CHAPITRE II - LE PROJET DE LOI
La sélection des projets les plus innovants réalisée dans le cadre de l'appel à proposition a mis en évidence que la législation en vigueur était quelque peu inadaptée à l'exploitation de produits ou de services multimédias sur les autoroutes de l'information. En effet, celles-ci ont vocation à transporter pêle-mêle de la voix, des données, des textes, de la musique et des images, alors que les textes légaux existants organisent un certain cloisonnement entre deux modes de transmission de l'information, considérés jusqu'à présent comme distincts : les télécommunications (téléphonie vocale, transferts de données alphanumériques...) et la communication audiovisuelle (programmes de radiodiffusion et de télévision).
Plus précisément, l'examen des conditions de lancement des expérimentations les plus innovantes a fait apparaître deux obstacles de nature législative auxquels elles étaient susceptibles de se heurter :
1- l'exclusivité reconnue à France Télécom pour, d'une part, établir des réseaux filaires de télécommunications ouverts au public (article L.33-1 du code des P et T) et, d'autre part, fournir au public des prestations de téléphonie vocale entre points fixes (article 34-1 du code des P et T).
2- les obligations imposées à la diffusion et à la protection de services audiovisuels dont la rigueur aboutissait à freiner l'utilisation des techniques de diffusion numérique -qui permettent de proposer plusieurs programmes sur un même canal- et à paralyser l'offre de services audiovisuels à la demande.
En bref, dans notre législation, l'idée de réseau ouvert n'a pas cours.
Or, comme l'a fait valoir M. François Fillon. ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace, lors de son audition conjointe par votre Commission des Affaires économies et votre Commission des Affaires culturelles, le 7 février dernier, il est impératif de pouvoir lancer des expérimentations dérogeant aux règles en vigueur, avant même que ces règles ne soient changées globalement -ce qui d'ores et déjà prévu pour le 1er janvier 1998 dans le domaine des télécommunications, en raison des décisions prises dans le cadre de l'Union européenne- si on veut éviter que les opérateurs français ne prennent du retard sur leurs concurrents européens.
En outre, il est nécessaire que les pouvoirs publics puissent assez rapidement disposer d'éléments d'informations résultant d'expériences concrètes et non pas seulement d'analyses abstraites pour pouvoir prendre les meilleures décisions dans le domaine -oh combien stratégique- que constitue le développement des inforoutes.
Enfin, ainsi que le rappelle l'exposé des motifs du projet de loi, il s'agit de créer l'environnement permettant d'atteindre l'objectif fixé -à l'initiative du Sénat- par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire d'une couverture du territoire national par les autoroutes de l'information en 2015.
Telles sont, en définitive, les grandes sources d'inspiration du projet de loi.
I. LE TEXTE SOUMIS AU SÉNAT
A. LES ORIENTATIONS DU PROJET DE LOI INITIAL
Le texte adopté en Conseil des Ministres et examiné en premier lieu par l'Assemblée nationale comportait cinq articles et s'articulait en trois volets :
- un volet édictant les règles générales des régimes dérogatoires qu'il est proposé d'instituer (articles premier et cinq) ;
- un volet précisant le contenu du régime dérogatoire applicable en matière de télécommunications (article 2) ;
- un volet adaptant les règles en vigueur dans le domaine de la communication audiovisuelle (articles 3 et 4).
L'économie générale de ce dispositif n'ayant pas été remise en cause par les Députés, la présentation de sa version initiale reste valable aujourd'hui.
ï Les articles premier et cinq proposent d'instaurer un régime de licences expérimentales pouvant être délivrées, de manière dérogatoire au cadre législatif actuel, durant les trois années suivant la publication de la loi (article 5) et pour une durée maximale de cinq ans (article premier). Il est également prévu que ce régime exceptionnel sera réservé à un petit nombre de projets d'ampleur limitée, présentant un intérêt général, apprécié au regard de leur degré d'innovation, de leur viabilité économique, de leur impact potentiel sur l'organisation sociale et le mode de vie, ainsi que de l'association des utilisateurs à leur élaboration et à leur mise en oeuvre (article premier). Les autorisations de recourir à ce régime exceptionnel ne peuvent, en tout état de cause, être délivrées qu'après avis des ministres chargés des technologies de l'information, des télécommunications et de la communication.
