IV. PRINCIPALES OBSERVATIONS

Si l'on part du principe que les moyens mis depuis un certain nombre d'années à la disposition de la justice sont globalement à la mesure de l'enjeu, alors le budget de 1997 peut apparaître, dans le contexte budgétaire actuel, comme relativement satisfaisant.

Une augmentation du budget global de près de + 2 % -et même + 4,5 % pour les services judiciaires- des créations d'empois -30 magistrats, près de 150 greffiers- qui font de la Chancellerie le seul secteur "régalien" qui verra en 1997 ses effectifs renforcés, un taux d'exécution convenable, en dépit de l'étalement sur une année supplémentaire, d'un programme pluriannuel qui devrait représenter, sur une durée de cinq ans, un appoint de plus de 8 milliards de francs (soit un tiers du budget 1997) et plus de 6.000 emplois (dont 300 magistrats, soit 5 % de l'effectif actuel) : tous ces éléments pourraient constituer des motifs de satisfaction, de même d'ailleurs que la prise en compte récente d'un certain nombre de propositions de réforme émanant du Parlement, et singulièrement de la Haute Assemblée, à travers ses commissions de contrôle et ses missions d'information.

Citons-en quelques unes, ne serait-ce que pour démontrer que le travail de réflexion du Parlement sur le fonctionnement de la justice n'a pas été inutile : l'institution de magistrats exerçant à titre temporaire ; le recrutement de conseiller de cour d'appel en service extraordinaire ; le développement des maisons de justice ; l'évolution de la conciliation et de la médiation civiles ; l'assouplissement des conditions d'affectation des magistrats "placés" auprès des chefs de cour d'appel ; le recrutement d'assistants de justice, la possibilité pour les juges du tribunal de grande instance de procéder à des audiences foraines dans les tribunaux d'instance ; la dévolution aux greffiers en chef de délégations de compétence ; la généralisation du traitement "en temps" réel des affaires par les parquets.

En dépit de ces progrès pourtant significatifs, on a le sentiment que le profond malaise qui affecte le monde judiciaire ne se résorbe pas, voire s'amplifie.

Le Garde des Sceaux a eu bien raison lors du récent débat au Sénat sur les moyens de la justice de reconnaître que "la solution ne peut être seulement quantitative".

Le malaise, selon toute vraisemblance, est généré par l'incompréhension qui s'aggrave entre d'une part, les citoyens et leur justice, d'autre part la justice et les autres composantes de la puissance publique.

Chez les citoyens - les récentes enquêtes d'opinion confirment les résultats du sondage que nous avions nous-mêmes sollicité lors de la commission de contrôle sur le fonctionnement de la justice judiciaire en 1991 - prévaut tout simplement le sentiment que la justice ne fait pas son travail : les délais de jugement des juridictions judiciaires et administratives sont anormalement longs ; seuls 20 % des faits constitutifs d'infractions ou "ressentis" comme tels font l'objet de poursuites par les parquets.

Dans les autres services de l'Etat - en particulier au ministère de l'Intérieur et au ministère de la Défense dont dépendent hiérarchiquement les services de police judiciaire -, on s'obstine à refuser aux juges une véritable maîtrise sur les moyens dont ils disposent pour accomplir leurs tâches.

Dans le monde judiciaire lui-même, désarroi et désenchantement sont à la mesure du discrédit dont souffre la justice. "Justice sinistrée", "justice à l'abandon", "embolie", "asphyxie", "paralysie" de la justice sont autant de constats dressés par tous ceux qui ont bien voulu se pencher sérieusement sur les problèmes de l'institution judiciaire au cours des dernières années.

Les diagnostics les plus récents corroborent les conclusions des expertises réalisées il y a cinq ans sans qu'aucune conséquence n'en ait été véritablement tirée.

Votre rapporteur spécial ne peut qu'appeler de ses voeux une réforme profonde, non seulement des méthodes mais aussi de l'architecture même de la justice.

Il convient de revoir aujourd'hui les structures, leur dimension et le périmètre de leurs attributions.

De fait, la réorganisation nécessaire passe par des réformes du type de celles que M. Michel Debré fit adopter pour adapter la justice d'alors à la France de 1958.

La reconstruction de notre justice sur des bases adaptées aux exigences du temps sera seule de nature à faire évoluer les mentalités et dissiper les doutes quant à la capacité même de l'Etat à assumer pleinement une responsabilité "régalienne" que nul ne lui conteste par ailleurs. L'opinion, n'en doutons pas, est prête à accepter des réformes profondes, plus, elle les attend non sans impatience.

Il ne s'agit pas de faire "table rase" du passé. Il importe, tout au contraire, d'asseoir les nouvelles règles sur les résultats des réflexions menées en toute sérénité sur le sujet, notamment au Parlement.

Votre rapporteur spécial pense, en particulier, aux solutions retenues par la récente mission d'information de la commission des lois du Sénat pour un traitement spécifique du contentieux répétitif dit "de masse", qui asphyxie, littéralement, nos juridictions.

Il rappellera, également, la proposition de la mission parlementaire sur la "justice de proximité" préconisant la transformation du tribunal d'instance en juridiction de droit commun à laquelle seraient dévolus d'importants blocs de compétence ; l'objectif étant de faire de ces juridictions les points d'appui de la présence du dispositif judiciaire sur l'ensemble du territoire national.

Comment ne pas songer, encore, à l'indispensable clarification des relations entre les parquets et les juges d'instruction, d'une part, les officiers et agents de police judiciaire d'autre part.

Au reste, contrairement à ce que certains pourraient penser, des changements importants, attendus depuis des années, peuvent entrer dans les textes et dans les faits.

A preuve, la réforme issue de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, adoptée par le Congrès du Parlement, et de la loi organique du 5 février 1994 (votre rapporteur spécial eut l'honneur de rapporter, pour le Sénat, ces deux textes), dont l'objet fut d'assurer au Conseil supérieur de la magistrature une entière maîtrise sur la carrière des magistrats du siège et de le doter de pouvoirs accrus sur celle des magistrats du parquet.

Dans son rapport écrit, votre rapporteur spécial jugera, au demeurant, utile de dresser un bilan de l'activité du Conseil supérieur (qui aura fêté ses cinquante ans le 27 octobre dernier) après l'important remaniement dont il a fait l'objet.

A preuve, dans un registre beaucoup plus "minimaliste" mais néanmoins significatif, la création, il y a moins de deux ans, au ministère de la justice, d'un "bureau de police judiciaire", embryon de ce qui pourrait, peut-être, devenir demain un véritable service chargé de "cogérer" avec le ministère de l'intérieur les personnels qui exercent des fonctions de police judiciaire.

De grands chantiers sont donc devant nous. De nombreuses "pistes" ont d'ores et déjà été ouvertes par le Parlement et par les magistrats eux-mêmes. La contribution souvent soulignée du Sénat à ces réflexions ne fait que traduire la démarche tout à la fois sereine et tenace qui caractérise notre assemblée.

Plus que jamais, il importe de maintenir notre effort.

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