IV. LES INCOHÉRENCES DE LA CARTE JUDICIAIRE ACTUELLE
La carte judiciaire n'a que très peu
évolué depuis la réforme judiciaire de 1958 qui a
substitué aux 2.902 justices de paix et aux 359 tribunaux de
première instance, respectivement, 455 tribunaux d'instance et
172 tribunaux de grande instance.
4 cours d'appel, 8 tribunaux d'instance, 6 tribunaux de commerce ont
été créés. Par ailleurs, il a été
procédé à quelques regroupements de conseils de
prud'hommes et de tribunaux de commerce.
Ainsi, l'architecture générale de la carte judiciaire ne s'est
pas adaptée à l'évolution démographique,
économique et sociale de la société française.
A cet égard, le rapport sur l'état de la carte judiciaire,
établi en application de l'article 5 de la loi programme
n °95-9 du 6 janvier 1995 relative à la justice dresse un
état de la carte judiciaire qui fait apparaître, par type de
juridiction, les disparités qui suscitent les reproches les plus
fréquents.
* En ce qui concerne les cours d'appel
(33 en métropole et 2
en outre-mer), leurs caractéristiques sont très
différentes d'une juridiction à l'autre :
- un rapport démographique de 1 à 28 ;
- un rapport en effectifs de 1 à 19 pour les magistrats et de 1
à15 pour les fonctionnaires ;
- un rapport de 1 à 27 pour l'activité civile ;
- un rapport de 1 à 14 pour la dotation budgétaire
allouée annuellement à la juridiction.
* L'examen de la carte judiciaire des tribunaux de grande instance
(175 en métropole et 6 en outre-mer) fait apparaître des
disparités encore plus grandes.
83 départements ne comportent qu'un ou deux tribunaux de grande instance
( dont 42 n'en comptent qu'un seul), 15 départements en comportent
trois, 1 en comporte quatre (Pas-de-Calais) et le Nord en comporte sept.
Si 78 tribunaux de grande instance n'ont qu'une chambre, 84 en comportent entre
2 et 4, 13 en ont entre 5 et 8, 5 sont composés de 10 (Lyon) à 13
(Nanterre) chambres, le tribunal de grande instance de Paris en ayant 31.
On peut ainsi constater qu'il existe :
- un rapport démographique de 1 à 20 ;
- un rapport en effectifs de magistrats et fonctionnaires de 1 à 35
;
- un rapport de 1 à 35 pour l'activité civile ;
- un rapport de 1 à 28 pour la dotation budgétaire
allouée annuellement à la juridiction ;
* S'agissant des tribunaux d'instance
(462 en métropole, 11
en outre-mer et 3 ayant compétence exclusive en matière
pénale), leur répartition géographique et leur composition
sont encore plus inégales que pour les tribunaux de grande instance.
Certains départements comptent pour des raisons historique,
économique et sociale de nombreux tribunaux d'instance : 20 à
Paris, 11 dans le Pas-de-Calais, 10 dans le Nord et les Hauts-de-Seine, 9 en
Moselle.
Leurs différentes caractéristiques font apparaître :
- un rapport démographique de 1 à 69 ;
- un rapport en effectifs de magistrats de 1 à 11 et de 1 à
58 pour les fonctionnaires ;
- un rapport de 1 à 350 pour l'activité civile (1
à 580 pour l'activité pénale) ;
- un rapport de 1 à 30 pour la dotation budgétaire
allouée annuellement à la juridiction.
* De même, la physionomie de la carte judiciaire prud'homale
(264 conseils de prud'hommes en métropole, 7 en outre-mer)
présente une grande diversité toujours pour des raisons
géographique, économique ou sociale, certains départements
regroupant de nombreux conseils de prud'hommes (14 dans le Nord, 7 dans le
Pas-de-Calais...) alors que d'autres n'en comportent qu'un seul (Gers, Mayenne,
Indre-et-Loire...).
Cette diversité se retrouve également lorsque l'on compare
l'activité respective de ces juridictions, certains conseils de
prud'hommes ayant moins de 100 affaires nouvelles par an, alors que d'autres
dépassent le millier.
L'examen de la carte consulaire (228 tribunaux de commerce) fait
apparaître les mêmes disparités. Si de nombreux
départements (25) n'ont qu'un seul tribunal de commerce, certains en
comptent beaucoup plus (9 en Seine-Maritime, 7 dans le Calvados, 6 dans
l'Hérault...). D'autres en sont totalement dépourvus
(Lozère, Haute-Savoie, Creuse...), le tribunal de grande instance
exerçant, dans ce cas, les compétences dévolues à
la juridiction commerciale.
Par ailleurs, le législateur a attribué à certaines
juridictions commerciales (216), en raison de la complexité du
contentieux, la connaissance des procédures de redressement et de
liquidation judiciaires applicables aux commerçants et artisans. Or, les
deux-tiers du contentieux des procédures collectives sont actuellement
traités par 30 à 40 % des juridictions consulaires, le
dernier tiers étant très dispersé entre de nombreuses
juridictions de taille parfois insuffisante.
Le constat de l'inadaptation de la carte judiciaire avait conduit le
précédent Garde des sceaux à mettre en place un dispositif
de consultation nationale. Dans ce cadre, il était demandé aux
chefs de juridiction ainsi qu'aux préfets de présenter, à
partir d'un diagnostic de chaque situation locale, des propositions
d'adaptation de la carte judiciaire. Le nouveau Garde des sceaux a
décidé de poursuivre ces consultations, en insistant sur le fait
que ce diagnostic local ne constituait qu'une première phase, dont
l'exploitation nationale servirait de base à une approche progressive et
pragmatique de la modernisation des implantations de justice. Le Garde des
sceaux souhaite que ce débat sur la carte judiciaire soit abordé
dans une conception d'ensemble, privilégiant les réponses de
proximité, renforçant la présence du droit et de la
justice dans les zones à faible densité de population sous
réserve de réorganisation et de modernisation des méthodes
de travail.
A cet égard, votre rapporteur souhaite rappeler la position qu'il avait
défendue dans le rapport publié par la commission de
contrôle créée le 13 décembre 1990 pour
réfléchir sur le fonctionnement et les moyens de
l'autorité judiciaire.
D'une part, il insistait sur l'existence d'une autorité unique par
département au niveau du ministère public, qui serait le
correspondant du préfet, du commandant de groupement de gendarmerie ou
encore, du directeur départemental des polices. Ainsi pourrait
être envisagé le maintien d'un tribunal de grande instance avec
des antennes et des chambres détachées. De même
existeraient, outre le président du tribunal et le procureur de la
République, des présidents et des procureurs
délégués.
D'autre part, il insistait sur la nécessité de préserver
une justice de proximité compétente pour régler les
litiges de la vie quotidienne. En effet, le lien entre le juge et le
justiciable ne doit pas être distendu. Le juge d'instance doit rester le
juge de droit commun en matière civile, ce qui suppose un renforcement
de ses moyens.
En outre, votre rapporteur se prononce pour une déconcentration des
décisions relatives à l'organisation et au fonctionnement des
juridictions qui, désormais, seraient prises au niveau des cours
d'appel.
En tout état de cause, votre rapporteur refuse que le débat
sur la carte judiciaire soit abordé uniquement sous un angle
budgétaire. Il sera donc très attentif à la méthode
utilisée par le gouvernement et veillera à ce que la
modernisation de cette carte ne conduise pas à l'application du seul
modèle de rationalisation des choix budgétaires.