ANNEXES

ANNEXE N° 1 - Audition deM. Yannick d'Escatha, administrateur général du CEA

Au cours de sa réunion du mardi 22 octobre 1996, sous la présidence deM. Jean François-Poncet, président, la commission a procédé à l'audition deM. Yannick d'Escatha, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), sur l'avenir de la filière nucléaire française.

Après avoir présenté M. Yannick d'Escatha, M. Jean François-Poncet, président, lui a demandé d'exposer devant la commission les missions et les perspectives de développement des activités du CEA, les conséquences de l'éventuelle privatisation de Framatome et, plus généralement, d'éclairer la commission sur les perspectives de la filière nucléaire française,

M. Yannick d'Escatha a tout d'abord indiqué qu'il s'attacherait à présenter le rôle du CEA, ses objectifs en insistant davantage sur les aspects civils et sur les perspectives stratégiques pour la conduite à long terme.

Il a rappelé que le CEA était un établissement public de recherche dont la spécificité était de préparer l'avenir de la filière nucléaire française à échéance de 20 à 30 ans, voire davantage.

S'agissant des objectifs de la recherche civile, il a précisé que toutes les recherches du CEA étaient finalisées, certaines missions lui étant confiées par le Gouvernement, d'autres résultant spécifiquement de la demande de ses clients industriels, ce qui impliquait une exigence de performance dans les résultats de ces recherches.

M. Yannick d'Escatha a indiqué que 70 % de la recherche civile concernait le domaine nucléaire, 15 % la recherche technologique, notamment la microélectronique et les matériaux, 15% la recherche fondamentale (en support du nucléaire, mais également en matière de physique des particules, de climatologie, radiobiologie ou de médecine nucléaire par exemple). Il a, par ailleurs, souligné que le CEA avait un rôle de diffusion technologique à l'égard des petites et moyennes entreprises, et qu'il faisait l'objet d'une évaluation externe.

Il a exposé que les recherches à court et moyen terme étaient généralement financées majoritairement par les clients industriels, celles à long terme l'étant majoritairement par l'État.

M. Yannick d'Escatha a ensuite exposé les différentes missions du CEA en matière nucléaire, notamment la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire existant, ainsi que la préparation des réacteurs de deuxième génération, qui devront offrir encore davantage de sécurité et de compétitivité économique. Ces réacteurs font l'objet du programme European Pressurized Reactor (EPR), pour lequel la coopération franco-allemande -dont Framatome est partie prenante- est stratégique et dont il a estimé qu'elle devait être impérativement maintenue.

Évoquant l'amont du cycle et les techniques d'enrichissement de l'uranium, il a souligné l'intérêt du nouveau procédé « SILVA » d'enrichissement par laser, qui permet de diviser les coûts par deux ou trois.

S'agissant du combustible nucléaire,M. Yannick d'Escatha a indiqué que l'enjeu consistait à avoir le plus haut taux possible de combustion de l'uranium et que l'objectif à long terme résidait dans le recyclage du plutonium. Il s'agit d'obtenir, à partir de l'uranium naturel, le maximum de matières fissiles, ce qui implique un passage par le plutonium et par le combustible « mox ». Il a estimé, en effet, que seuls le charbon et l'énergie nucléaire, à condition de brûler tout l'uranium, permettraient de passer le « mur » énergétique dans quelques dizaines d'années, caractérisé par la raréfaction des autres combustibles fossiles.

Rappelant ensuite les trois voies de recherche tracées par la loi du 31 décembre 1991 pour la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue (séparation et transmutation, stockage en formation géologique profonde ou entreposage de longue durée), il a insisté sur le fait que le CEA travaillait avec l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), de façon à apporter au Parlement une palette de solutions permettant à ce dernier de décider des voies à retenir. Il a rappelé que la décision de création des laboratoires souterrains devrait intervenir en 1998, la décision finale concernant la gestion des déchets à vie longue devant être prise en 2006, date dont il a estimé qu'il était essentiel qu'elle puisse être respectée.

M. Yannick d'Escatha a indiqué que le dernier enjeu, mais pas le moindre car correspondant à un besoin de société et parce qu'il sous-tendait tous les autres, concernait la nécessité de garantir un niveau de sûreté toujours plus important. A cet égard, il a souligné qu'il convenait de poursuivre des objectifs ambitieux en matière d'aide à la sûreté aux pays d'Europe de l'Est, dans le cadre de consortiums industriels bénéficiant de financements internationaux, dans la mesure où le niveau et la culture de sûreté dans ces pays étaient insuffisants et inférieurs aux standards occidentaux.

Il a indiqué que les perspectives énergétiques liées à la fusion thermo-nucléaire contrôlée étaient plus lointaines, mais qu'il convenait de poursuivre les recherches pour y parvenir.

