B. LES RÉPERCUSSIONS EN EUROPE
1. La constitution de groupes transnationaux
En 1996, on a également assisté à des
opérations de fusion importante sur la scène européenne.
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La naissance de CLT-UFA
En juillet 1996, a été signé à Luxembourg l'accord
de mise en commun des activités audiovisuelles de Bertelsmann AG et
d'Audiofina S.A., la société-mère de la CLT. Cette
alliance fait naître en Europe la première entreprise
audiovisuelle par le chiffre d'affaires, CLT-UFA, et un groupe très
performant en mesure de s'imposer dans la concurrence internationale. Audiofina
et Bertelsmann contrôleront à parts égales 98 % de la
CLT-UFA. CLT-UFA réunira l'ensemble des activités et
participations de la CLT et celles de UFA Film und Fernseh GmbH & Co KG. Le
rapprochement CLT-UFA ne sera effectif qu'à partir du moment où
toutes les autorisations des autorités nationales et européennes
auront été obtenues. Jusqu'à cette date, les deux
entreprises continueront à travailler de façon autonome et
indépendante, tout en préparant d'ores et déjà la
mise en place de leurs nouvelles structures. Outre l'apport de
l'intégralité de ses activités audiovisuelles à la
CLT, Bertelsmann a prévu le versement à Audiofina d'une soulte en
espèce d'environ 1,5 milliard de DM, payable début 1997.
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L'internationalisation de Canal +
En septembre 1996, Canal + a annoncé sa fusion avec Nethold, le
troisième groupe européen de télévision à
péage. Avec 14,9 %, la Compagnie financière Richemont (qui
détenait 50 % du capital de Nethold) est devenu le troisième
actionnaire de Canal +, après Havas (17,3 %) et la
Générale des Eaux (15 %).
La fusion a pour objectif de permettre à Canal + de
pénétrer de nouveaux marchés, au nord et au sud de
l'Europe, en prenant le contrôle des chaînes à péage
FilmNet (en Scandinavie, aux Pays-Bas, dans la Communauté flamande, en
Europe centrale, en Grèce) et Telepiù (en Italie).
Mais cette opération était aussi la conséquence des
retournements d'alliances intervenus sur le marché allemand qui
aboutissaient à une marginalisation de fait du groupe français.
En contrepartie du retrait de Canal + de Premiere, Kirch cède au
groupe français les 45 % qu'il détenait dans les chaînes
à péage italiennes Telepiù. Compte tenu de
" l'avancée des plates-formes numériques dans chaque pays,
des résultats financiers des chaînes et des perspectives de
marché ", la transaction s'est effectuée sur la base
" d'un abonné Première pour un abonné
Telepiù ". La valorisation de cet abonné a été
fixée à 1 250 dollars, un seuil plus
élevé que celui arrêté quand Rupert Murdoch avait
cherché à entrer dans Premiere. La participation de Canal +
dans la chaîne allemande, qui compte 1,45 million d'abonnés,
s'élève donc à 3,94 milliards de francs. Leo Kirch
s'était engagé à payer cette somme par des actions
Telepiù (évaluées selon cette base à
2,8 milliards de francs pour 0,88 million d'abonnés), ainsi
que par une soulte en numéraire de 1,2 milliard de francs, qui ira
grossir la trésorerie de Canal +.
Si le groupe français se retire du marché allemand faute d'avoir
pu y trouver sa place, ce départ s'effectue dans le cadre d'une
stratégie cohérente, et dans de bonnes conditions
financières : Canal + a investi au total près de 600
millions dans Premiere et récupérera in fine près de cinq
fois sa mise. Ce gain vient à point nommé pour permettre au
groupe français de supporter la charge que constitue la reprise des
activités de Nethold encore déficitaires.
2. La germanisation du marché allemand
1997 a vu des bouleversements importants se produire sur le
marché allemand. D'abord, le groupe de communication de M. Rupert
Murdoch a décidé, le 7 mars 1997, de se retirer
jusqu'à nouvel ordre du marché allemand de la
télévision numérique, en dénonçant ses
accords avec le groupe Kirch. Mais, de façon encore plus radicale, ce
dernier a renoncé à exploiter son bouquet DF 1 pour se
rapprocher de Premiere.
