III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS
Votre commission des Lois partage le souci manifesté tant par le Gouvernement que par l'Assemblée nationale de renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.
S'agissant plus particulièrement du terrorisme, elle considère que l'évolution, tant quantitative que qualitative, de ce phénomène au cours des dernières années rend nécessaire, compte tenu notamment des insuffisances de la coopération internationale, une adaptation de la législation française.
Votre commission des Lois a veillé à ce que cette adaptation concilie au mieux les impératifs liés à la sécurité et les principes fondamentaux d'un État de droit. Le projet de loi soumis à notre examen lui a paru réaliser sur ce point un équilibre satisfaisant, ne remettant aucunement en cause l'équilibre issu des lois de 1986 et renforcé par le nouveau code pénal, voté à une large majorité par les deux assemblées en 1992.
Elle vous propose cependant quatre séries d'améliorations concernant le caractère intentionnel de l'acte de terrorisme, la liste des actes de terrorisme, l'adéquation des peines à la gravité des faits et les perquisitions de nuit.
A. LE PROBLÈME DU CARACTÈRE INTENTIONNEL DE L'ACTE DE TERRORISME
L'article 121-3 du code pénal pose le principe selon lequel « il n'y a ni crime ni délit sans intention de le commettre » .
Votre commission s'est cependant longuement interrogée sur le point de savoir si cette disposition s'appliquait au dol aggravé prévu par l'article 421-1 : compte tenu de la rédaction actuelle du code pénal, l'auteur d'une infraction peut-il être considéré comme un terroriste s'il ignorait que cette infraction était en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ?
S'il lui semble conforme à l'esprit du nouveau code pénal de répondre négativement à une telle interrogation, force est de constate l'ambiguïté de la lettre dudit code sur ce point.
En effet, un acte de terrorisme est une infraction spécifique :
- il suppose tout d'abord une infraction de droit commun, laquelle n'est en principe constituée, en vertu de l'article 121-3 ; que si son auteur a eu effectivement l'intention de la commettre ;
- mais il suppose également le dol aggravé de l'article 421-1 qui peut certes être considéré comme un élément constitutif de l'acte de terrons mais qui peut également être interprété comme une circonstance aggravante. Or, le principe de l'article 121-3 ne visant pas les circonstances aggravantes, nul ne peut affirmer avec certitude qu'il leur est applicable, et ce, d'autant plus que de nombreuses dispositions du code pénal précisent qu'une circonstance aggravante ne peut être imputée à l'auteur d'une infraction que s'il en a eu connaissance.
C'est pourquoi, nul ne peut non plus affirmer avec certitude qu'un délinquant ne saurait être considéré comme terroriste s'il ignorait avoir commis une infraction en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Cette incertitude avait d'ailleurs été soulevée devant votre rapporteur par les représentants du barreau de Paris.
Pour lever cette ambiguïté sur ce point, votre commission vous Propose de préciser expressément que l'acte de terrorisme suppose l'intention du délinquant de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
B. COMPLÉTER LA LISTE DES INFRACTIONS SUSCEPTIBLES DE CONSTITUER DES ACTES DE TERRORISME
Votre commission a jugé utile de compléter sur trois points la liste des infractions susceptibles de constituer des actes de terrorisme dès lors qu'elles seraient intentionnellement en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
1. Le faux et l'usage de faux
L'adjonction par l'Assemblée nationale du faux et de l'usage de faux documents administratifs visés par l'article 441-2 du code pénal est apparue tout à fait opportune à votre commission des Lois. Comme l'a fort justement indiqué M. Alain Marsaud, initiateur de cette adjonction, « les organisations terroristes se servent, sur le territoire national, de faux documents administratifs : passeports, cartes d'identité, cartes de séjour » .
C'est pour cette raison que votre commission vous propose d'aller plus loin en visant non seulement le faux et l'usage de faux documents administratifs, mais également :
- la détention frauduleuse de l'un de ces documents ;
- le faux en écriture publique ;
- le fait de procurer frauduleusement à autrui un faux document administratif.
2. Le trafic d'armes
Le projet de loi intégrant parmi les infractions susceptibles de constituer des actes de terrorisme le délit de détention ou d'acquisition d'armes à feu (article 28 du décret-loi du 18 avril 1939), votre commission a trouvé normal d'y intégrer également le délit, plus sévèrement réprimé, de fabrication ou de commerce illégal d'armes à feu (article 24 dudit décret).
3. Le recel du produit d'une infraction terroriste
Quoique juridiquement distinct, le recel est étroitement lié à l'infraction originaire, au point que le nouveau code pénal assimile parfois l'un à l'autre (notamment au regard de la récidive).
En fait, receleur et auteur de l'infraction originaire peuvent être considérés comme complices, moralement sinon en droit. En pratique, il n'est d'ailleurs pas rare qu'ils fassent une seule et même personne. Dans cette hypothèse, le délinquant pourra être poursuivi et condamné pour recel (délit continu) alors même que la prescription de l'action publique serait acquise pour l'infraction originaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles votre commission des Lois a estimé utile d'intégrer le recel du produit d'une infraction terroriste parmi les infractions susceptibles de constituer des actes de terrorisme.
C. ASSURER UNE MEILLEURE ADAPTATION DE LA PEINE À LA GRAVITE DE L'INFRACTION
1. Une plus grande sévérité à l'égard de l'association terroriste
Votre commission des Lois n'a pas souhaité augmenter la peine d'emprisonnement prévu pour l'association de terroristes (dix ans, soit autant que pour le délit général d'association de malfaiteurs) afin de conserve celle-ci son caractère délictuel.
