2. Mais de nombreux travaux récents conduisent à remettre en cause l'efficacité économique des déficits publics
a) La plupart des études récentes relatives aux effets macroéconomiques des politiques budgétaires restrictives s'accordent sur les conclusions suivantes :
1. Les effets des politiques budgétaires restrictives sur l'activité sont extrêmement variables : un ajustement budgétaire peut s'accompagner aussi bien d'un ralentissement que d'une accélération de la croissance.
2. Les politiques budgétaires "modérément ou moyennement" restrictives ont en moyenne un effet récessif de l'ordre de grandeur de celui suggéré par les modèles macroéconomiques.
3. En revanche, les ajustements budgétaires les plus rigoureux (une réduction du déficit structurel de 3 % du PIB en deux ans pour le CEPII) ont en moyenne un impact sur la croissance d'ampleur similaire à celui des ajustements moins rigoureux. L'impact récessif est donc moins important en proportion des efforts consentis (« le multiplicateur keynésien » est beaucoup plus faible). En particulier, il existe un nombre significatif (une dizaine) d'expériences d'ajustement budgétaire accompagnées d'une accélération de la croissance, dont les plus spectaculaires sont celles de l'Irlande entre 1986 et 1989 et du Danemark entre 1983 et 1986 :
Source : OCDE.
4. La principale caractéristique des épisodes d'ajustement budgétaire « drastiques » réussis semble être l'évolution de la consommation des ménages, dont l'accroissement a contrebalancé la diminution de la consommation publique : à ce titre, ces épisodes sont « non keynésiens » . En revanche, même si certains des pays concernés ont bénéficié d'une dévaluation, les indices de conditions monétaires, qui reflètent de manière synthétique les évolutions des taux d'intérêt et des taux de change, sont en moyenne demeurés quasiment inchangés.
La réalisation d'un ajustement budgétaire « indolore » reposerait donc sur le rôle des anticipations des ménages et non sur celui des taux d'intérêt.
Il est donc essentiel de programmer dans le temps les efforts d'assainissement budgétaire, d'afficher en ce domaine une politique claire et d'éviter d'en troubler la lisibilité par des mesures susceptibles d'en remettre en cause la logique.
En conclusion :
- les politiques budgétaires "normales" seraient le plus souvent keynésiennes, c'est-à-dire qu'en moyenne une politique budgétaire restrictive réduirait la demande (donc la croissance) ;
- les politiques budgétaires très restrictives auraient une efficacité supérieure, tandis qu'on relèverait une perte d'efficacité des politiques les plus expansionnistes.
b) Ces résultats viennent confirmer une partie des présupposés théoriques selon lesquels les politiques budgétaires restrictives seraient économiquement efficaces.
Deux variables clés seraient à l'oeuvre : les taux d'intérêt et les anticipations.
- Les taux d'intérêt : un rôle à ne pas surestimer.
La mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive est susceptible de conduire à une baisse des taux d'intérêt :
- la réduction du besoin de financement des administrations publiques permet une réduction du montant net des émissions de titres publics. Il en résulte a priori une baisse du prix du capital - le taux d'intérêt - sur les marchés obligataires (ce que certains économistes traduisent en évoquant une réduction de l'"effet d'éviction") ;
- l'assainissement de la politique budgétaire réduit « l'effet boule de neige » de l'endettement public, donc le risque de répudiation de sa dette par l'Etat (soit directement par défaut de paiement, soit indirectement grâce à une relance de l'inflation ou grâce à une dévaluation si la dette est libellée en monnaie nationale). Ceci diminue la prime de risque de change et la prime de risque inflationniste attachées aux titres publics ou privés émis en monnaie nationale (en particulier à long terme).
- plus généralement, si la situation budgétaire est fortement dégradée, une politique de réduction des déficits publics est de nature à améliorer la crédibilité de la politique économique d'ensemble, ce qui peut également permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt directeurs ;
- enfin, lorsque la politique budgétaire restrictive exerce un impact récessif sur l'activité économique, ce phénomène est en lui-même susceptible de favoriser une baisse de l'ensemble des taux d'intérêt : d'une part, la diminution de l'investissement privé concourt avec la baisse des émissions de titres publics à une détente des taux de marché ; d'autre part, la contraction de la demande ralentit l'inflation, ce qui peut permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt de court terme.
La baisse des taux d'intérêt est favorable à la croissance.
La détente des taux d'intérêt stimule la demande privée : elle favorise l'investissement logement, elle enrichit les ménages (détenteurs nets d'actifs obligataires), ce qui accroît leur consommation, puis, en augmentant aussi bien la demande adressée aux entreprises que leur profitabilité (c'est-à-dire l'écart entre leur rentabilité et les taux d'intérêt), elle développe l'investissement.
Cependant, l'impact des taux d'intérêt ne doit pas être surestimé.
