II. DE LA PROTECTION DE LA TRANQUILLITÉ PUBLIQUE À LA PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE : LES FINALITÉS DE LA LÉGISLATION DOIVENT ÊTRE ENRICHIES

La législation limitant les nuisances sonores a longtemps eu pour seul objectif de protéger la tranquillité publique. Toutefois, depuis quelques années, l'on assiste à l'émergence d'une législation protectrice de la santé publique, dont la proposition de loi n° 194 constitue la troisième étape.

Le socle le plus important de la législation protégeant les citoyens contre le bruit réside dans la définition des pouvoirs de police du maire. L'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales dispose en effet que la police municipale, dont le maire est chargé sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat, comprend notamment " le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que (...) le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ".

Pour autant, l'exposition d'autrui à des niveaux sonores élevés, si elle entraîne des risques sanitaires, n'est pas impunie même si elle est consentie : les articles 222-19 et 222-20 (atteintes involontaires à l'intégrité de la personne) ou 223-1 (des risques causés à autrui) du code pénal, par exemple, constituent à cet égard un arsenal législatif suffisant.

Mais il n'existait pas, jusqu'à une date récente, de législation sanitaire spécifique concernant le bruit : même le décret n° 95-408 du 18 avril 1995, pris sur la base de l'article L. 1 er du code de la santé publique, ne concerne que " les bruits de voisinage " et les bruits " de nature à porter atteinte à la tranquillité publique ". En aucun cas, par exemple, l'article L. 1 er du code de la santé publique, qui fonde les mesures réglementaires générales fixant les règles d'hygiène et toutes celles qui sont de nature à protéger la santé de l'homme, ne fait référence à la protection des individus contre l'exposition à des niveaux sonores élevés (baladeurs, discothèques, concerts, " rave parties "...).

En d'autres termes, et sans pour autant caricaturer l'état de notre législation, seuls ses voisins peuvent protéger un individu contre des nuisances sonores librement acceptées...

Certes, une loi de lutte contre le bruit, la loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992, a eu pour ambition de " prévenir, supprimer ou limiter l'émission ou la propagation sans nécessité ou par manque de précaution des bruits ou des vibrations de nature à présenter des dangers, à causer un trouble excessif aux personnes, à nuire à leur santé ou à porter atteinte à l'environnement ".

Mais, si la préoccupation sanitaire apparaît ainsi dans l'article premier de cette loi, elle n'est pas la seule, et la finalité presque trop générale de la loi de 1992, voulue par le législateur pour combler tous les vides juridiques en la matière, n'est pas sans présenter d'inconvénients. Ainsi, le projet de décret actuellement à l'étude, pris sur la base de cette loi pour fixer le niveau sonore maximal dans les concerts et les discothèques, prévoit des dérogations qui ne sauraient être fondées par des considérations de santé publique : il exclut en effet de son champ d'application les concerts en plein air ou les salles de spectacles, dans lesquels on peut souvent constater des niveaux sonores excessifs.

En fait, la première étape de l'édification d'un corps de règles protégeant spécifiquement la santé de l'individu contre les nuisances sonores a pris place dans la réglementation du travail. L'article R. 232-8 du code du travail dispose ainsi que " l'employeur est tenu de réduire le bruit au plus bas niveau raisonnablement possible compte tenu de l'état des techniques " et que " l'exposition au bruit doit demeurer à un niveau compatible avec la santé des travailleurs, notamment avec la protection de l'ouïe " . Et l'article R. 232-8-3 prévoit que, " lorsque l'exposition sonore quotidienne subie par un travailleur dépasse le niveau de 85 dB (A) ou lorsque la pression acoustique de crête dépasse le niveau de 135 dB (A), des protecteurs individuels doivent être mis à sa disposition " .

La seconde étape de l'édification d'une législation à finalité exclusivement sanitaire résulte de l'article 2 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses dispositions d'ordre sanitaire, statutaire et social.

D'origine parlementaire, cet article limite la puissance sonore maximale de sortie des baladeurs musicaux commercialisés en France à une pression acoustique de 100 décibels. Il prévoit aussi l'apposition d'un message sanitaire sur les baladeurs, indiquant qu' " à pleine puissance, l'écoute prolongée du baladeur peut endommager l'oreille de l'utilisateur ".

