toute action contentieuse, par exemple préalablement à la publication de documents susceptibles de concerner le secret de la défense,

- le risque de voir la saisine de la commission se limiter aux cas dans lesquels le secret sera opposé à une juridiction, au cours d'une instruction par exemple, ce qui exclurait les litiges portant sur la violation du secret de la défense.

En conclusion, M. Bertand Warusfel a estimé que le dispositif prévu par le projet de loi constituerait vraisemblablement une étape transitoire, en l'attente de l'instauration d'un véritable droit d'accès juridictionnel au secret de la défense.

M. Nicolas About, rapporteur, a déclaré partager certaines des appréciations de M. Bertrand Warusfel, notamment en ce qui concerne la composition de la commission et sa présidence. Il s'est déclaré réservé sur l'extension de la saisine de la commission. Il a souhaité obtenir des précisions sur les demandes d'accès à des documents classifiés formulées par des juridictions internationales ou européennes et sur la notion de secret des affaires étrangères.

M. Michel Caldaguès s'est déclaré totalement opposé à l'instauration d'un contrôle juridictionnel du secret de la défense qui ne pourrait, à ses yeux, qu'accentuer la tentation d'un "gouvernement des juges".

M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé si la publicité donnée au sens de l'avis de la commission ne constituerait pas une pression excessive sur l'autorité politique. Il a demandé des précisions sur la notion d'avis "favorable sous certaines réserves", figurant dans le projet de loi.

En réponse à ces différentes interventions, M. Bertrand Warusfel a apporté les précisions suivantes :

- il est important que la commission puisse intervenir aussi bien lorsque le secret est opposé au juge au cours d'une instruction que lorsque le litige porte sur une violation du secret de la défense,

- les gouvernements peuvent opposer le secret de la défense et, plus généralement, les intérêts supérieurs de l'Etat, aux juridictions internationales ou européennes,

- le secret des affaires étrangères est traditionnellement inclus en France dans la notion de secret de la défense nationale,

- il serait possible d'envisager des mécanismes permettant devant les juridictions de n'apporter qu'une atteinte limitée au principe du débat contradictoire, tout en évitant la divulgation d'un secret de la défense, dans le cadre d'une procédure confidentielle,

- la publicité donnée au sens de l'avis émis par la commission constitue un élément central du dispositif du projet de loi,

- enfin, les réserves accompagnant un avis favorable pourraient, par exemple, porter sur la nécessité de ne déclassifier que partiellement le document concerné ou de prendre les mesures de sécurité appropriées pour transmettre ce document à une juridiction sans en compromettre la confidentialité.

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