Les effets favorables d'une baisse des taux d'intérêt n'interviennent qu'après un délai d'ajustement (entre un an et un an et demi environ en France), au contraire des effets récessifs d'une baisse des dépenses publiques. En outre, l'ampleur de ces effets est a priori relativement modeste, comme l'illustrent les tableaux suivants :
Effets d'une baisse de 1 % de l'ensemble des taux
d'intérêt
selon le modèle Mosaïque de
l'OFCE
(en % d'écart par rapport au niveau qui aurait
été atteint sans cette baisse)
Effets d'une baisse de taux d'intérêt de
court terme de 1 % la première année
et 1,75 % la
deuxième année selon le modèle du C.O.E.
(en %
d'écart par rapport au niveau qui aurait été atteint sans
cette baisse)
Les effets favorables de la détente des taux peuvent être plus importants dans deux configurations :
- pour des pays où la dette publique est très importante et libellée essentiellement à court terme : ainsi, une baisse de 1 % des taux d'intérêt réduit-elle le déficit public italien d'environ ½ point de PIB ;
- si la détente des taux exerce un « effet de signal » sur les anticipations des agents.
Les études empiriques entreprises par l'OCDE ou le CEPII sur l'ensemble des expériences d'ajustement budgétaire entreprises dans les pays de l'OCDE au cours des trente dernières années invitent au contraire à relativiser le rôle des taux d'intérêt : les taux d'intérêt nominaux se sont en moyenne peu modifiés dans les expériences étudiées.
Au contraire, compte tenu de l'impact désinflationniste parfois important des politiques budgétaires restrictives, les taux d'intérêt réels se sont en moyenne accrus durant les épisodes d'ajustement budgétaire recensés par ces institutions, même si cette évolution moyenne reflète des évolutions extrêmement divergentes.
Enfin, il est à noter que certains des mécanismes précédents, de nature à favoriser une détente des taux d'intérêt (accroissement de la crédibilité de la politique économique, réduction des risques inflationnistes) sont simultanément susceptibles de susciter une appréciation du taux de change, dont les effets sur l'activité contrebalanceraient partiellement ceux de la baisse des taux d'intérêt (cf. par exemple l'Italie en 1995-96).
- Les anticipations
Plusieurs arguments théoriques suggèrent que la mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive pourrait dans certaines circonstances ne pas entraîner de contraction de la demande totale (donc de l'activité) : la baisse de la consommation et des investissements publics serait contrebalancée par une hausse de la consommation privée (c'est-à-dire une baisse du taux d'épargne des ménages).
En effet, dès lors que les agents ont le « souci du futur » , c'est-à-dire que leur consommation ne dépend pas de leur seul revenu courant, mais aussi de leurs anticipations de revenus futurs - leur « revenu permanent » -, et que le système financier leur permet d'effectuer aisément des arbitrages entre leur consommation actuelle et leur consommation future, une réduction des dépenses ou des déficits publics peut accroître la consommation privée selon les mécanismes suivants :
- Si les agents sont convaincus qu'une hausse des prélèvements fiscaux est inéluctable à moyen terme (pour stabiliser la dette publique), ils se sont déjà constitués une épargne supplémentaire en vue de ces impôts futurs. Inversement, l'annonce que l'ajustement budgétaire ne sera pas différé non seulement ne réduit pas la consommation (les agents puisent dans cette épargne accumulée), mais peut même l'accroître si la résolution aujourd'hui des difficultés budgétaires les rassure pour l'avenir ;
- De manière similaire, si une politique budgétaire restrictive réduit le risque d'une répudiation prochaine de la dette publique (par l'inflation ou la dévaluation) et d'une crise financière, cela augmente la probabilité d'une croissance saine à moyen terme, donc les revenus futurs des agents ; cette « bonne nouvelle » les incite à accroître immédiatement leur consommation ;
- En outre, si la politique budgétaire restrictive s'accompagne d'une diminution des dépenses publiques perçues comme improductives, les agents anticipent une meilleure allocation des ressources de la Nation et une augmentation de l'ensemble de leurs revenus disponibles futurs (c'est-à-dire de leur « revenu permanent »), ce qui est de nature à accroître immédiatement leur consommation.
Il est à noter que ces anticipations favorables sont en partie « autoréalisatrices » : si une majorité des agents estiment qu'une politique budgétaire « trop laxiste » était la cause principale des difficultés économiques et augmentent leur consommation à l'annonce d'une politique budgétaire restrictive, cette dernière est alors susceptible d'avoir un impact favorable sur la croissance.
Inversement, si une majorité d'agents est convaincue que la dégradation du solde budgétaire était seulement la conséquence de difficultés économiques, une réduction des dépenses et des transferts publics peut accroître leur pessimisme et augmenter leur épargne de précaution, ce qui amplifierait l'impact récessif de la politique budgétaire.