PuisM. Yannick d'Escatha a rappelé que les missions du Commissariat avaient fait l'objet d'une remise à plat dans le cadre de son plan stratégique, l'objectif étant de les concentrer sur les domaines de recherche les plus importants pour la France et où le CEA disposait des meilleurs atouts.

Il en est résulté une reconversion profonde du CEA, accompagnée d'une réduction drastique, voire d'un arrêt, de certains programmes, d'une diminution des effectifs (- 25 % en dix ans) et des frais de structure. Parallèlement, de nouveaux programmes ont été lancés et la capacité d'investissement du Commissariat a été améliorée.

Recentrées sur les métiers de base du CEA, ces recherches font dorénavant toutes l'objet d'une contractualisation :

- avec l'État, dans le cadre du contrat d'objectif pour 1995-1998 ;

- avec les partenaires industriels ;

- avec les autres organismes de recherche, sans oublier les coopérations internationales qui sont essentielles dans le domaine nucléaire.

M. Yannick d'Escatha a précisé que le CEA s'était doté d'un plan stratégique glissant, à cinq ans pour les programmes et à dix pour les investissements.

Présentant la structure du budget du CEA pour 1997, dont les dépenses s'élèvent à 11 milliards de francs, il a détaillé les prévisions de dépenses et de ressources :

- 5,8 milliards de francs pour les dépenses ordinaires financés par le titre III ;

- 1,2 milliard de francs pour les dépenses d'équipement, dont il a estimé que le financement restait fragile, dans la mesure où 550 millions de francs étaient débudgétisés, le CEA devant les financer sur son patrimoine propre.

De plus, les recettes extérieures se montent à près de 4 milliards de francs.

Soulignant que la vétusté de nombreuses installations du CEA nécessiterait leur prochain démantèlement,M. Yannick d'Escatha a souligné que les actifs détenus par le CEA dans différentes filiales et participations jouaient le rôle de provisions, dont la réalisation devrait être consacrée à ce démantèlement des installations civiles et non aux dépenses d'équipement précitées. Il a insisté sur le fait que la crédibilité du nucléaire et la politique de sûreté elle-même étaient liées à la possibilité de financer ces travaux de démantèlement, qui sont inscrits en engagements hors bilan pour plus de 11 milliards de francs. Il note qu'il convenait de réserver la mobilisation de ces actifs à ce financement, ce qui impliquait de rebudgétiser les dépenses d'équipement.

Il a brièvement évoqué les activités de la direction des applications militaires (DAM) qui connaît également une reconversion importante des personnels, des métiers et des installations, en raison notamment du défi scientifique du passage à la simulation.

Après avoir félicité l'orateur pour l'intérêt et la clarté de son exposé,M. Jean François-Poncet, président, a souligné la durable atteinte dont souffrait l'énergie nucléaire dans son image, dans l'ensemble du monde développé. Il a relevé que le blocage était total dans l'opinion publique, tant en Allemagne qu'aux États-Unis, même si les recherches en matière nucléaire se poursuivaient dans ces pays. Il a rapproché cet état de fait des risques existants à l'Est. Il a ensuite interrogéM. Yannick d'Escatha sur le point de savoir, s'agissant des déchets, s'il existait d'autres voies pour les éliminer que celles recensées par le législateur. Enfin, il a souhaité recueillir son avis sur le rapprochement entre Alcatel et Framatome.

En réponse,M. Yannick d'Escatha a indiqué que le Gouvernement allemand souhaitait garder ouverte l'option nucléaire, que les Etats-Unis comptaient deux fois plus de réacteurs que la France ; quant au Japon, qui était dans une situation analogue à la France en terme de ressources énergétiques, il a noté qu'il poursuivait de façon volontariste son programme nucléaire. Il a estimé essentiel de poursuivre la coopération franco-allemande en ce domaine, dans la mesure où le programme EPR sera le seul moyen dont disposeront les Allemands pour opérer un retour vers le nucléaire.

Il a partagé le souci du président d'améliorer encore la communication en matière nucléaire.

S'agissant des différentes voies de recherche concernant la gestion des déchets, il a indiqué que celles prévues par le législateur permettraient de choisir les meilleures solutions techniques et ainsi de ne pas léguer ce problème aux générations futures.

S'agissant du rapprochement entre Framatome et GEC-Alsthom, il a estimé que le périmètre et l'identité de Framatome devaient être préservés dans la négociation vis-à-vis des Britanniques.

Répondant au président et à une question deM. Fernard Tardy sur la sûreté dans les pays de l'Est, il a insisté sur la nécessité d'intensifier les efforts aujourd'hui entrepris au travers de consortiums industriels auxquels participaient EDF, Framatome et Siemens.

