II. VERS UN ASSOUPLISSEMENT ET UNE SIMPLICATION DES MODES D'ATTRIBUTION DES FRÉQUENCES ?
La remise en cause de la procédure est largement due aux initiatives du groupe NRJ qui a multiplié les interventions demandant une modification de la loi du 30 septembre 1986, afin d'assouplir le dispositif anti-concentration.
A. LES POSITIONS DES OPÉRATEURS RADIOPHONIQUES
1. Les propositions du groupe NRJ
a) Les ambitions du groupe NRJ
Les souhaits du groupe de pouvoir se développer ne
sont pas compatibles avec les règles définies actuellement par
l'autorité de régulation pour l'application de la loi.
Le CSA a dû concilier sa volonté de protéger les radios
indépendantes avec le nouveau dispositif anti-concentration,
légitimant le développement des réseaux. Cette
conciliation n'a pas été aisée puisque tout en
élevant le seuil anti-concentration, la loi de 1994 a
figé le
paysage radiophonique pour 15 ans
en raison de l'instauration d'une
procédure de renouvellement quasi automatique des autorisations. Cette
contradiction inhérente à la loi a créé
d'inévitables tensions entre l'instance de régulation et des
réseaux cherchant à se développer. En effet, les
réseaux qui veulent s'étendre, veulent le faire en
" récupérant " des fréquences attribuées
à des radios locales indépendantes, en particulier des radios de
catégorie B. La question du passage de ces radios en
catégorie C est devenue capitale en politique radiophonique.
Le CSA a donc réagi en deux temps et en publiant deux
communiqués. Le communiqué n° 293 du 12 avril 1995 est
un texte de transition et de compromis, masquant mal les divergences au sein du
Conseil entre partisans d'une politique plus ouverte à l'égard
des réseaux et les défenseurs du statu quo. Il faudra attendre le
communiqué n° 319
du 15 décembre 1995 pour que
le CSA adopte une nouvelle ligne, claire, conciliant respect du droit,
défense des radios indépendantes, et affirmation du
caractère légitime du développement des réseaux.
Afin de permettre ce développement, ainsi que l'équilibre entre
les quatre grands groupes radiophoniques, le CSA a précisé qu'il
ne s'opposait plus au passage d'une radio de catégorie B (les
radios associatives de la catégorie A restant un
" sanctuaire ") en catégorie C. Il a cependant mis comme
condition que ces opérateurs
restituent leurs fréquences et se
présentent lors d'un nouvel appel à candidatures
.
Compte tenu du cadre juridique actuel, c'est du succès de cette
" passerelle " mise entre les catégories B et C que
dépend le développement des réseaux, et, par
conséquent, la portée réelle de la loi du
1er février 1994.
Mais la prudence du CSA dans ce dossier n'a pas satisfait le groupe NRJ, qui en
a fortement critiqué la politique radiophonique, et, surtout,
l'obligation de restitution de la fréquence
.
Or, le CSA n'a fait qu'appliquer le droit en choisissant la voie de l'appel
à candidatures.
b) L'épreuve de force avec le CSA
Le groupe radiophonique a tout d'abord tenté de
" passer en force ".
Il a autorisé le 5 décembre 1996 quinze stations locales
représentant une cinquantaine de fréquences à reprendre
son programme " Rires et chansons " en violation de la
procédure légale. Le CSA a réagi et, dès le
9 décembre, les antennes concernées ont été
mises en demeure de cesser cette diffusion " sauvage " sous
peine
d'être suspendues ou de se voir retirer leur autorisation
d'émettre.
Puis, reprenant les méthodes qu'il avait utilisées en 1984 pour
une toute autre affaire, NRJ a tenté de mobiliser les auditeurs, en les
invitant à saturer le standard téléphonique des services
du Premier Ministre.
