6. Les crédits destinés à l'immobilier obérés par des opérations de prestige
Les crédits du titre V, destinés aux
acquisitions, constructions, restaurations et aménagements des immeubles
diplomatiques, consulaires et culturels augmenteront de 8 % entre 1997 et 1998,
passant de 251 à 271 millions de francs.
A l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1998, votre
rapporteur s'était étonné du montant des crédits
consacrés à certaines réalisations immobilières.
Parmi les opérations paraissant susciter quelque interrogation avait
été citée la reconstruction de l'ambassade de France
à
Kigali
, partiellement détruite en 1994, et dont le
coût total s'élèvera à 16 millions de francs. Le
devis de la seule réfection intérieure de la chancellerie de
Bakou
-dix millions de francs- avait également paru très
élevé.
Compte tenu des prix de l'immobilier dans des villes comme Paris ou Londres, il
est difficile à croire que la seule reconstruction -hors coût du
terrain- d'une ambassade dans un petit pays comme le Rwanda coûte aussi
cher que l'achat d'un bel hôtel particulier dans un quartier prestigieux
de notre capitale. La même remarque vaut pour les 15 millions de francs
consacrés à la seule rénovation de notre ambassade
à
Vilnius,
ou les 20 millions de francs que coûtera la
construction, à
Mexico
, d'un Centre d'information sur la France
contemporaine, ou même pour les 22,3 millions de francs affectés
à la construction de notre ambassade à
Kampala
(encore
s'agit-il là d'un coût prévisionnel).
Renseignements pris auprès des spécialistes de l'immobilier du
Quai d'Orsay, le coût des opérations immobilières
réalisées par celui-ci s'explique par l'intervention
d'entreprises de travaux publics françaises, appliquant des tarifs
normaux au mètre carré par rapport à ce que
coûteraient des opérations comparables en France. Les
défaillances que présentent, dans de nombreux pays, les
entrepreneurs locaux empêchent, en effet, de s'adresser prioritairement
à ceux-ci, et de bénéficier de coûts de
main-d'oeuvre souvent plus bas qu'en France.
Notons, par ailleurs, qu'il n'est pas impossible que ces opérations
immobilières paraissent obéir à des critères de
qualité, voire peut-être, dans certains cas, de luxe, que ne
sauraient aujourd'hui atteindre la plupart de nos administrations parisiennes.
C'est néanmoins essentiellement sur la manière dont sont
définis, en amont, les choix immobiliers du Ministère des
affaires étrangères
qu'il convient de s'interroger.
Ainsi le transfert de notre ambassade au
Nigeria
de Lagos à
Abuja
, la nouvelle capitale, a-t-elle été conçue
sur la base d'un projet européen. Or la lenteur constatée dans
les prises de décision initiales illustre la difficulté de
concilier les intérêts d'un grand nombre de pays, et permet de
s'interroger sur la pertinence de ce type de projet communautaire. Par
ailleurs, le désengagement du Danemark, et les réticences
exprimées de tout temps par les Britanniques, pourraient obliger notre
pays à assumer le coût de cette opération (43 millions de
francs pour l'ambassade communautaire, auxquels s'ajoutent les 35 millions
de francs prévus pour la résidence et les logements) avec un
nombre réduit de partenaires. Etait-il, compte tenu des risques
inhérents à ce type d'opération, très prudent de
s'engager sans garanties dans un projet aussi coûteux, pour un pays qui
ne figure pas vraiment parmi les interlocuteurs privilégiés de
notre politique étrangère ?
Dans le même ordre d'idée, il convient d'espérer que la
reconstruction de notre ambassade au
Rwanda
a été mise en
oeuvre au terme d'une réflexion sur l'évolution à venir de
notre réseau en Afrique subsaharienne. Dans l'hypothèse où
notre ambassade à Kigali serait supprimée d'ici quelques
années, comme l'a été celle de Freetown, il n'est pas
acquis que la France arrive à tirer de l'aliénation de notre
ambassade au Rwanda les 16 millions de francs qu'aura coûté
la reconstruction de celle-ci (en dehors du prix du terrain).
D'autres interrogations peuvent être suscitées par l'importance
des grands projets immobiliers fondés sur des
symboles.
Ainsi le montant des crédits consacrés à la construction
de notre ambassade à
Berlin
(280 millions de francs) peut-il
être justifié, au moins partiellement, par d'importantes
difficultés techniques dues à la configuration d'un terrain
choisi essentiellement pour des raisons symboliques, car il se trouve au coeur
du quartier le plus prestigieux de la nouvelle capitale allemande. Il n'est pas
exclu par ailleurs que ce projet repose sur un parti pris de perfection, voire
de luxe, qui pourrait expliquer son prix. On peut aussi s'interroger sur la
superficie de notre future ambassade (20 000 m² de surfaces totales
de plancher, soit 9 000 m² utiles). Les progrès de la
construction européenne pouvant, à terme, conduire à
revoir le format de nos ambassades dans les pays membres de l'Union dans un
sens plus compact, il serait regrettable que notre ambassade à Berlin
s'avère, à terme, surdimensionnée.
Le choix consistant à réinstaller notre chancellerie au
Liban
dans la prestigieuse Résidence des Pins de Beyrouth -pour un
coût supérieur à 40 millions de francs- appelle, comme la
construction de notre ambassade à Berlin, une réflexion sur le
poids des symboles dans nos choix diplomatiques.
Fallait-il vraiment, en effet, pour manifester concrètement le prix
attaché par les plus hautes autorités de l'Etat français
à l'amitié franco-libanaise, ainsi qu'à l'amitié
franco-allemande, inscrire ces relations privilégiées dans des
bâtiments de prestige, dont le coût paraît très
important ? Faut-il vraiment que le budget du ministère des affaires
étrangères, pourtant soumis à de fortes tensions, assume
les conséquences financières de ces choix avant tout politiques ?
Votre rapporteur est convaincu que ces grandes opérations de prestige,
sur la liste desquelles figure notre future ambassade à Pékin,
dont le coût pourrait
excéder 400 millions de francs
,
compromettent la réalisation d'opérations moins "visibles", mais
autrement plus fondées, parmi lesquelles la réfection de certains
lycées et alliances françaises, dont l'état de
délabrement est trop souvent consternant. Pour une réalisation de
qualité comme le futur lycée de Francfort, combien de nos
établissement prennent l'eau, ou sont dénués
d'infrastructures sportives !