Après l'explosion d'un premier projet d'alliance avec Canal + et
Bertelsmann, BSkyB était entré, en juillet 1996, à hauteur
de 49 % dans le capital de DF 1, la plate-forme numérique de
M. Leo Kirch. Cette alliance devait permettre de tirer parti au mieux du
lancement de la technologie numérique sur le marché le plus riche
d'Europe : l'Allemagne. Cependant, le marché allemand n'a pas -dans
ce domaine- tenu ses promesses. M. Murdoch s'est retiré d'Allemagne,
passée en quelques mois du marché le plus prometteur d'Europe
à celui de marché incertain. "
La situation était
très risquée pour BSkyB sur le marché allemand, où
il y a déjà beaucoup de choix
" dans le secteur de la
télévision payante ; de plus, le lancement de services
numériques en Grande-Bretagne pouvait se révéler beaucoup
plus rentable.
En fait, le bouquet numérique DF 1 n'a jamais réussi
à décoller du fait de la dure concurrence de Premiere, la
chaîne de télévision à péage
contrôlée par Bertelsmann et Canal +, et dans laquelle Kirch
possède aussi une participation minoritaire de 25 %. Premiere
compte 1,5 million de clients en Allemagne. "
Le décollage
de DF 1 a été terriblement lent, avec seulement 30 000
abonnés à la fin de l'année dernière, alors que
l'objectif était de 200 000 "
.
M. Murdoch voulait développer des passerelles entre DF 1 et
Premiere, et éventuellement intégrer Premiere au bouquet
DF 1. Tel serait cependant l'un des principaux points de désaccord
entre MM. Kirch et Murdoch.
Les possibilités d'expansion en Europe sont limitées pour
M. Murdoch et BSkyB, qui devraient désormais se tourner vers les
États-Unis et d'autres marchés moins saturés. Il dispose
cependant d'une place-forte en Europe, la Grande-Bretagne, où BSkyB, son
réseau de télévision payante par satellite et par
câble, n'a pas de concurrence. Plus de six millions de Britanniques y
sont abonnés et BSkyB est considérée comme l'une des plus
rentables sociétés britanniques cotées à la Bourse
de Londres.
Le marché du numérique en Allemagne est difficile d'accès,
même pour les plus grands groupes de communication.
Terre promise des grands groupes de communication, le marché allemand de
la télévision numérique est devenu une place-forte
décourageant les mieux armés. Présenté comme une
diversification rendue possible grâce aux énormes capacités
de transmission de la technologique numérique, le développement
de la télévision du futur en Allemagne apparaît depuis 1995
comme incertain. En septembre 1996, le groupe Bertelsmann, numéro trois
mondial de la communication, déclarait forfait, enterrant ses propres
projets de peur d'y perdre trop d'argent.
Ce nouveau loisir télévisuel -l'arrivée du
numérique- a du mal à trouver sa place dans un paysage
audiovisuel déjà encombré par une pléthore de
programmes accessibles pour un prix dérisoire. Une bonne moitié
des foyers reçoit déjà la trentaine de chaînes du
câble pour moins de 30 DM mensuels
(1 DM = 3,37 francs). "
La télé
numérique est un complément qui va se développer, mais
lentement, et qui devra offrir de très bons programmes et un excellent
rapport qualité-prix
". La chaîne à péage
Premiere ne compte d'ailleurs, après six ans d'existence, que 1,417
million d'abonnés.
Mais, coup de théâtre, le groupe Kirch, las d'accumuler les
pertes, saborde son bouquet DF 1 et se rapproche, en dépit de leurs
rivalités commerciales et même judiciaires, de Bertelsmann.
Après le retrait pur et simple du projet concocté par la CLT
(Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion), c'est donc au tour
du groupe Kirch de déclarer forfait.
DF 1 n'avait pas, malgré ses 38 chaînes payantes, conquis plus de
40 000 abonnés, alors que ses objectifs étaient dix fois
supérieurs. Cet échec a des raisons structurelles, car une large
majorité de foyers allemands a déjà accès à
une trentaine de chaînes câblées ce qui a largement
contribué à saturer le marché allemand ; mais il
s'explique aussi par des erreurs, en particulier le fait qu'il a fallu
longtemps acheter et non pas louer un décodeur numérique au prix
prohibitif de 890 DM, soit près de 3 000 francs.
De plus, en raison d'un désaccord persistant avec les
câblo-opérateurs allemands, qui desservent plus de 17 millions de
foyers, les chaînes de DF 1, non distribuées par ce biais, n'ont
pas pu trouver le moyen d'améliorer leur rentabilité.