Elle vous propose en revanche de prévoir l'application à l'associa de terroristes :
- des peines complémentaires que constituent l'interdiction des droits civiques, civil et de famille, l'interdiction d'exercer une fonction publique une activité professionnelle et l'interdiction de séjour ;
- de la période de sûreté prévue par l'article 132-23 du code pénal
Ces deux séries de dispositions sont en effet applicables à tous les autres actes de terrorisme. Il serait donc difficilement compréhensible qu'une infraction aussi grave que l'association de terroristes y échappe.
2. Une position réservée sur l'aggravation des peines encourues en cas d'atteintes à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.
Votre commission partage le souci du Gouvernement et de l'Assemblée nationale d'assurer une meilleure prévention des atteintes aux Personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.
Elle s'est cependant longuement interrogée sur l'opportunité d'une aggravation substantielle des peines encourues en cette hypothèse, ainsi que sur l'opportunité de créer de nouveaux délits concernant les menaces.
Sur le premier point, elle a constaté que la modulation des peines encourues en fonction du nombre de circonstances paraissait conduire à une remise en cause de l'équilibre général du nouveau code pénal. Ainsi, en cas de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le projet de loi (article 9) permettrait le prononcé d'une peine de réclusion criminelle à Perpétuité, supérieure à la peine encourue en cas de meurtre simple (30 ans de réclusion). De même, votre rapporteur considère comme excessivement lourde Peine de sept ans d'emprisonnement que l'article 12 du projet de loi permettrait de prononcer en cas de violences légères.
S'agissant de la création de nouveaux délits, concernant les menaces contre les dépositaires de l'autorité publique, votre rapporteur a fait observer que les articles en question du projet de loi (articles 13, 14, 16 et 17) modifiaient des dispositions éparses du code pénal et opéraient de multiples distinctions entre les menaces contre les personnes et contre les biens, entre les menaces simples et celles faites avec l'ordre de remplir une condition ou es faites en vue d'influencer le comportement de la victime, entre les menaces simples et les menaces de mort...
Ce dispositif est d'autant plus complexe que le projet de loi ne paraît pas tenir compte l'actuel article 433-3 du code pénal, qui sanctionne le fait d'user de menaces ou de tout autre acte d'intimidation contre une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ne vue d'obtenir de sa part un agissement ou une abstention.
Dans un souci de simplification et de lisibilité, votre rapporteur avait proposé de regrouper au sein de la même de la même disposition, l'article 433-3 du code pénal l'ensemble des menaces ou actes d'intimidation à l'égard d'une personne dépositaire de l'autorité publique et de se limiter à une distinction simple entre :
- les menaces de commettre un crime ou un délit, qui auraient été punies de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende (ou cinq ans et 500 000 F en cas de menace de mort) ;
- les menaces faites en vue d'obtenir de la victime un agissement ou une abstention, qui seraient demeurées passibles, comme le prévoit l'actuel article 433-3 du code pénal, de dix ans d'emprisonnement et de 1 million de francs d'amende.
Votre commission a cependant souhaité réserver sa position sur les articles 9 à 17 du projet de loi afin de s'assurer de la nécessité et de la portée de la création de nouveaux délits et d'une aggravation substantielle des peines pour certaines infractions, et ce moins de deux ans après l'adoption d'un code pénal à une très large majorité.
D. DES AMÉLIORATIONS AU DISPOSITIF RELATIF AUX-PERQUISITIONS DE NUIT
1. Assurer la possibilité de procéder à des perquisitions nuit dans le cadre d'une enquête préliminaire
Il résulte tant de l'exposé des motifs que des propos tenus par le Garde des Sceaux à l'Assemblée nationale que l'intention des rédacteurs projet de loi était d'autoriser les visites, perquisitions et saisies de nuit en matière de terrorisme, non seulement dans le cadre d'une enquête de flagrance ou d'une instruction, mais également dans le cadre d'une enquête préliminaire.
Or, en permettant de procéder à toute heure aux visites, perquisitions à et saisies « prévues par l'article 59 » du code de procédure pénale, relatif à l'enquête de flagrance, le projet de loi ne concerne pas avec certitude les perquisitions et saisies opérées dans le cadre d'une enquête préliminaire, prévues par l'article 76 du même code.
Certes, celui-ci renvoie à l'article 59, mais une ambiguïté demeure, soulevée tant à l'Assemblée nationale par M. Marsaud que par les praticiens entendus par votre rapporteur.
C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose un amendement tendant à lever cette ambiguïté afin d'assurer la possibilité de procéder à des perquisitions de nuit dans le cadre d'une enquête préliminaire.
2. Encadrer la faculté de procéder à des perquisitions de nuit
Ainsi qu'indiqué précédemment, le projet de loi subordonne les Perquisitions de nuit à l'autorisation préalable d'un magistrat du siège. Il exige en outre que cette autorisation soit écrite et motivée, condition d'autant Plus susceptible de protéger les droits des justiciables qu'elle est étendue aux Perquisitions effectuées dans le cadre du trafic de stupéfiants.
Votre rapporteur a souhaité aller encore plus loin dans cette Protection en précisant que cette autorisation devrait contenir non seulement adresse des lieux concernés mais également les motifs de fait rendant nécessaire une perquisition de nuit. Cette proposition a été acceptée par votre commission. Il appartiendra notamment au magistrat délivrant l'autorisation d'indiquer en quoi l'urgence empêche d'attendre six heures du matin pour perquisitionner.
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Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi.