B. LE MAINTIEN ET LE RECENTRAGE DES AIDES DE L'ÉTAT

1. Le maintien de l'aide de l'État est nécessaire

Les arguments ne manquent pas qui pourraient justifier un désengagement de l'État : moindre importance de la presse écrite par rapport à l'audiovisuel, banalisation des entreprises de presse éditant des quotidiens nationaux, de plus en plus filiales de groupes industriels ou financiers ; prospérité d'organes de presse aujourd'hui bénéficiaires d'aides publiques ; concentration de difficultés majeures dans le secteur des publications pour lesquelles les aides ont été conçues ; difficultés structurelles liées aux lourdeurs des coûts de fabrication et de distribution dont l'État n'aurait normalement pas à compenser le surcoût.

Selon le rapport, le moment ne serait cependant pas venu pour l'État de remettre en cause le principe de l'aide à la presse, d'autant que celui-ci n'est pas menacé par les prescriptions du droit communautaire.

La Commission européenne a, en effet, admis que les publications éditées au sein des États membres n'étaient pas en concurrence entre elles et qu'en conséquence, l'interdiction des aides publiques édictées par l'article 92 du Traité de Rome ne leur était pas applicable.

Le désengagement brutal de l'État aurait, en outre, des conséquences particulièrement dommageables sur l'ensemble du secteur.


• Sur le plan financier, l'équilibre de nombreuses entreprises serait menacé du fait de l'accroissement de leurs charges.


• Sur le fond, un tel désengagement serait ressenti comme un abandon à 1 égard du média reconnu depuis deux siècles comme indispensable à la formation de 1 opinion publique, et qui, aujourd'hui, constitue l'accès le plus populaire, -et souvent le seul- à l'écrit, alors même que, par la redevance, le contribuable apporte également son concours au secteur public de l'audiovisuel.

2. La réforme des aides de l'État est également nécessaire

Si aucune novation majeure ne semble s'imposer en ce qui concerne la structure du système des aides, il est, en revanche, proposé d'en réduire le champ d'application.

L'examen par le rapport du dispositif d'aides existantes ne conduit pas à recommander sa refonte, même si les aides en vigueur ont subi, par rapport à leurs objectifs initiaux, de nombreuses altérations.

Ainsi l'article 39 bis du Code Général des Impôts avait, en 1945, pour objet de permettre pendant une période limitée le renouvellement du matériel au lendemain de la guerre. L'allégement des charges téléphoniques des correspondants de presse ne répond plus à sa finalité première dictée par le coût élevé en 1951 des communications téléphoniques. Enfin, la presse quotidienne intervient désormais pour moins de 30 % dans le transport de presse à la charge de La Poste et pour moins de 3 % pour le transport par la SNCF, alors même que les aides massives privilégient ces modes de transport et de distribution.

De plus, chaque aide pose problème :

- l'allégement des charges téléphoniques donne lieu à une évaluation des dépenses qui n'en permet pas la vérification certaine ;

- l'aide au transport ferroviaire entraîne des distorsions de concurrence entre transporteurs ;

- il n'est pas sûr que la pérennité du concours apporté à la presse par La Poste -supporté par les autres usagers et évalué à 2 milliards de francs- puisse être assurée compte tenu de l'ouverture croissante à la concurrence de cette entreprise ;

- le taux réduit de TVA de 2,1 % pourrait être remis en cause par la mise en oeuvre de l'harmonisation fiscale européenne ;

- enfin l'article 39 bis a contribué dans certains cas à des « surinvestissements », les ressources qu'il a procurées ayant pu être affectées « à des opérations financières ou des acquisitions ou installations somptuaires étrangères à sa finalité ».

Trois mesures pourraient toutefois préciser le dispositif d'aides à la presse :

1) Accorder la possibilité de prêts bonifiés au profit de la presse.

Une telle mesure apparaît au rapporteur contradictoire avec l'évolution des pratiques bancaires qui s'est faite dans le sens de la banalisation et ne semble pas toujours la mieux adaptée aux problèmes du secteur de la presse qui trouvent souvent leur origine dans le surinvestissement et les charges qui en résultent. Toutefois, la bonification d'intérêt pourrait être utilisée comme un instrument susceptible d'alléger les charges financières, dans le cadre d'une restructuration de la dette des entreprises, ou pour des objets très précisément délimités.

2) Répondre par des aides spécifiques ciblées aux difficultés propres à certains titres qui ne peuvent bénéficier du soutien de leurs propriétaires ou de leurs actionnaires.

Ceci suppose, en revanche, la prise en considération de la situation financière des entreprises éditrices, et non la seule appréciation de la situation de la publication éditée. Il ne pourrait dans cette hypothèse s'agir que de concours exceptionnels qui, au surplus, devraient être assortis de conditions précises et d'objectifs concrets en termes de résultats.

3) Développer la diffusion de la presse à l'école

Il s'agit, pour le président du groupe de travail, d'une mesure fondamentale tant pour la formation du futur citoyen que pour le recrutement du futur lecteur. Cet avis n'est cependant pas partagé par le rapporteur, qui y voit une mesure coûteuse (de 1 à 3 milliards de francs pour l'Éducation nationale) susceptible d'affecter le caractère de neutralité politique de l'école, et de « cannibaliser » une fraction des ventes.

En outre, le champ d'application des aides à la presse devrait être resserré pour leur donner toute leur finalité.