La méthode s'est toutefois révélée maladroite
puisqu'elle a suscité de vives réactions de la part du syndicat
des radios généralistes privées (RTL, RMC, Europe 1),
alliées pour la circonstance au GIE les Indépendants, qui
réunit une soixantaine de stations régionales.
Le Gouvernement de M. Alain Juppé, prenant acte de ces
difficultés, a annoncé son intention de proposer une modification
de la loi et de réaliser un audit de l'utilisation de la bande MF,
aujourd'hui saturée.
L'attitude du groupe NRJ a suscité des "demandes reconventionnelles"
de
la part des autres catégories de radios souhaitant, toutes, une
évolution de la législation...en leur faveur.
2. Les propositions des radios généralistes
Elles s'estiment également lésées par la
situation actuelle du paysage radiophonique, alors qu'elles contribuent
à l'information politique et générale. Or, cette
contribution augmente considérablement la partie dépenses de leur
budget. A titre d'exemple,
le budget consacré par l'une des radios
généralistes à ses émissions
généralistes est équivalent au budget global de la radio
musicale qui a la plus forte audience et, pourtant, les radios
généralistes souffrent d'une pénurie de
fréquences.
Dans trois départements, aucune radio généraliste
privée n'est présente ; dans neuf départements une
seule émet en MF ; dans 31 départements, elles ne sont
que deux. Dans les 53 départements métropolitains restants,
le maillage demeure insuffisant. La couverture MF des radios
généralistes privées en nombre d'habitants est
inférieure à celle des autres radios nationales.
Sur les 2 400 fréquences attribuées aux radios
privées, les trois généralistes en totalisent moins de 400
alors que NRJ, à elle seule, en dispose de 230. Pour assurer un maillage
satisfaisant du territoire, les généralistes souhaitent disposer
d'au moins 200 fréquences chacune.
Les radios généralistes voudraient "
corriger les
modalités d'attribution des fréquences
". Compte tenu de
la pénurie de fréquences et de leur volonté de contribuer
au débat démocratique par l'expression des différents
courants socioculturels, elles estiment nécessaires une
priorité d'attribution.
Ceci afin d'atteindre progressivement une
diffusion nationale, sans toutefois "
pénaliser les radios
associatives et les indépendantes qui respectent leurs
engagements
".
Pour résoudre cette équation difficile, elles suggèrent :
- d'interdire la reconduction hors appel à candidatures d'une
autorisation de radiodiffusion sonore dans les agglomérations de plus de
30 000 habitants où deux généralistes privées
au moins sont absentes.
- de prévoir un appel à candidatures ouvert aux opérateurs
de radio de toutes les catégories lors du renouvellement des
fréquences lorsque le titulaire n'a pas respecté son cahier des
charges (en précisant, à l'article 28-1, une exception au
renouvellement automatique des fréquences).
- de maintenir le contrôle du CSA sur les principaux mouvements du
marché des radios et en particulier des changements de catégorie
souhaités par les opérateurs. Une radio locale qui souhaite
changer de catégorie et diffuser un programme national devrait
rétrocéder sa fréquence au CSA qui déciderait
ensuite de son attribution. Ces changements de programmes, souvent
demandés à la suite d'un " accord " avec un
opérateur national, doivent demeurer soumis à
l'appréciation du CSA et faire l'objet d'un appel d'offres ouvert
à toutes les catégories de service, y compris les
généralistes. La procédure devrait être
simplifiée et sa durée maximum limitée.
Pour les radios généralistes, "
toute disposition
autorisant des radios locales indépendantes à se syndiquer quasi
automatiquement à un programme national serait un facteur
supplémentaire de déséquilibre de la bande MF qui
interdirait au CSA de joueur son rôle de régulateur
".
Elles demandent également d'améliorer les planifications de la
bande MF dans le sens d'une plus grande transparence et d'une plus grande
cohérence en créant une
commission technique paritaire
chargée d'élaborer le plan de fréquences.