Depuis son lancement, DF 1 a admis avoir perdu 3,3 milliards de francs la
première année, un fardeau en fait trop lourd pour les finances
d'un groupe déjà endetté de près de 10 milliards de
francs, en raison notamment de l'acquisition d'un très important
catalogue de droits.
Fin août 1997, les responsables du groupe annoncent que DF 1 en tant
que société indépendante sera dissoute. Et que ses
programmes seront fondus au sein de la chaîne Première dès
que possible, en 1998. Premiere va donc occuper l'ensemble du marché.
Les deux géants de la télévision allemande ont ainsi
décidé de se partager le capital de Premiere, ce qui a eu pour
conséquence le départ de Canal + du marché allemand.
Les chaînes numériques regroupées autour de Premiere
devraient faire l'objet d'une diffusion plus vaste sur le satellite ainsi que
sur le câble, grâce à un accord de principe conclu avec
Deutsche Telekom. Toutefois cette alliance tripartite entre Kirch, CLT-UFA et
l'opérateur de télécommunications n'avait pas encore (en
octobre 1997) reçu le feu vert des autorités. Cette situation
pourrait soulever des critiques du point de vue de la concurrence notamment de
la part des chaînes publiques. ARD et ZDF ont du reste saisi la
Commission de Bruxelles. Ces dernières ont d'ailleurs annoncé le
lancement d'un bouquet numérique gratuit sur Astra. Celui-ci devrait
proposer 19 chaînes thématiques, qui s'apparentent surtout
à une nouvelle présentation des stocks des chaînes,
informations, longs métrages en boucle, programmes régionaux...
En définitive, on peut dire que cette restructuration a abouti à
une
germanisation du paysage audiovisuel allemand.
D'une part, Canal + a, au début du mois de juillet 1997,
entériné son départ du marché allemand, en
cédant au groupe Kirch ses 37,5 % dans la chaîne à
péage Premiere, qui, en échange, vend au groupe français
les 45 % qu'il détenait dans les chaînes à
péage italiennes Telepiù (cf. supra).
D'autre part, la WAZ, second groupe de presse quotidienne allemand, très
présent aussi dans la radio, est entrée dans le principal groupe
audiovisuel européen, CLT-UFA, en achetant à Bertelsmann 20 % du
holding BWTV qui contrôle directement et indirectement 50 % de CLT-UFA
Holding, la maison mère de CLT-UFA. Cette opération s'accompagne
de l'apport, par la WAZ, de ses 11 % dans la première chaîne
privée allemande RTL (le reste étant déjà
détenu par CLT-UFA).
On peut souligner que le numérique va désormais pouvoir conforter
son expansion en s'adossant aux réseaux de Deutsche Telekom. Celui-ci en
a d'ailleurs profité pour augmenter le coût de son abonnement qui
passe à 29,5 DM.
3. La restructuration de l'ensemble Havas-Générale des Eaux
Au début du mois de février 1997, la Compagnie
Générale des Eaux a annoncé sa volonté de clarifier
ses positions dans le secteur audiovisuel avec une opération qui
concerne essentiellement l'apport à Havas de sa participation dans
Canal + en échange d'une montée à environ 30 %
au capital de cette société.
Cette opération s'inscrit dans la nouvelle stratégie de la
Compagnie Générale des Eaux tendant à la restructuration
d'un empire de quelque 2 600 sociétés. C'est ainsi
qu'au début 1997, le groupe avait déjà cédé
pour 13,3 milliards de francs d'actifs.
L'idée serait de restructurer la Compagnie autour de trois grands
pôles : services à l'environnement, pour une moitié du
chiffre d'affaires, travaux et immobilier pour 30%,
télécommunications et images avec un objectif d'au moins 15% du
chiffre d'affaires.
Le secteur des télécommunications (téléphonie
mobile SFR, radiomessagerie...) est déjà réorganisé
autour d'un pôle fort, Cegetel, qui associe la compagnie au Britannique
British Telecom, à l'Américain SBC et à l'Allemand
Mannesmann.
Dans l'audiovisuel, outre la participation de 19,3% dans Canal + qui
serait apportée à Havas, la Compagnie gère nombre de
participations très diverses.
L'apport éventuel de certaines d'entre elles à Havas favoriserait
l'émergence d'un champion européen de l'audiovisuel face aux
poids lourds que sont Bertelsmann et Hachette. Les actifs de la
Générale dans le secteur vont des studios de Babelsberg en
Allemagne (75 %) à Phénix Studios en France, en passant par
une participation importante dans UGC (33,6 %).
