b) Une estimation du coût global
1. Considérations générales
L'évaluation du coût global dépend, compte tenu de la
complexité du dispositif, de multiples hypothèses :
- nombre de salariés entrant dans le dispositif (potentiellement
13 millions),
- rythme d'entrée dans le dispositif,
- nature des entreprises entrant dans le système (potentiellement
1,2 million de salariés relevant des entreprises de main-d'oeuvre
bénéficiant d'une majoration de l'aide),
- nature des embauches pratiquées (population dite difficile ou
non).
Les informations fournies par le Gouvernement sur le coût du dispositif
relèvent de la simulation macro-économique.
Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi :
"
Les analyses menées sur la base d'hypothèses de gains
de productivité induits de l'ordre du tiers de la réduction du
temps de travail, font apparaître un point d'équilibre ex post
pour les finances publiques prises dans leur ensemble voisin du montant d'aide
correspondant à la dernière année du dispositif. Cela
signifie qu'une aide de ce montant d'aide n'a pas d'impact ex post sur les
soldes des comptes publics pris dans leur ensemble (l'Etat et les
collectivités locales, les régimes sociaux et l'assurance
chômage). (...)
" L'aide a été fixée à un montant sensiblement
supérieur les premières années pour être fortement
incitative et faciliter le processus de négociation, notamment dans les
entreprises de main-d'oeuvre : le montant d'aide de 9.000 F la
première année correspond, pour un salaire de 7.000 F,
à 10,7 points de cotisations, et l'aide moyenne de 7.000 F sur
5 ans à 8,3 points de cotisations.
22(
*
)
".
Ou encore, selon les réponses apportées à votre
rapporteur
23(
*
)
:
"
Sous les hypothèses habituellement retenues dans les
simulations et qui portent sur les gains de productivité (de l'ordre du
tiers de la réduction de la durée du travail) et sur la valeur
d'un ensemble de paramètres comme l'indemnisation moyenne ou l'ampleur
des flexions de taux d'activité, on calcule que le " point
d'équilibre ", correspondant à l'équilibre des
finances publiques et des comptes des entreprises, est de l'ordre de
1 point de cotisation par heure de réduction de la durée du
travail. Ce résultat est largement partagé par les
économistes ayant réalisé des calculs de ce type. Pour une
réduction de la durée du travail de 4 heures, la
réduction possible des cotisations sociales est de l'ordre de
4 points, ce qui, ramené en francs par salarié
concerné, correspond environ à 5.000 F. Dans ce cas, l'aide
correspond à une réduction du coût du travail plus forte
pour les rémunérations les moins élevées. "
De sorte que le ministre de l'emploi et de la solidarité a pu indiquer,
lors du débat à l'Assemblée nationale
24(
*
)
:
"
Tout d'abord, l'ensemble des simulations macro-économiques,
celles de Rexecode comme celles de l'OFCE, montrent la même chose : le
montant de l'aide est de l'ordre d'un point de cotisations sociales par heure
supprimée, c'est-à-dire quatre points de cotisations sociales
pour quatre heures. Ce sont les 5.000 F par salarié et par an dont
je parlais tout à l'heure et qui constitueront le montant de l'aide
structurelle in fine. Au bout de cinq ans, la réduction de la
durée du travail ne coûtera rien à l'Etat.
".
Trois observations peuvent être avancées s'agissant de ce cet
équilibre " ex post ":
- Il implique un " investissement " initial tant que
l'aide
n'est pas ramenée à 5.000 F. Or, on sait qu'elle peut
être portée jusqu'à 18.000 F. Comment cet
investissement sera-t-il financé pendant les 5 prochaines
années, cruciales pour les finances publiques ?
- Il suppose des effets vertueux en chaîne pour obtenir le
" retour " adéquat : non seulement les cotisations et
impôts versés par les nouveaux embauchés (et eux seuls,
alors que l'aide est versée pour tous les salariés en place), les
économies réalisées sur les allocations chômage ou
minima sociaux, mais encore, une série d'hypothèses propres aux
modèles macro-économiques..
- Il se heurte manifestement au calcul micro-économique fait
à partir d'exemples concrets. Ainsi, le coût de création
d'un emploi payé au SMIC, dans les exemples ci-dessus, peut être
estimé sur cinq ans entre 485.500 F (aide maximale) et
292.350 F (aide de base), net des retours attendus en impôts,
cotisations et économies sur les prestations.
