EXAMEN DES ARTICLES
Article premier - Incitation à l'aménagement et à la réduction conventionnels du temps de travail en contrepartie d'embauches (Art. 39 de la loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993)
Cet article, qui modifie en profondeur l'article 39 de la loi quinquennale, constitue le coeur de la proposition de loi. C'est essentiellement sur lui qu'ont porté les débats tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Si le mécanisme général était admis par les deux Assemblées, les divergences portaient sur les taux de réduction du temps de travail, de création d'emplois et de réduction de charges sociales, ainsi que sur certaines conditions annexes, telles que l'exigence de réduction des salaires ou le caractère expérimental ou non du dispositif.
Lors de son examen en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, les députés, sur proposition de M. Yves Nicolin, rapporteur de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, ont rétabli leur texte de première lecture.
Ils ont fixé l'exigence de réduction du temps de travail à 15 %, malgré une intervention du ministre du travail favorable aux 10 % du Sénat, considérant que la réduction du temps de travail était secondaire par rapport aux créations d'emploi (2e alinéa du 1°) ; ils ont rétabli les taux d'exonération de charges sociales patronales à 50 % des cotisations la première année et à 30 % les années suivantes (2°, a) ; ils ont supprimé l'exigence de réduction des salaires (2°, a) ; ils ont porté la durée de l'exonération de charges sociales de cinq ans à dix ans, le ministre s'en étant remis à la sagesse de l'Assemblée (2°, b) ; ils ont fixé le pourcentage des embauches à 10 % au lieu de 5 % (suppression du d) du 2°) ; ils ont, sur proposition de M. Jean-Yves Chamard, rejeté le dispositif de suppression de l'exonération en cas de non-maintien des emplois, cette suppression étant justifiée par le fait qu'elle imposerait aux entreprises des conditions qui rendrait l'incitation non opérationnelle (suppression du e) du 2°) ; enfin, ils ont prévu que la convention conclue avec l'État fixerait les taux d'exonération dont bénéficieraient les entreprises pratiquant déjà un horaire inférieur à la durée légale.
En revanche, ils ont maintenu l'allongement de la période au cours de laquelle les entreprises doivent procéder aux embauches, prévu par le Sénat dans un souci de pragmatisme, les employeurs pouvant éprouver des difficultés à recruter leur nouveau personnel dans le délai initial de six mois.
Pour les raisons exposées en première partie de ce rapport, votre commission vous propose sept amendements sur cet article.
Le premier amendement suggère une nouvelle rédaction pour le I de l'article 39 de la loi quinquennale, qui figure au 1° de l'article premier. Cette nouvelle rédaction vise quatre objectifs :
- reprendre le seuil minimum de 10 % d'abaissement du temps de travail qui a fait l'objet d'un accord Assemblée nationale-Sénat ;
- instaurer une alternative accord de branche ou accord d'entreprise, ce qui supprime l'obligation de conclure un accord d'entreprise, afin de permettre aux entreprises qui ne sont pas en mesure de conclure un tel accord de faire application d'un accord de branche étendu ; cela vise essentiellement le cas où il n'y a pas de délégués syndicaux 4 ( * ) ;
- supprimer la référence obligatoire à l'annualisation du temps de travail, afin de permettre une modulation plus souple de l'organisation du travail (sur le semestre par exemple), comme le mentionne d'ailleurs l'article L. 212-2-1 du code du travail qui prévoit une organisation du temps de travail sur « tout ou partie » de l'année ;
- permettre, en évoquant une « incitation » à la réduction collective du temps de travail, de prévoir le cadre juridique autorisant l'imputation de l'exonération de charges sociales patronales sur la masse des cotisations URSSAF patronales afin de permettre le cumul des différentes exonérations (le cumul peut et surtout pourra, lorsque progressera la ristourne dégressive, dépasser les 100 %) : cette disposition permet d'alléger davantage le coût du travail peu qualifié et évite à l'employeur un calcul fastidieux des exonérations, salarié par salarié, en vue de l'écrêtement des exonérations.
Les trois derniers objectifs sont inspirés des négociations en cours sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, et de la mise en oeuvre de l'accord d'aide au secteur textile.
Le deuxième amendement, qui porte sur le a) du 2°, vise :
- d'une part, à permettre le cumul des exonérations et des réductions de cotisations patronales et le report des excédents individuels éventuellement constatés sur le total des cotisations sociales patronales versées au titre de l'assurance maladie, des allocations familiales et des accidents du travail. Le calcul se fait salarié par salarié mais le montant global de l'exonération est déduite de la masse des cotisations patronales et dans la limite de celles-ci 5 ( * ) .
- d'autre part, à fixer le taux de l'exonération en fonction de l'accord exploratoire intervenu entre l'Assemblée nationale et le Sénat : 40 % la première année afin de prendre ainsi en charge les surcoûts du nouvel aménagement du temps de travail et 30 % les années suivantes. On notera que ces exonérations ne portent que sur les cotisations URSSAF, c'est-à-dire sur environ 30,5 % (taux variable en fonction de la cotisation d'accidents du travail) du montant du salaire, et non sur la totalité des charges sociales patronales (environ 42 %).
