2. Le personnel

a) L'absence de marge de manoeuvre

Le sauvetage financier du secteur public en 1990 avait eu pour contrepartie un plan social à France 2 et à France 3, en 1991-1992, dont le rapport de la mission d'audit constate que les effets ont été limités. À France 2, ils ont été contrebalancés par un plan de rattrapage des rémunérations des journalistes intervenu en 1994 ; à France 3, les effectifs ont augmenté de 23 % en 1991-1995 et la masse salariale de 25 % pendant cette même période.

Cette évolution est, sinon légitime, du moins largement explicable. L'extension des missions des chaînes (filiales de commercialisation, développement local, développement dans le numérique), l'intégration des structures de production, les requalifications d'emplois précaires en emplois permanents constituent autant de justifications non contestables.

Le poids de la masse salariale de France 3 s'explique également par le profil de ses journalistes, plus spécialisés et plus nombreux compte tenu des implantations régionales.

Toutefois, le poids de la masse salariale des chaînes publiques par rapport à leur chiffre d'affaires ou à leurs charges d'exploitation est tel qu'il confère au secteur public une grande inertie.

Le pourcentage des frais de personnel par rapport au chiffre d'affaires dépasse 50 % pour l'INA (61,5 %), RFO et Radio France, il est de 39,5 % pour RFI, 31 % pour France 3 et 14,7 % pour France 2. Seules les chaînes du cinquième réseau se rapprochent du ratio de TF1 (7,8 %) avec 7,6 % pour ARTE et 8,6 % pour La Cinquième.

b) La convention collective nationale unique

S'ajoute aux coûts de personnel le système ankylosant de la convention, négociée, en 1982, alors que le secteur public était en position de monopole, qu'il n'existait que trois chaînes hertziennes et alors que ni la diffusion par câble ni celle par satellite n'existaient. D'une certaine façon, la convention date de la préhistoire de l'audiovisuel...

La convention pénalise d'abord les salariés du secteur audiovisuel public.

La convention collective des personnels techniques et administratifs est une dérive du statut de l'ex-ORTF dont elle a hérité des défauts et les a conservés. Les rigidités les plus nocives concernent la classification des métiers et la très faible marge (0,70 % de la masse salariale) disponible pour assurer les promotions individuelles dont l'insuffisance, qui freine la valorisation des compétences, est démoralisante .

À France Télévision comme à Radio France, les emplois temporaires , pour des raisons inhérentes à la nature même de l'activité du secteur, représentent une part importante des effectifs employés. Une pression croissante s'exerce pour obtenir des tribunaux la requalification de ces emplois en contrats à durée indéterminée. La convention oblige à un recours important aux heures supplémentaires . Cette conséquence revêt trois défauts majeurs : elle est financièrement coûteuse, expose les sociétés à un risque d'illégalité corrélé à l'insuffisance de repos compensatoire, et pourrait contribuer à accroître les risques d'accidents de travail. Enfin, elle expose le secteur public à un risque de dénonciation de la convention de l'UNEDIC. Ce risque concerne le régime des cachetiers . La disproportion entre les indemnités versées et les cotisations perçues - respectivement 2,6 milliards de francs et 0,6 milliard de francs en 1994 - suscite des tensions avec l'UNEDIC.

Son caractère obsolète et stérilisant est un constat qui fait l'unanimité.

Le maintien en l'état de la convention collective perpétue des classifications professionnelles dépassées par l'évolution technologique ; et freine le secteur public dans des investissements techniques permettant au secteur privé de prendre une avance croissante en matière de productivité et l'adaptation aux réalités du temps présent.

À l'heure du numérique, le secteur public doit prendre conscience qu'il est désormais en compétition avec les diffuseurs, publics mais surtout privés, du monde entier . Si le secteur public ne veut pas être balayé dans les prochaines années, si les chaînes publiques ne veulent pas s'éteindre comme ce fut le cas des dinosaures, elles doivent s'adapter et moderniser leurs relations de travail, et, au premier chef, revoir cette convention.