2. Tentatives d'évaluation
Plusieurs approximations doivent être faites pour tenter une
évaluation du coût du dispositif.
Il convient tout d'abord de considérer
l'évaluation des
créations d'emplois
avancée par le ministre de l'emploi et de
la solidarité, soit 450.000 à 700.000 emplois.
Deux hypothèses extrêmes peuvent être ensuite
avancées : les emplois sont créés par le passage aux
35 heures ou le passage à 32 heures qui entraîne une
aide majorée. La
population des salariés entrant dans le
dispositif et bénéficiant de l'aide
varie alors.
Passage à |
Nb de salariés |
Emplois créés (1) |
Nb de salariés aidés (2) |
35 h |
7.500.000 |
450.000 |
7.950.000 |
35 h |
11.660.000 |
700.000 |
12.360.000 |
32 h |
5.000.000 |
450.000 |
5.450.000 |
32h |
7.770.000 |
700.000 |
8.470.000 |
(1)
Créations d'emplois correspondant,
selon les conditions requises pour bénéficier de l'aide, à
6 % (35 heures) ou 9 % (32 heures) du nombre de
salariés.
(2)
L'aide s'applique à tous les salariés,
présents initialement et embauchés.
En arrondissant ces chiffres, on peut avancer ainsi que :
Le passage à 35 heures avec 450.000 emplois
créés entraîne une aide bénéficiant à
8 millions de salariés.
Le passage à 35 heures avec 700.000 emplois
créés entraîne une aide bénéficiant à
12,4 millions de salariés.
Le passage à 32 heures avec 450.000 emplois
créés entraîne une aide bénéficiant à
5,5 millions de salariés.
Le passage à 32 heures avec 700.000 emplois
créés entraîne une aide bénéficiant à
8,5 millions de salariés.
Pour calculer le montant de l'aide, dont le " premier
étage "
est dégressif, il faut avancer une
hypothèse de rythme
d'entrées des entreprises dans le dispositif
. En reprenant un
scénario " rose " retenu implicitement par le Gouvernement,
et
correspondant au souci des entreprises de bénéficier de l'aide la
plus importante possible, mais compte tenu du temps nécessaire à
négocier, il a été retenu une hypothèse de
montée en puissance relativement rapide. Ainsi, pour une population
concernée de 8 millions de salariés : 1,5 million la
première année (c'est-à-dire avant la fin de
l'année 1998 mais l'aide versée au tarif de la première
année est poursuivie pendant 12 mois) ce qui correspond au chiffre
avancé par le Gouvernement
25(
*
)
puis 3 millions de
salariés supplémentaires en 1999, 2 millions en 2000 et
1,5 million en 2001. A compter du 1
er
janvier 2000, seules
les entreprises de moins de 20 salariés, c'est-à-dire celles
pour lesquelles la nouvelle durée légale du travail n'entre en
vigueur que le 1
er
janvier 2002, ont intérêt
à anticiper la réduction du temps de travail.
Il n'a pas été tenu compte par ailleurs de la majoration
elle-même dégressive dont bénéficient les
entreprises de main-d'oeuvre ; selon le ministre de l'emploi et de la
solidarité, cette majoration vise 1,2 million de salariés,
soit environ 10% de la population potentiellement concernée par le
champ d'application de la loi (13 millions de salariés).
Il n'a pas été davantage tenu compte de la majoration de
1.000 F pour embauches spécifiques ou efforts d'embauche au-dessus
du minimum obligatoire.
Enfin, la dégressivité du dispositif d'aide a
été simplifiée par rapport au dispositif envisagé
par le Gouvernement pour les entreprises de plus de vingt salariés (pour
lesquelles la nouvelle durée légale du travail s'applique au
1
er
janvier 2000) et étendue aux entreprises de moins de
vingt salariés (pour lesquelles la nouvelle durée légale
du travail s'applique au 1
er
janvier 2002). En effet, pour ces
entreprises, "
le barème de dégressivité de l'aide
dans le temps est encore à l'étude
"
26(
*
)
.