Enfin, la proposition de loi n° 194 présentée par M. Louis Souvet et plusieurs de ses collègues constitue une troisième étape dans l'enrichissement de cette législation. Elle concerne, non seulement les baladeurs musicaux destinés aux jeunes enfants, mais aussi et surtout les concerts et les discothèques : ce sont là des domaines qui, à l'évidence, doivent faire l'objet de règles spécifiques dans la mesure où l'exposition à des niveaux sonores élevés est tolérée, voire recherchée.

Des règles générales, applicables à tous, sont souhaitables pour protéger les jeunes et éviter qu'un niveau sonore excessif puisse constituer un avantage concurrentiel pour les exploitants ou organisateurs.

Elles doivent fixer des valeurs de niveaux sonores en retrait significatif par rapport aux pratiques actuelles, mais pas trop basses si l'on veut que la législation soit applicable et appliquée.

Il convient en effet d'éviter les excès sans dénaturer les pratiques culturelles des jeunes, et convaincre ces derniers de modifier progressivement des comportements qui peuvent être nuisibles pour leur santé.

Il est probable qu'à l'avenir, la législation française sera relayée par la législation communautaire : en effet, le Parlement européen a récemment adopté (JOCE du 30 juin 1996) une résolution sur le Livre vert de la Commission européenne intitulé " La politique future de lutte contre le bruit ".

Le Parlement européen demande ainsi à la Commission de " réaliser une étude sur le coût réel des préjudices occasionnés par le bruit, notamment sur le plan de la santé " et l'invite à " insérer dans la proposition de directive-cadre des dispostions visant à limiter le niveau sonore des appareils de musique portables (baladeurs, par exemple) ou fixes " .

Il est donc d'autant plus important que la France joue un rôle précurseur en la matière.

" Les effets du bruit sur la santé "

Possibilité de conversation

Sensation auditive

Nbre dB

Bruits intérieurs

Bruits extérieurs

Bruits des véhicules

 

Seuil d'audibilité

0

 
 
 
 

Silence inhabituel

5

Laboratoire d'acoustique

 
 

A voix chuchotée

Très calme

10

Studio d'enregistrement

Cabine de prise de son

 
 
 
 

15

 

Feuilles légères agitées par vent doux dans un jardin silencieux

 
 

Calme

20

Studio de radio

 
 
 
 

25

Conversation à voix basse à 1,50 m

 
 
 
 

30

Appartement dans quartier tranquille

 
 
 
 

35

 
 

Bateau à voile

A voix normale

Assez calme

40

Bureau tranquille dans quartier calme

 
 
 
 

45

Appartement normal

Bruits minimaux le jour dans la rue

Transatlantique de 1ère classe

A voix assez forte

Bruits courants

50

Restaurant tranquille Grands magasins

Rue très tranquille

Auto silencieuse

 
 

60

Conversation normale Musique de chambre

Rue résidentielle

Bateau à moteur

 

Bruyant mais supportable

65

Appartement bruyant

 
 
 
 

70

Restaurant bruyant musique

Circulation importante

Wagons-lits modernes
Métro sur pneus

 
 

75

Atelier dactylo

Usine moyenne

 
 

Difficile

Pénible à entendre

85

Radio très puissante Atelier d'ajustage

Circulation intense à 1 m

Bruits de métro en marche

 
 

95

Atelier de forgeage

Rue trafic intense

Klaxons d'autos Avions de transports à hélices à faible distance

Obligation de crier pour se faire entendre

Très difficilement supportable

100

Scie à ruban Presse à découper de moyenne puissance

Marteau piqueur dans une rue à 5 m

Moto sans silencieux à 2 m

 
 

105

Raboteuse

Métro (intérieur sur certaines lignes)

 
 
 

110

Atelier de chaudronnerie

Rivetage à 10 m

 

Impossible

Seuil de douleur

120

Banc d'essai de moteurs

 

Moteurs d'avion à quelques mètres

 

Exige une protection sociale

130

Marteau-pilon

 
 
 
 

140

Turbo-réacteur au banc d'essais

 
 

Source : ministère de la santé

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