La Générale d'Images, qui avait été associée
à Havas dans son projet de reprise de la SFP (Société
Française de Production), rassemble des participations dans huit
chaînes thématiques diffusées par le câble et
CanalSatellite, dont Planète (détenue à 35 %), Jimmy
(42,5 %), Ciné Cinémas et Ciné Cinéfil
(30 %), MCM Euromusique (33 %), ainsi qu'un certain nombre de
télévisions locales actuellement déficitaires. En outre,
c'est La Monégasque des Ondes (détenue par Canal +,
Bertelsmann et la Générale d'Images) qui détient Monte
Carlo TMC.
Enfin, toujours dans le domaine audiovisuel mais plus proche des métiers
de l'infrastructure, il faut mentionner que la Générale de
Vidéocommunication (CGV), qui gère le développement du
câble, au prix de gros investissements, a raccordé 550 000
foyers mais avec seulement 330 000 abonnés.
En définitive, cette vaste opération a pour conséquence de
faire émerger au sein d'Havas un trio constitué de la Compagnie
Générale des Eaux (à près de 30 % de Havas),
la Société Générale (à environ 9 %) et
Alcatel (à environ 10 %).
Restait à régler, pour Havas, la situation créée
par la fusion de la CLT avec le groupe Bertelsmann qui a eu pour
conséquence la marginalisation de sa position au sein du groupe CLT-UFA.
A l'automne 1997, Havas annonce la clarification de ses liens avec la CLT-UFA.
Havas affiche au premier semestre un bénéfice record, plus du
double de celui obtenu au premier semestre de 1996, grâce notamment
à la soulte versée par Audiofina en contrepartie de la fusion
avec Bertelsmann et de plusieurs cessions (Capital Radio, Métrobus,
Médiavision).
Hors résultat exceptionnel (880 millions de francs), le
bénéfice net atteint 663 millions de francs, en hausse de
33 %.
Havas a rendu public le résultat de laborieuses négociations
menées depuis plusieurs mois avec le Groupe Bruxelles-Lambert (GBL) du
financier Albert Frère, concernant la participation de Havas dans la
Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion.
Havas a obtenu de faire " descendre " sa participation de
40 %
dans une holding non cotée (CLMM, qui détenait 47,8 %
d'Audiofina) au niveau plus direct de la holding Audiofina, une
société cotée, puisque la participation de Havas est
désormais cessible sur le marché.
L'accord prévoit qu'Havas détiendra une participation de
19,6 % dans le capital dilué d'Audiofina, une holding cotée
à Luxembourg, Paris et Bruxelles, qui possède près de
50 % de CLT-UFA. Cette décision a été
interprétée comme le prélude à une cession par
Havas de sa participation en Bourse.
Ce désengagement mettrait fin à un véritable imbroglio.
Marginalisé depuis l'accord entre CLT et Bertelsmann, le groupe
français se retrouve, via sa participation dans CLT, dans le capital de
TPS, le bouquet numérique concurrent de CanalSatellite, alors qu'il est,
avec 34 %, le principal actionnaire de Canal +.
Au surplus, Havas a fait un pas de plus dans le divorce avec la CLT en lui
rétrocédant sa filiale Havas Intermédiation -
4,5 milliards de francs de chiffre d'affaires et 210 millions de
francs de résultat courant pour 1996 -, dont l'essentiel de
l'activité, IP, est constitué des régies publicitaires des
radios et télévisions de la CLT.
IP est liée par un contrat de régie publicitaire au groupe
CLT-UFA jusqu'à l'an 2000. Sa valorisation ne peut que se
dégrader à l'approche de l'échéance de l'accord.
C'est sans doute ce qui explique qu'Havas ne retire de cette cession que le
montant relativement modeste de 860 millions de francs.
Toutefois, la CLT ne reprend pas plusieurs activités annexes d'Havas
Intermédiation, comme les régies des magazines de bord des avions
(RCI, IMM), la régie des journaux officiels OSP, la
société de mesure d'audience Peaktime, ou encore Adways,
détenue avec l'agence Reuter et spécialisée dans les
réseaux électroniques d'information.
On assiste donc à un recentrage d'Havas sur l'audiovisuel et
l'édition, c'est-à-dire un désengagement des secteurs de
la publicité et du voyage, conformément aux souhaits de son
actionnaire de référence, la Compagnie Générale des
Eaux.