B. DANS LA RÉALITÉ, LE STATUT PATRIMONIAL DES OUVRAGES DU RÉSEAU D'ALIMENTATION GÉNÉRALE EST PLUS AMBIGU ET NE JUSTIFIE PAS UN TRAITEMENT COMPTABLE DÉROGATOIRE
Mais, dans son rapport particulier d'octobre 1994 la Cour des
Comptes écrit également :
" Les principes comptables dérogatoires du droit commun trouvent
leur fondement dans l'existence d'un véritable terme au contrat de
concession, qui, seul permet de faire la différence entre
immobilisations renouvelables et immobilisations non renouvelables. La prise en
compte de ce terme constitue la raison d'être du mécanisme
comptable. Elle conditionne la possibilité de remise des immobilisations
du domaine concédé à l'autorité concédante,
et justifie l'existence des droits du concédant au passif du bilan. Elle
fonde l'existence et la déductibilité de la provision pour
renouvellement, qui permet de constater la charge que constitue pour le
concessionnaire la remise au concédant de la dernière
immobilisation devenue non renouvelable. "
Or, la situation de monopole et le caractère d'établissement
public tirés de la loi font d'EDF le seul concessionnaire possible et
permanent du service national de distribution électrique et retirent aux
concessions l'essentiel de leur caractère contractuel.
En effet, trois éléments conduisent à fragiliser le
fondement théorique de l'application du régime comptable des
entreprises concessionnaires aux ouvrages du réseau d'alimentation
générale en électricité.
En premier lieu, l'article 6 de la loi de nationalisation de
l'électricité du 8 avril 1946 dispose que
" l'ensemble
des biens, droits et obligations des entreprises qui ont pour activité
principale la production, le transport ou la distribution de
l'électricité ou du gaz (...) est intégralement
transféré aux services nationaux ".
En outre, bien que
l'article 29 du cahier des charges fixe à 75 ans la durée de la
concession, le contrat de concession n'a en réalité pas de terme
définitif puisque l'article 31 du même cahier des charges rend
automatique le renouvellement de la concession un an avant la date de son
expiration.
En deuxième lieu, aucun article du cahier des charges n'indique les
conditions et les modalités du transfert éventuel des ouvrages du
domaine concédé à l'Etat concédant.
Enfin, la distinction juridique entre domaine propre et domaine
concédé ne recouvre aucune réalité. En effet,
" en présence d'un établissement public concessionnaire
permanent de l'Etat en raison de la loi de nationalisation elle-même, on
ne peut que s'interroger sur la réalité de la distinction
opérée dans les comptes entre patrimoine de la concession et
patrimoine du concessionnaire, et souligner que l'absence de terme à la
concession n'autorise pas l'application des recommandations du guide comptable
des entreprises concessionnaires "
, écrit la Cour des comptes.
Ainsi, le raisonnement déductif conduit à considérer
les ouvrages de transport d'électricité du réseau
d'alimentation générale comme appartenant au patrimoine d'EDF
ab initio
. C'est ce que le présent article affirme de
façon désormais explicite
en énonçant :
" Les ouvrages du réseau d'alimentation générale
en énergie électrique, à l'exclusion de ceux
affectés à la distribution publique, sont réputés
constituer la propriété d'Electricité de France depuis que
la concession de ce réseau lui a été
accordée. "
Cela revient pour EDF à revenir à la position qu'elle retenait
avant 1987 puisque les concessions de force hydraulique et de réseau
d'alimentation générale étaient, jusqu'à cette
date, inscrits en tant que biens propres à l'actif du bilan de
l'établissement public et faisaient l'objet d'un traitement comptable de
droit commun. En particulier, leur amortissement était effectué
conformément à la méthode du coût historique.
Profitant de l'ambiguïté relative à leur statut patrimonial,
EDF a modifié, à partir de 1987, le traitement comptable de ces
biens et a pu déduire de ses résultats plus de 32 milliards de
francs de dotation aux provisions de renouvellement au titre de la
période 1987-1992.
De surcroît, l'établissement public a retenu des solutions
comptables dérogeant au guide des concessionnaires. Ainsi, la Cour des
comptes indique qu'
" à défaut de pouvoir respecter
l'exigence de distinction des apports entre ceux réalisés par le
concessionnaire et ceux réalisés par le concédant en
raison de la méconnaissance de l'origine des biens antérieurs
à 1946, EDF considère depuis 1987 que tous les biens ont
été mis en concession par le concessionnaire et ne respecte pas
l'obligation de dégager un résultat concession par concession.
L'établissement public considère également que toutes les
immobilisations mises en concession sont renouvelables. "
Le présent article conduit donc à mettre un terme au flou et
à l'ambiguïté qui caractérisaient le régime
juridique des concessions d'EDF et permet à l'établissement
public d'afficher un bilan plus conforme à sa situation
économique réelle.
Cependant, la frontière entre RAG et réseau de distribution
demeure floue : outre les installations de distribution qui sont
classées comme RAG dans les documents comptables d'EDF, certains
ouvrages peuvent être transférés du réseau de
distribution publique au RAG et inversement.
Soucieuse de préserver la propriété des
collectivités territoriales sur les ouvrages du réseau de
distribution d'électricité, l'Assemblée nationale a
explicitement exclu ces ouvrages de la réforme patrimoniale
et
comptable mise en uvre par le présent article. En conséquence, un
ouvrage du réseau de distribution qui, par suite d'un reclassement,
entrerait dans le périmètre du réseau d'alimentation
générale, ne ferait pas l'objet d'un transfert de
propriété de la collectivité territoriale à EDF
mais resterait concédée à EDF par la collectivité
locale concernée, et réciproquement.