Répondant à Mme Anne Heinis qui s'interrogeait sur le retraitement des déchets nucléaires américains,M. Yannick d'Escatha a confirmé que le groupe COGEMA avait obtenu des marchés dans l'assainissement du centre militaire de Hanford. Il a également indiqué qu'une réunion d'experts représentant les pays du G7 et la Russie se tiendrait la semaine prochaine à Paris sur le thème de l'élimination du plutonium issu du démantèlement des armes nucléaires. Il a espéré que ces experts internationaux reconnaîtraient que les deux solutions possibles résidaient dans le passage par le combustible « mox », ainsi que dans la vitrification et l'enfouissement du plutonium accompagné de produits de fission.

Répondant àM. Jean Besson qui demandait si les nouveaux programmes du CEA étaient envisagés sur les sites faisant l'objet de fermeture d'établissements,M. Yannick d'Escatha a précisé que les nouvelles installations nucléaires lourdes seraient concentrées sur les centres à vocation nucléaire (Marcoule et Pierrelatte pour l'amont et l'aval du cycle, et Cadarache pour les réacteurs et le combustible).

M. Jean Besson a, par ailleurs, fait connaître l'opposition des viticulteurs et habitants de la rive droite du Rhône où il est prévu l'installation de l'un des laboratoires souterrains.M. Yannick d'Escatha a confirmé que seule la décision de lancer les procédures était prise en ce domaine.

M. Michel Souplet a indiqué que le Gouvernement suédois avait renoncé à son projet de fermer des centrales, dans la mesure où il n'y avait pas de solution alternative, et que l'Allemagne, confrontée au problème politique de l'exploitation du charbon, serait sans doute amenée à reprendre son programme nucléaire.

Enfin, il a insisté sur la nécessité que la communication et les visites de centrales organisées pour les citoyens rassurent ces derniers.

M. François Gerbaud a déploré certains comportements regrettables de l'ANDRA dans le passé. Il a également estimé indispensable de vulgariser la communication en matière nucléaire pour lutter contre des craintes « moyenâgeuses ». Enfin, il a demandé si la COGEMA s'était vue confier le retraitement des déchets nucléaires américains.

Sur ce dernier point,M. Yannick d'Escatha a indiqué que cet assainissement représentait la somme colossale de plus de 500 milliards de dollars sur au moins cinquante ans ; c'est dans ce cadre que les États-Unis avaient fait appel aux technologies nucléaires françaises, ce qui constituait une belle reconnaissance.

Répondant àM. Félix Leyzour qui s'interrogeait sur la possibilité que les déchets stockés puissent être réutilisés dans l'avenir,M. Yannick d'Escatha a indiqué que l'on vitrifiait les déchets ultimes issus du retraitement et que plus aucun élément combustible n'était récupérable.

M. Félix Leyzour a ensuite demandé si les projets de nouvelles centrales seraient implantés sur les sites existants ou sur de nouveaux sites.

M. Yannick d'Escatha a indiqué qu'il n'était pas prévu de nouvelles tranches avant la génération EPR et a estimé qu'il serait de bonne politique de construire un premier réacteur EPR dans les années 2000.

Après avoir rappelé que la Meuse était l'un des sites retenus pour l'implantation d'un laboratoire souterrain et félicité l'administrateur général pour la clarté de son exposé,M. Rémi Herment a indiqué que l'information sur le terrain réalisée par l'ANDRA était aujourd'hui parfaite et que la décision prise par son département résultait d'une volonté politique unanime.

Il a, cependant, insisté sur deux difficultés tenant, d'une part, à la réaction des écologistes, qui s'opposent au projet quelle que soit la qualité des informations qu'on leur apporte ; d'autre part, au refus des assemblées départementales de la Meuse et de la Haute-Marne de partager les sommes qui leur avaient été initialement promises à chacune. Il a souligné que si cette position était maintenue, une décision politique risquait de remettre en cause un dossier pourtant bien engagé.

AM. Jean Huchon qui l'interrogeait sur les prix comparés du kilowatt/heure d'origine nucléaire, thermique et hydraulique,M. Yannick d'Escatha a indiqué qu'une étude actualisée était établie tous les deux ans par le ministère de l'industrie sur ce sujet et qu'il en ressortait une érosion de la compétitivité relative du nucléaire.

Répondant àM. Roger Rinchet qui s'interrogeait sur l'avenir de la centrale Superphenix,M. Yannick d'Escatha a rappelé qu'elle ne pouvait fonctionner qu'à la condition d'être jugée tout à fait sûre par les autorités de sûreté -ce qui était le cas aujourd'hui- et qu'elle seule permettrait de réaliser certaines expérimentations concernant les neutrons rapides, notamment celles prévues par la loi du 30 décembre 1991. Il fallait toutefois pour cela -a-t-il précisé- que la centrale ait un niveau de disponibilité suffisant, ce qui permettrait également de couvrir ses frais de fonctionnement.

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