IV. LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL NE CONSTITUE PAS LA SOLUTION MIRACLE AU PROBLÈME DU CHÔMAGE
A. LA DURÉE DU TEMPS DE TRAVAIL NE CONSTITUE PAS UNE CAUSE DU NIVEAU ÉLEVÉ DU TAUX DE CHÔMAGE FRANÇAIS
1. La durée du travail en France est comparable à celle de ses partenaires
La durée du temps de travail ne constitue pas une cause
du niveau élevé du taux de chômage français. Tout au
plus peut-on estimer que le recours aux heures supplémentaires pourrait
constituer le symptôme des déficiences et des
déséquilibres de notre marché du travail, les
entrepreneurs ayant peur d'embaucher, ils préféreraient avoir
recours aux heures supplémentaires.
On peut rappeler que les heures supplémentaires sont les heures
effectuées au-delà de la durée légale du travail,
fixée à 39 heures. L'accomplissement de ces heures ouvre aux
salariés le droit à une rémunération majorée
ainsi qu'à un repos compensateur obligatoire. Dans certains cas (accords
de branches et d'entreprises), leur paiement peut être remplacé
par un repos compensateur de remplacement équivalent.
Très peu de pays européens possèdent une durée
légale telle qu'on la conçoit en France, la plupart se contente
de définir des maxima hebdomadaires. A cet égard, on peut
rappeler que l'article 6 de la directive européenne du 23 novembre 1993
(voir annexe) fixe comme seule contrainte que " la durée moyenne de
travail pour chaque période de sept jours n'excède pas
quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ".
En choisissant de concerner et même de baisser la durée
légale du travail, la France ne peut que se retrouver isolée dans
le concert européen, la norme européenne étant de s'en
remettre aux partenaires sociaux pour définir la durée
hebdomadaire du travail.
DURÉE DU TRAVAIL HEBDOMADAIRE COMPARÉE DANS LES PRINCIPAUX PAYS EUROPÉENS
Pays |
Durée légale |
Durée effective/salariés à temps complet |
Durée effective/salariés à temps complet et à temps partiel |
Allemagne |
48 heures |
39,7 heures |
36,4 heures |
Belgique |
40 heures |
38,4 heures |
35,7 heures |
Danemark |
Pas de législation |
38,9 heures |
34,5 heures |
Espagne |
40 heures |
40,7 heures |
39 heures |
France |
39 heures |
39,9 heures |
37 heures |
Grande-Bretagne |
Pas de législation |
43,9 heures |
37,5 heures |
Italie |
48 heures |
38,4 heures |
37,6 heures |
Pays-Bas |
48 heures |
39,5 heures |
31,7 heures |
Portugal |
44 heures |
41,2 heures |
40,4 heures |
Source : Commission européenne, Eurostat
Lorsque l'on examine les statistiques normalisées au niveau
européen, on observe la position médiane de la France. A
39,9 heures par semaine, la durée effective du travail des
salariés français à temps complet est très proche
de celle de leurs collègues néerlandais (39,5 heures). On
peut mieux affirmer que nul pays européen n'a encore
décidé d'appliquer une politique visant à faire baisser la
durée effective de travailleurs à temps complet à
35 heures.
Par contre, plusieurs de nos partenaires ont mené une politique active
de développement du travail à temps partiel. L'Allemagne, la
Belgique, le Danemark et surtout les Pays-Bas, affichent des durées
effectives du travail des salariés à temps complet et à
temps partiel inférieures à celles de la France.
A cet égard, les ministres du travail et des affaires sociales de
l'Union européenne ont adopté, le 15 décembre 1997, une
Directive européenne relative au temps partiel
37(
*
)
. On peut retenir que cette Directive
préconise l'élimination des obstacles au développement du
travail à temps partiel et donne un rôle majeur aux partenaires
sociaux dans la maîtrise et le contrôle de cette forme de travail.
Dans ces conditions, on peut s'interroger sur les dispositions du projet de loi
qui contraignent le développement du travail à temps partiel,
notamment quant à leur compatibilité avec l'esprit de la
Directive.
Estimation théorique du nombre moyen d'heures de
travail
effectives sur le cycle de vie (salariés, 15-70 ans)
|
Hommes |
Rang (CE) |
Femmes |
Rang (CE) |
Total |
Rang (OCDE) |
Belgique |
57.306 |
9 |
30.369 |
6 |
43.737 |
8 |
Danemark |
66.508 |
3 |
49.418 |
1 |
57.467 |
4 |
Allemagne |
64.578 |
4 |
38.429 |
5 |
51.642 |
6 |
Espagne |
62.257 |
5 |
26.347 |
9 |
43.974 |
10 |
France |
60.635 |
8 |
38.922 |
4 |
49.507 |
7 |
Italie |
61.825 |
6 |
28.095 |
8 |
44.501 |
9 |
Pays-Bas |
61.622 |
7 |
30.195 |
7 |
45.218 |
11 |
Portugal |
77.999 |
1 |
49.244 |
2 |
62.800 |
2 |
Royaume-Uni |
73.904 |
2 |
41.052 |
3 |
56.918 |
5 |
Etats-Unis |
|
|
|
|
61.343 |
3 |
Japon |
|
|
|
|
71.123 |
1 |
Europe des 12 |
65.098 |
|
36.418 |
|
50.559 |
|
Méthodologie : sur la base des données 1992,
avec l'hypothèse d'une stabilité à long terme des
comportements d'activité observés actuellement chez les plus de
15 ans.
Source : Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie, estimation Direction de la Prévision.
Lorsque l'on cherche à estimer le nombre moyen d'heures de travail
effectives sur le cycle de vie, on constate que la France est loin d'être
le pays où l'on travaille le plus. La Direction de la Prévision
évalue à 49.507 heures la quantité de travail moyenne
d'un travailleur français, ce qui classerait le pays au septième
rang de l'OCDE. On peut remarquer que les six pays dans lesquels on travaille
plus (Japon, Portugal, Etats-Unis, Danemark, Royaume-Uni et Allemagne) ont tous
un taux de chômage inférieur au taux français. Ces
éléments chiffrés renforcent la perplexité quant au
nombre d'emplois que pourrait créer le projet de loi.
On peut s'étonner, dans ces conditions, que le Gouvernement cherche
à promouvoir une réduction du temps de travail avec une faible
-voire une absence- de baisse de salaire alors que cette absence de
compensation salariale est précisément au coeur du succès
du temps partiel qui a permis de faire baisser le chômage dans les pays
qui l'ont appliqué. L'esprit de système est toujours
préjudiciable et il est à craindre que le " tout RTT "
choisi par le Gouvernement, compte tenu de son impact psychologique notamment,
constitue un pari risqué.
On comprend mal dans ces conditions comment la réduction du temps
de travail pourrait s'avérer être une solution au problème
du chômage. Ne risque-t-elle pas au contraire de retarder les
nécessaires réformes en repoussant artificiellement, au prix de
subventions coûteuses, l'heure des choix ? Ce projet ne reviendrait-il
pas à casser le thermomètre afin de faire disparaître la
fièvre et repousser le moment du diagnostic ?