B. LES OBSTACLES AU DÉVELOPPEMENT DES TÉLÉVISIONS LOCALES SONT NOMBREUX
1. Les obstacles économiques
Depuis 1968, le secteur de la distribution ne peut recourir à la publicité télévisée. Cette interdiction rend difficile l'existence d'une télévision locale puisqu'elle ferme le seul marché sur lequel elle peut trouver ses ressources, le marché local.
Le marché publicitaire local représentait, en 1995, 49 milliards de francs, soit le tiers du marché publicitaire français. Il constitue 77 % des ressources de la presse quotidienne régionale mais seulement 3 % de celles de la télévision, en raison essentiellement de l'interdiction de la publicité télévisée en faveur du secteur de la distribution, qui représente à lui seul près de 90 % de ce marché.
2. Les obstacles juridiques
Le rapport du CSA en relève quatre.
a) Des procédures d'autorisation différentes selon les supports
Alors que les différents types de télévision locale proposent la même programmation et recourent aux mêmes modalités de financement, les procédures d'autorisation varient selon les supports : appel aux candidatures et conventionnement pour les télévisions hertziennes, conventionnement pour les télévisions câblées, autorisation sans appel aux candidatures pour les télévisions temporaires, autorisation et conventionnement pour les décrochages locaux, autorisation à titre expérimentale pour les télévisions locales utilisant la technologie numérique ou le MMDS en application de la loi du 10 avril 1996.
Le rapport du CSA s'interroge sur « la légitimité de telles différences » et relève que « les évolutions de la technologie numérique [vont créer] une abondance de fréquences hertziennes » et sans doute remettre en cause la légitimité des différences de traitement entre support câble et satellite.
Par ailleurs, la contrainte étant plus forte pour l'appel aux candidatures que celle consistant à souscrire uniquement une convention, le CSA souligne le contraste existant entre les services locaux de télévision permanents, soumis à la première procédure, alors que, pour les décrochages locaux de télévision nationale, une convention suffit.
b) Un régime d'exploitation aligné sur celui des télévisions nationales
L'alignement du régime juridique des télévisions locales sur celui des télévisions nationales a une double conséquence, d'une part, l'appel aux candidatures est réservé aux sociétés et exclut les associations, et, d'autre part, les mêmes obligations pèsent sur les chaînes locales ou nationales.
c) Un dispositif anti-concentration trop contraignant
Le cumul d'une autorisation d'un service de télévision nationale diffusé par voie hertzienne terrestre et d'une autorisation d'un service de télévision locale de même nature est interdit.
Il en va de même pour le cumul d'autorisations pour l'exploitation d'un service de télévision par voie hertzienne terrestre dans une zone déterminée et d'une nouvelle autorisation relative à un service de même nature diffusé en tout ou partie dans la même zone, ce qui rend impossible la diffusion, par une même société, de deux programmes différents. Par ailleurs, est également prohibé le cumul multimédia régional ou local : un groupe de presse local, titulaire d'une radio dont l'audience dépasse 10 %, ne peut se voir attribuer une autorisation d'exploitation pour un service de télévision hertzienne. Enfin, une personne titulaire d'une autorisation ne peut bénéficier d'une nouvelle autorisation si celle-ci porte à plus de six millions d'habitants la population desservie par l'ensemble des services de même nature.
L'adossement de services locaux à des services nationaux n'est pas formellement proscrit mais il est très difficile. Le CSA relève que « s'il est certainement envisageable qu'un service local reprenne de façon ponctuelle, en différé, des émissions d'un service national, la reprise substantielle du programme d'un service national par un service local n'est, à l'heure actuelle, pas possible, sans que l'on puisse déterminer avec précision quelle est la limite acceptable ».
Pour le CSA « le dispositif anti-concentration actuel rend assez difficile la mise en place et la viabilité de services locaux de télévision ».
d) Une base juridique insuffisante pour l'intervention des collectivités locales
La loi du 30 septembre 1986 prévoit que l'autorisation d'exploitation d'un réseau câblé, délivrée par le CSA, peut comporter l'obligation de diffuser des informations sur la vie communale ou intercommunale.
Hormis cette disposition spécifique, aucun texte ne permet l'intervention des collectivités locales dans le domaine audiovisuel. C'est le droit commun qui s'applique.
Les collectivités locales peuvent se charger directement, en régie, de la gestion d'une télévision locale. Mais dans ce cas, il serait difficile au CSA de sanctionner une collectivité locale, personne morale éditrice, pour non respect de ses obligations. Elles peuvent également en confier la gestion à une association ou une société d'économie mixte. Comme on l'a vu, seule une société peut être titulaire d'une autorisation de diffusion d'un service de télévision par voie hertzienne.
Par ailleurs, les collectivités locales peuvent octroyer des subventions, mais, s'agissant d'une exploitation commerciale, la base juridique de telles subventions est fragile. Il n'existe pas, en effet, de disposition législative semblable à celle qui autorise l'attribution de subventions à des « entreprises ayant pour objet l'exploitation de salles de spectacle cinématographique réalisant moins de 2 200 entrées en moyenne hebdomadaire » , comme l'a expressément prévu une loi du 13 juillet 1992 ( ( * )18) .
De telles aides sont en outre susceptibles d'affecter la concurrence au stade de l'appel aux candidatures ou au stade de l'exploitation.
Enfin, les collectivités locales peuvent parrainer des émissions télévisées afin de promouvoir leur image, sous réserve de ne pas influencer le contenu de ces émissions dans des conditions susceptibles de porter atteinte à la responsabilité et à l'indépendance éditoriale du service de télévision.
Par ailleurs, ce parrainage ne doit pas constituer une publicité politique, interdite par la loi du 15 janvier 1990. Le soutien des collectivités locales est fortement encadré en période électorale par les dispositions de l'article 52-1, alinéa 2 , du code électoral qui prévoit qu'environ six mois avant des élections, « aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité locale ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin ». En
1995, le CSA n'a accordé aucune autorisation de télévision temporaire pour ces motifs et TLT a vu le soutien financier des collectivités locales se réduire de moitié pour les mêmes raisons.
3. Les obstacles éditoriaux
Les chaînes locales sont confrontées à une équation difficile à résoudre : produire des missions locales leur assurant leur légitimité ou occuper l'antenne pendant une durée quotidienne significative.
Pour assumer ce dernier objectif, les télévisions peuvent compléter leur production propre par l'achat de droits de diffusion sur le marché des programmes. Mais cette solution est onéreuse.
Elles peuvent alors utiliser une chaîne existante comme programme de complément. Mais cette seconde solution est contraire à leur vocation de chaîne locale et aux conventions passées avec le CSA qui sanctionnent cette vocation.
Elles peuvent également recourir à la syndication ( ( * )19) , mais l'étroitesse de la desserte des populations ou le faible taux de pénétration du câble ont limité l'intérêt des annonceurs pour cette formule qui s'est soldée par des échecs financiers.
Elles peuvent, enfin, recourir aux banques de programmes, fournis, dans le secteur éducatif, par les organismes spécialisés du ministère de l'éducation nationale ou, dans les autres secteurs, proposés par des centrales d'achat spécialisées dans les chaînes locales, comme 10 Patch ou Label TV , spécialisées dans l'échange de programmes.
* (16) Nombre de téléspectateurs ayant regardé le programme au moins une fois dans la semaine.
* (17) À Angers , Rennes et Villeurbanne.