III. UN PROJET DE LOI QUI SOUFFRE DE CERTAINS EXCÈS OU DE CERTAINES LACUNES
L'ambition assignée à une loi est d'être appliquée longtemps : il convient qu'elle ne soit ni abrogée, ni vidée de son contenu dans les années qui suivent sa publication. La rédaction d'un texte législatif doit s'efforcer d'éviter bon nombre d'obstacles afin de répondre à cette ambition. Force est de constater à la lecture du projet de loi que ce texte se heurte à des écueils plusieurs fois dénoncés par votre commission à l'occasion de l'examen de textes antérieurs portant sur le droit de l'environnement.
A. LES ÉCUEILS DU PROJET DE LOI
1. Le risque des formules déclaratives
Les deux caractéristiques essentielles de la loi prises dans son sens générique sont, selon la doctrine, la généralité et la force obligatoire 4 ( * ) .
Formulé à l'aube du XIX e siècle, l'adage du grand Portalis « les lois sont des volontés » conserve son actualité et doit guider le législateur. Il faut se garder de céder à la tentation des formules incantatoires ou déclaratives qui, trop souvent, s'insèrent au début d'un texte de loi, alors même qu'elles devraient figurer dans le préambule du texte, voire dans son exposé des motifs. Tel est le reproche que certains commentateurs ont pu formuler à l'encontre de l'article premier du projet de loi qui dispose que « chacun a droit à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » . Ce reproche ne vise pas le contenu du texte car nul ne saurait contester le bien fondé d'une pétition de principe aussi généreuse. Mais des réserves peuvent être marquées sur la portée juridique d'une telle affirmation et sur ses éventuelles implications contentieuses. Si on se réfère à la force obligatoire, la disposition qui crée ce nouveau droit est de valeur impérative. Tout citoyen peut alors se prévaloir de l'exercice de ce droit. Mais rien n'est dit sur les autorités qui seront responsables de la mise en oeuvre de ce principe ou chargées de veiller à sa juste application. Si, donc, ce droit venait un jour à être consacré par la jurisprudence, à l'encontre de qui serait-il invoqué ? Le maire, le président du conseil général ou régional, le préfet (donc l'État) ? Enfin, quelle correspondance pénale assurer à ce principe pour en garantir le respect par tous ? Pourrait-on parler de non-assistance à personne en danger, voire de complicité d'empoisonnement en cas de troubles avérés de la santé liés à un phénomène de pollution atmosphérique, comme certains commentateurs l'ont avancé ? Les événements récents en matière de santé publique et de responsabilité sanitaire doivent nous inciter à la plus grande prudence. La reconnaissance d'un droit doit être assortie de toutes les précisions juridiques quant aux personnes bénéficiaires, aux personnes responsables de sa mise en oeuvre, et garant de sa juste application, ainsi qu'à l'étendue de leur responsabilité sinon l'affirmation du seul principe sera source de très lourds contentieux.
Afin de prévenir un tel risque, il aurait pu paraître logique de se conformer aux rédactions retenues aux articles premiers des lois n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, n° 92-1444 du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit, ou encore n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement qui reconnaissent à l'objet de la loi un intérêt « public majeur » puisqu'il fait partie du patrimoine commun de la Nation. Telle n'a pas été la solution retenue. On observera que ces dispositions intègrent dans la hiérarchie des intérêts généraux l'obligation de prendre en compte les composantes de l'environnement.
* 4 Cf. J. Cl. Bécane et M. Conderc « La loi » - Dalloz - Paris 1994.