Les techniques numériques révolutionnent les métiers de l'audiovisuel. À l'ancienne distinction entre le journaliste et les techniciens se substitue désormais la profession de journaliste-reporter, qui filme, monte et conduit l'entretien.

La convention handicape l'ensemble du secteur public . Les structures les plus dynamiques. La Cinquième, les opérateurs de l'audiovisuel extérieur, sont en dehors de son champ d'application. Les rigidités de la convention semblent, en effet, particulièrement inadaptées à l'action audiovisuelle extérieure.

c) Comment réviser la convention

Les lourdeurs et les risques d'une opération de dénonciation de la convention collective expliquent que la tutelle et les directions des sociétés excluent de l'engager, bien qu'on s'accorde à reconnaître que le statut quo présente des inconvénients d'une gravité croissante.

Plutôt que de dénoncer la convention, il faut donc la réviser. Ce ne serait pas une tâche simple. L'objectif serait de transformer le dispositif actuel en une convention de branche applicable à l'ensemble du secteur audiovisuel, public comme privé . Pareille réforme aurait l'avantage d'établir un certain nombre de dispositions minimales générales, à partir et au-delà desquelles chaque entreprise aurait la latitude et le devoir de régler ses problèmes spécifiques par des négociations particulières.

Pour progresser dans cette voie, trois difficultés principales sont à surmonter.

La première est d'ordre institutionnel : le partenariat syndical se situe au niveau de la branche alors que du côté des employeurs, il se situe au niveau du secteur.

La seconde tient à la réticence du secteur privé à entrer dans la concertation souhaitable.

La troisième tient au sous-dimensionnement fonctionnel des sociétés dans l'ordre des services de direction des ressources humaines ; il y aurait lieu d'en renforcer beaucoup les motivations et l'organisation, afin d'aider les dirigeants dans l'exercice de leurs responsabilités de gestion sociale.

Le choc provoqué par la dérive des contrats-vedettes, les préoccupations que crée la nécessaire rigueur budgétaire, les interrogations liées au développement du numérique et aux perspectives d'accroissement du nombre des canaux de diffusion se conjuguent entre autres facteurs, pour offrir une occasion momentanée et propice de réflexion approfondie et concertée, susceptible de déboucher sur une bonne réforme. Il serait dommage de la laisser passer.

Les tergiversations des employeurs du secteur audiovisuel public depuis plus d'un an s'expliquent mais ne se justifient pas . Il conviendrait désormais d'entamer une réelle négociation et de la conclure avant la fin de l'année 1997. La méthode adoptée jusqu'à présent n'est toutefois pas la bonne. Le regroupement des employeurs du secteur public au sein d'une association et la négociation au niveau de l'ensemble du secteur semblent des facteurs paralysants. Une démarche au sein de chaque entreprise devrait être parallèlement menée.

Mais la convention peut-elle être renégociée ? Les économies imposées ont drastiquement réduit les marges de manoeuvre : d'éventuelles revendications salariales (ou l'évolution des coûts salariaux en raison de reclassifications) ne pourront pas être financées par des redéploiements internes, mais par un appel au budget de l'État...

La qualité et la motivation des personnels répondant à la volonté politique d'affirmer la nécessité et l'identité du secteur public de l'audiovisuel devraient permettre de lever les obstacles, tout à fait compréhensibles, et chacun a bien conscience qu'il ne faut pas recommencer les erreurs qui, ailleurs, ont coûté si cher à la France.

Des écarts notables de rémunération existent entre France 2 et France 3, s'agissant des journalistes, permanents ou temporaires. L'établissement d'un siège commun ajoutera un critère à ceux retenus par les juges pour décider de l'existence d'une « unité économique et sociale ».

La revendication égalitariste est forte au sein de France Télévision ; elle pourrait, dans certains scénarios, s'étendre à Radio France. Ces revendications d'alignement s'accroîtront bien évidemment lorsque les deux sociétés se retrouveront dans le siège commun. C'est pourquoi la convention doit être renégociée avant le déménagement !

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