ï En matière de télécommunications, l'article 2 s'attache à lever deux types d'obstacles juridiques à la réalisation d'expérimentations innovantes en permettant :
- la réalisation et la gestion de plates-formes offrant sur une zone donnée un large éventail de services et de fonctionnalités avancées de télécommunications, comme par exemple les « téléports », ou l'exploitation d'infrastructures filaires détenues par d'autres que l'opérateur téléphonique historique :
- l'utilisation des réseaux câblés de télédistribution pour offrir, au sein d'une gamme de services multimédias, le service téléphonique.
Il est toutefois parfaitement clair, pour le Gouvernement et votre commission, que la possibilité de délivrance de licences expérimentales en ce domaine ne constitue, en aucune façon, une remise en cause de l'actuelle réglementation des télécommunications. L'octroi des autorisations est subordonné au respect d'un cahier des charges calqué sur ceux institués actuellement pour les opérateurs de téléphonie mobile. En outre, l'article premier prévoit explicitement la révision des prescriptions ainsi imposées, afin qu'elles puissent être alignées sur le droit commun qui résultera de la future loi de réglementation des télécommunications (celle-ci devant entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 1998).
•
Dans le secteur audiovisuel,
la
mise en oeuvre d'expérimentations fondées sur des technologies
nouvelles conduit le Gouvernement à proposer d'attribuer au Conseil
supérieur de l'audiovisuel (CSA) le pouvoir d'adapter les règles
en vigueur pour prendre en compte l'apport et la spécificité de
ces innovations, dans le respect des principes de l'article premier de la loi
du 30 septembre 1986.
Afin de mettre rapidement en oeuvre des expérimentations fondées sur la technique de diffusion multiplexée, sur canal micro-ondes ou la technologie dite « DAB digicast » ou sur les autres techniques de diffusion numérique, il est prévu de permettre de ne pas recourir à la procédure d'appel aux candidatures prévue aux articles 29 et 30 de la loi du 30 septembre 1986 (article 3).
Il est également prévu que le CSA puisse adapter les règles en matière d'obligations de diffusion et de production pour tenir compte de l'innovation technologique que constitue la diffusion numérique qui permet d'offrir plusieurs services sur un même canal (article 3).
On relèvera que le caractère étroitement circonscrit, dans le temps et dans l'espace, de l'expérimentation rend la démarche conforme aux exigences constitutionnelles posées par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-333 du 21 janvier 1994 sur la loi n° 94-88 du 1er février 1994 (cf. ci-après examen de l'article 3).
Enfin, l'article 4 fournit une base juridique au développement de services audiovisuels fournis à la demande d'une personne (vidéo à la demande) dont l'offre se trouve actuellement entravée par les règles en vigueur. A cet effet, cet article confère au Conseil supérieur de l'audiovisuel la possibilité d'assouplir les règles en matière d'obligations de production ou de diffusion afin de tenir compte de la nature particulière de ces services.
B. LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Les Députés ont retenu l'essentiel du dispositif qui vient d'être présenté mais ils l'ont complété et précisé sur plusieurs points.
ï En ce qui concerne le volet relatif aux règles générales des régimes dérogatoires (articles premier et 5), ils n'ont apporté qu'une seule modification (à l'article premier), celle-ci visant à rendre obligatoire et non plus facultative l'adaptation des licences expérimentales en cas de modification de la législation en vigueur.
ï A l'article 2 organisant un régime dérogatoire au droit des télécommunications, l'Assemblée nationale, outre deux modifications de pure forme, a précisé les conditions et le champ d'application de l'ensemble du dispositif aux réseaux câblés.
L'essentiel des amendements adoptés par nos collègues Députés a, en définitive, concerné le volet audiovisuel du texte.
• A l'article 3
qui fixe le cadre
juridique dérogatoire des expérimentations faisant appel dans le
domaine audiovisuel, à la voie hertzienne terrestre, l'Assemblée
nationale a adopté trois amendements rédactionnels,
présentés par sa commission de la production et des
échanges pour l'un et par la commission des affaires culturelles pour
les deux autres. Sur le fond, elle a souscrit au dispositif proposé, le
rapporteur soulignant que le CSA ne serait aucunement écarté de
la procédure, puisqu'il conventionnerait tous les services
expérimentaux utilisant une bande de fréquences dont il a la
gestion.