ESTIMATION DU COÛT BRUT DU
DISPOSITIF GOUVERNEMENTAL
(HORS MAJORATIONS)
Sous les réserves et selon les hypothèses précédemment évoquées, le coût brut du dispositif prévu par le projet de loi ( hors majorations ) 27( * ) peut être estimé de la façon suivante.
-
·
Passage aux 35 heures
* Création de 450.000 emploisMontant de l'aide de base dégressive
Nb d'entrées (en millions)
Entrées cumulées
(en millions)Montant de l'aide
(en francs)Coût
( en milliards de francs)1 ère année
1,5
1,5
9.000
13,5
2 ème année
3,0
4,5
8.000
36,0
3 ème année
2,0
6,5
7.000
45,5
4 ème année
1,5
8,0
6.000
48,0
5 ème année
-
8,0
5.000
40,0
soit un coût total sur cinq ans de 183 milliards de francs.
* Création de 700.000 emploisMontant de l'aide de base dégressive
Nb d'entrées (en millions)
Entrées cumulées
(en millions)Montant de l'aide
(en francs)Coût
( en milliards de francs)1 ère année
1,5
1,5
9.000
13,5
2 ème année
3,5
5,0
8.000
40,0
3 ème année
4,0
9,0
7.000
63,0
4 ème année
3,4
12,4
6.000
74,4
5 ème année
-
12,4
5.000
62,0
soit un coût total sur cinq ans de 253 milliards de francs.
· Passage aux 32 heures
Montant de l'aide de base dégressive
|
Nb d'entrées (en millions) |
Entrées
cumulées
|
Montant de l'aide
|
Coût
|
1 ère année |
1,5 |
1,5 |
13.000 |
19,5 |
2 ème année |
2,0 |
3,5 |
12.000 |
42,0 |
3 ème année |
1,0 |
4,5 |
11.000 |
49,5 |
4 ème année |
1,0 |
5,5 |
10.000 |
55,0 |
5 ème année |
- |
5,5 |
9.000 |
49,5 |
soit un coût total sur cinq ans de
215,5 milliards de francs.
* Création de 700.000 emplois
Montant de l'aide de base dégressive
|
Nb d'entrées (en millions) |
Entrées
cumulées
|
Montant de l'aide
|
Coût
|
1 ère année |
1,5 |
1,5 |
13.000 |
19,5 |
2 ème année |
3,0 |
4,5 |
12.000 |
54,0 |
3 ème année |
2,5 |
7,0 |
11.000 |
77,0 |
4 ème année |
1,5 |
8,5 |
10.000 |
85,0 |
5 ème année |
|
8,5 |
9.000 |
76,5 |
soit un coût total sur cinq ans de 312 milliards de francs.
*
Selon les hypothèses retenues, le coût du
dispositif d'incitation prévu par le projet de loi peut être ainsi
estimé pour les cinq premières années du dispositif entre
183 et 312 milliards de francs hors majorations
.
Passage à 35 heures avec 450.000 emplois créés : |
183 milliards de francs |
Passage à 35 heures avec 700.000 emplois créés : |
253 milliards de francs |
Passage à 32 heures avec 450.000 emplois créés : |
215 milliards de francs |
Passage à 32 heures avec 700.000 emplois créés : |
312 milliards de francs |
Les hypothèses " en cascade " sont
naturellement fragiles. En l'absence de chiffrage fourni par le Gouvernement,
à l'exception de l'affirmation macro-économique d'un
équilibre " ex post " rassurant,
ces éléments
permettent toutefois d'évaluer l'ampleur de
l'" investissement " initial.
Cet " investissement " ne saura, il est vrai, effectif que
si les
partenaires sociaux répondent à l'incitation qui leur est faite.
En quelque sorte, " si ça coûte, ça veut dire que
ça marche ".
Il sera certes possible de tenir une comptabilité très
administrative des emplois créés grâce au dispositif
d'incitation. Mais cette comptabilité des " entrées "
ne pourra tenir compte de trois facteurs :
- le nombre d'emplois qui auraient été créés
de toute façon : c'est le traditionnel effet d'aubaine ;
- le nombre d'emplois le cas échéant détruits par
l'économie générale du projet de loi ;
- enfin, la durée de l'engagement souscrit par les
bénéficiaires du dispositif incitatif : ils doivent maintenir
leur effectif, augmenté des nouvelles embauches pendant deux ans.