Par ailleurs, les simulations ayant montré que la réduction de salaire (ou le blocage de la masse salariale) n'était pas toujours nécessaire pour éviter les surcoûts du nouveau dispositif, il n'est plus fait allusion à cette condition que les partenaires sociaux intégreront ou non aux négociations. On peut noter d'ailleurs que celles-ci peuvent prendre en compte, plutôt qu'une diminution de salaire, la suppression d'avantages conventionnels déjà existants.
Le troisième amendement ramène de 10 à 7 ans la durée de l'exonération, en application de l'accord déjà évoqué. Cet amendement a été jugé essentiel par la commission qui considère qu'une entreprise ne peut prendre l'engagement de rester dans ce dispositif pendant une période plus longue (modification du b) du 2°).
Le quatrième amendement qui réintroduit un d) dans le 2° de cet article vise à offrir une alternative à l'entreprise afin qu'elle puisse, si elle le désire, mener une action plus volontaire en faveur de l'emploi. Au dispositif « 10-10-40-30 » s'ajouterait ainsi un dispositif « 15-15-50-40 ». Ce dispositif est en outre moins coûteux pour les finances de l'État, avantage non négligeable en période d'austérité budgétaire. L'amendement s'inscrit dans la dynamique de création d'emploi voulue par l'Assemblée nationale, dont il reprend certaines des propositions chiffrées.
Le cinquième amendement rétablit un e) dans le 2° de cet article. Pour que soit conservé le bénéfice de l'exonération de charges sociales, il faut actuellement que l'effectif augmenté de 10 % soit maintenu au moins trois ans. Par cohérence avec la réduction à sept ans de la durée globale de l'exonération, il est proposé, ainsi que le suggérait le groupe de travail Assemblée nationale-Sénat de ramener cette exigence à deux ans.
Le sixième amendement vise à rajouter un f) dans le 2° de cet article afin d'introduire un dispositif de sortie obligatoire du mécanisme d'incitation en cas de non-maintien du nouvel effectif au cours des cinq dernières années. Il s'agit d'une disposition également jugée essentielle par la commission. En effet, les coûts en année-emploi pour le budget de l'État deviennent très vite prohibitifs si les emplois ne sont pas maintenus au-delà de deux ans. Certes, pour les raisons déjà exposées, leur suppression la troisième année se présente comme un cas d'école, sauf si l'entreprise doit procéder à des licenciements économiques. Toutefois, votre commission ne peut prendre le risque d'un possible dévoiement du système qui permettrait à une entreprise de réduire substantiellement sa masse salariale sans aucune contrepartie d'emploi ; outre qu'elle augmenterait considérablement le coût de la compensation auprès des caisses de sécurité sociale supporté par le budget de l'État, cette situation introduirait de graves distorsions de concurrence entre entreprises. C'est pourquoi elle vous propose cet amendement qui réduit progressivement, puis supprime, l'avantage d'exonération en cas de diminution de l'effectif.
La rédaction retenue autorise néanmoins une fluctuation de l'effectif de plus ou moins 5 %. Il n'y a donc pas d'effet « couperet ».
Enfin le septième amendement vise à supprimer le deuxième alinéa du 3° et à modifier par coordination le premier alinéa. Il s'agit d'écarter tout renvoi à une convention de la fixation des conditions de réduction de l'horaire et d'augmentation de l'effectif quand l'horaire initial est inférieur à la durée légale. En effet, l'article 39 concerne la durée « initiale », qui peut être ou légale ou conventionnelle ; dans ce second cas, fréquent, elle est généralement inférieure à la durée légale ; aussi, maintenir cette disposition viderait l'article 39 de tout sens, puisque la loi ne concernerait que les entreprises appliquant la durée légale, les autres relevant de la convention avec l'État. Dans tous les cas, il sera donc fait application des taux fixés par la présente proposition de loi. L'Assemblée avait procédé à cette suppression dans l'article premier bis, mais omis d'y procéder dans le présent article.
Votre commission vous demande d'adopter le présent article ainsi modifié.
* 4 Le projet de loi relatif au développement de la négociation collective, adopté par le Conseil des ministres du 13 mai 1996, semblerait rendre moins nécessaire cette disposition ; toutefois, la mise en oeuvre de ce texte, non encore examiné par les Assemblées, et qui renvoie à des accords de branche, nécessitera du temps, alors que des entreprises dépourvues de délégués syndicaux sont, dans certains secteurs, demanderesses du dispositif d'incitation.
* 5 Un problème juridique se pose cependant : les exonérations portant sur les cotisations assises sur des rémunérations individuelles, elles ne peuvent dépasser le montant des cotisations car on ne peut être exonéré que de ce qu'on doit. Pour permettre le report des excédents en cas de cumul d'exonérations, il conviendrait de ne pas employer le terme d'exonération. La rédaction initiale de votre commission devrait donc être rectifiée pour autoriser ce report, sans toutefois sortir du mécanisme d'allégement de charges qui conditionne la compensation par l'État de la diminution des ressources des organismes de sécurité sociale et qui a la préférence des entreprises (par rapport à une aide, ou une compensation versée a posteriori, comme le prévoit actuellement l'article 39 de la loi quinquennale).