• Elle a également introduit un
article additionnel (3 bis nouveau)
après l'article 3,
qui a pour objet de donner une base légale à la diffusion
multiplexée
de services audiovisuels. On se souvient
qu'un multiplex permet de reprendre, intégralement ou non, des
programmes audiovisuels et de les diffuser de façon
décalée dans le temps par rapport au programme originaire. Pour
permettre une telle diffusion multiplexée, l'Assemblée nationale
a décide de reprendre le système de conventionnement
globalisé -ou « mutualisé », selon l'heureuse
expression employée par nos collègues députés- qui
permet de respecter les règles des quotas de diffusion d'oeuvres
cinématographiques et audiovisuelles définies par la loi du 30
septembre 1986.
• Enfin, l'Assemblée nationale a sensiblement
modifié le dispositif proposé par
l'article 4
du
présent projet de loi, relatif aux expérimentations de services
audiovisuels à la demande.
Elle a, en premier lieu, adopté une nouvelle rédaction du premier alinéa, de façon à en ôter toute difficulté d'interprétation.
Elle a, en second lieu, introduit deux dispositions de nature à harmoniser le cadre juridique des services audiovisuels à la demande avec celui des vidéocassettes. Celles-ci concernent, l'une, le régime du délai à l'issue duquel de tels services peuvent diffuser un film après sa première exploitation en salle, et l'autre, le respect des deux obligations suivantes :
la contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle, tant européenne que d'expression originale française ;
- la réalisation d'un certain montant de « dépenses consacrées à l'acquisition de droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques ».
II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
A l'issue des travaux de son rapporteur et après avoir entendu en audition le ministre en charge du dossier, votre Commission a été amenée à adopter une position qui s'inscrit dans la logique de celle retenue par l'Assemblée nationale. Elle consiste à retenir l'ensemble des orientations du texte présenté, tout en s'attachant, tout à la fois, à en préciser la portée et à en rendre plus compréhensible la rédaction.
• Ainsi, vous présentera-t-elle un amendement
de précision et une modification rédactionnelle
à
l'article premier,
ainsi qu'un amendement visant essentiellement
à obtenir du Gouvernement une clarification publique d'une notion
juridique aux contours flous établie
par l'article
2.
• A l'article 3,
votre commission a
approuvé le principe des expérimentations dans le domaine de la
communication audiovisuelle, qui emprunteront les réseaux les
réseaux hertziens terrestres. Ceci devrait permettre d'apprécier
concrètement les potentialités et les atouts des nouvelles
techniques ainsi que les problèmes qui pourraient surgir, du fait de
l'encombrement des fréquences notamment.
Autant votre rapporteur soutient la démarche pragmatique suivie ici, autant, il jugerait regrettable, après toutes les erreurs commises dans le domaine de l'audiovisuel depuis près de cinquante ans, d'aggraver par le développement excessif de techniques inappropriées, les difficultés auxquelles est confronté le câble dans notre pays.
C'est pourquoi, votre commission a approuvé que l'article 3 évite de mettre inutilement en concurrence deux systèmes qui ne bénéficient pas des mêmes armes, en limitant le champ des autorisations, pour le multiplexage sur canal micro-ondes, aux zones que ne desservent pas le câble. Elle a adopté un amendement visant à donner sa pleine portée à cette mesure.
• A
l'article 3 bis,
votre
Commission ne peut que donner un accord de principe à toute
expérimentation qui ouvre une voie nouvelle en recourant à la
technologie du multiplexage.
La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale présentait toutefois l'inconvénient d'être d'une lecture malaisée du fait de l'emploi de termes techniques, comme le « multiplexage » et de tournures un peu redondantes.
La commission vous propose, en conséquence, une rédaction clarifiée de l'article 3 bis.
• Votre commission vous proposera d'adopter une
nouvelle rédaction de l'article 4,
relatif aux services
audiovisuels à la demande, dans un double but. Il s'agit :
- en premier lieu, de modifier l'ordre des alinéas, afin d'améliorer la cohérence interne de l'article et d'en ôter toute ambiguïté et difficulté d'interprétation ;
- en second lieu, de préciser la rédaction de son quatrième alinéa, introduit par l'Assemblée nationale, de façon notamment à l'harmoniser avec le 3° de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986. Celui-ci concerne les obligations en matière de contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle, tant européenne que d'expression originale française et de réalisation d'un montant minimal de dépenses consacrées à l'acquisition de droits d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.