Ce
Comité regrouperait les services techniques du CSA et les
représentants des différents opérateurs du secteur (radios
publiques, associatives et commerciales). Plus précisément :
- le plan fixerait le nombre de fréquences à attribuer par zone,
les puissances et les sites d'émission ;
- la composition de la commission technique paritaire serait
arrêtée par le CSA ;
- celle-ci pourrait se faire assister par les organismes et
sociétés de son choix ;
- elle devrait rendre un rapport annuel avant le 30 juin de chaque
année précisant l'usage des fréquences. Ce rapport,
transmis à l'agence nationale des fréquences et au CSA, serait
rendu public.
Les radios généralistes estiment que
les plans de
fréquence seraient plus cohérents s'ils étaient
établis une fois les candidats aux fréquences connus et non
l'inverse
comme le prévoit la loi actuelle. L'ignorance des futurs
utilisateurs conduit à renforcer les champs de protection (qui assurent
le confort d'écoute) et interdit une diffusion d'un même programme
sur des fréquences identiques ou voisines sur l'ensemble du territoire
ce qui, pourtant, permettrait un meilleur " confort " à
l'auditeur lorsqu'il se déplace. C'est du reste de cette manière
que France Info a pu se développer autour d'une fréquence.
3. Les propositions des radios associatives
La Confédération Nationale des Radios Libres
(CNRL), qui rassemble les radios associatives, souhaite que la loi
définisse les caractéristiques de " la radio
associative ". D'après elle, le secteur associatif devrait
bénéficier de 25 % au moins des fréquences et
utiliser des puissances d'émission " lui garantissant un
véritable confort d'écoute ".
De plus, elle propose la création d'un deuxième fonds,
parallèlement au fonds de soutien à l'expression radiophonique,
alimenté par le budget de l'État et destiné à
l'équipement et à " certaines opérations ",
notamment en matière culturelle et d'intégration. Les radios
associatives auraient un accès privilégié aux campagnes
d'intérêt général organisées par le
Gouvernement. Les collectivités locales seraient incitées
à participer à leur financement.
La CNRL souhaite la mise en place d'une commission consultative,
composée de représentants des radios associatives, des
ministères intéressés et du CSA. Elle serait entendue
chaque fois qu'une décision concernant une radio associative devrait
être prise.
4. La position du secteur public de la radio
Dans ce dossier, le secteur public est resté
remarquablement discret, pour deux raisons semble-t-il.
La première est qu'il bénéficie d'une priorité dans
l'attribution des fréquences radiophoniques. Ce privilège n'a pas
de base juridique claire : il est du reste contesté par les
opérateurs privés
59(
*
)
.
La seconde, en liaison étroite avec la précédente,
réside dans le projet de développement d'une nouvelle radio
thématique destinée aux jeunes, baptisée d'abord
" Radio Alpha ", puis " Le MOUV' ",
dont la couverture
devrait se faire selon les principes présentés par son
président
60(
*
)
.
Pour la diffusion, Radio France "
utilisera dans un premier temps
des
fréquences qui avaient été affectées pour des
programmes locaux qui n'ont jamais vu le jour
". C'est
implicitement
admettre que le secteur public dispose de fréquences
gelées.
"
L'objectif initial est de desservir 4 à 5 millions d'habitants
autour d'une vingtaine de sites
61(
*
)
. Il y aura une forte dominante
urbaine, mais nous toucherons également des zones rurales. Ensuite,
viendra la région parisienne. Là, nous verrons comment utiliser
de la façon la plus pertinente les fréquences dont nous
disposerons
". C'est implicitement annoncer que
la nouvelle
radio
rendra nécessaire une nouvelle répartition des fréquences
attribuées au secteur public, à " enveloppe "
constante.
D'aucuns s'interrogent cependant sur le caractère d'intérêt
général et de service public d'une radio " jeunes "
financée par les deniers publics et suggèrent d'accorder aux
15-25 ans une place plus importante sur les antennes existantes du secteur
public.