Les modifications successives apportées aux textes régissant le régime économique de la presse -notamment l'application de la notion d'intérêt général à la « récréation » du public- et les assimilations jurisprudentielles effectuées par la Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) ont étendu le régime postal et fiscal le plus favorable à l'ensemble de la presse sans que le caractère d'intérêt général joue un rôle déterminant dans l'attribution d'un numéro par la commission.

Ce glissement sémantique, et les avantages qui ont accompagnés cette évolution, ont bénéficié ainsi aux services Minitel à caractère pornographique. En effet, la condition fixée par FRANCE TÉLÉCOM pour accéder au kiosque télématique est l'attribution d'un numéro par la commission- « alors que ces échanges ne contribuent pas, c'est le moins que l'on puisse dire, à la « libre communication des pensées ».

Dès lors, à un moment où les contraintes budgétaires ajoutées à l'aggravation des distorsions de concurrence menacent le régime de la presse, les auteurs du rapport propose une réforme fixant des conditions nécessaires à l'admission, par la CPPAP, au bénéfice du régime économique de la presse. La CPPAP devrait être conduite à porter une appréciation effective et non formelle sur la teneur éditoriale des titres pour déterminer si telle ou telle publication « a un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée et concourt effectivement à l'instruction, l'éducation et l'information du public ».

En outre, seraient explicitement exclues « les publications ne présentant pas d'intérêt réel pour la diffusion de la pensée, notamment les publications ayant pour objet principal la publication d'information à sensation, à scandale ou relatives au crime et publications dites de charmes ».

En effet, actuellement la CPPAP n'invoque l'absence d'intérêt général, quant à la diffusion de la pensée, qu'à l'encontre de quelques rares catégories de publications : par exemple, celles qui émanent d'une entreprise ou d'un constructeur, et celles qui présentent un caractère pornographique.

Inspiré par la même logique, le rapport préconise que le papier occupé par la publicité se voit appliquer le tarif des imprimés ordinaires.

3. La réforme de l'instance de régulation de l'accès au régime économique de la presse et l'extension de ses attributions

La Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) émet des avis, qui ne lient l'État que s'ils sont de rejet, quant à l'admission des publications au régime des préférences tarifaires et exonérations fiscales résultant des dispositions du Code général des Impôt et du Code des Postes et Télécommunications.

Le paritarisme de la CPPAP est invoqué par les professionnels comme une garantie de la liberté de la presse. Il explique également la tendance progressive à l'élargissement du champ d'application de l'aide.

Le groupe de travail propose, non de supprimer la commission, mais d'en modifier la composition.

Actuellement, elle comporte, sous la présidence d'un Conseiller d'État, 10 représentants des entreprises de presse et 10 représentants de l'État.

Le groupe a préconisé de la réduire à 9 membres et de passer d'une composition paritaire État-Presse (1 ( * )) a une composition tripartite comprenant 3 magistrats (un conseiller d'État président, un conseiller à la Cour des Comptes, un conseiller à la Cour de Cassation), 3 personnalités appartenant au milieu de la presse dont un journaliste, les 3 autres membres étant le Secrétaire général du Gouvernement, le Directeur du Budget et une personnalité qualifiée.

Aux yeux du rapporteur, cette composition garantirait mieux l'indépendance de la commission, non seulement par rapport à l'État, mais également par rapport aux autres intérêts engagés (annonceurs, actionnaires industriels).

La commission serait compétente à titre principal, pour donner un avis sur l'admission au régime économique favorable de la presse. Il lui incomberait également de confirmer ou d'annuler au regard de nouveaux critères - précisés par le Rapport - les numéros accordés antérieurement. En outre, l'égalité de traitement entre les titres suppose que le certificat d'inscription soit délivré pour une durée déterminée. La suppression des distorsions de concurrence et des inégalités de traitement dans le temps devrait appeler le réexamen systématique et périodique de la situation des publications au regard des critères de l'aide.

Enfin, la compétence de la commission serait étendue à deux nouveaux domaines :

- elle publierait chaque année un rapport établissant le bilan de son activité qui comporterait également des indications sur l'état du secteur de la presse écrite et l'évolution des structures, notamment en ce qui concerne les dispositions de la loi du 1er août 1986 relatives à la concentration ;

- elle présenterait des avis dépassant le cadre du régime économique de la presse pour s'exprimer, le cas échéant, sur des questions relevant par exemple de la déontologie. Son indépendance lui permettrait, en effet, de porter une appréciation sur certaines pratiques qui lui paraîtraient devoir être examinées.

4. Les propositions spécifiques du président du groupe de travail

Aux propositions du rapporteur, le président du groupe de travail, M. ÉLIE a ajouté ses propres recommandations.

Les entreprises de presse devraient tirer les conséquences des évolutions technologiques et des moeurs et proposer des journaux plus attrayants dont le contenu corresponde réellement aux attentes et aux besoins du public, des journaux portés au domicile ou sur le lieu de travail et dont le prix soit accessible aux revenus modestes.

L'État devrait veiller à ce que les conditions de concurrence entre les entreprises de presse écrite et les entreprises audiovisuelles ne soient pas faussées par son action et par la dérégulation. Ainsi, et alors que l'aide de l'État à la presse est évaluée à plus de 6 milliards de francs, le prélèvement de la redevance entraîne un transfert de 10 milliards de francs en faveur de l'audiovisuel. Un transfert équivalent devrait bénéficier à la presse.

Un soutien accru de l'État à la presse pourrait prendre plusieurs formes :


Promouvoir la presse écrite dans la vie nationale :

- en introduisant la pratique systématique de la lecture de la presse écrite à l'école ;

- en abonnant systématiquement les demandeurs d'emploi à un quotidien national ou régional ;

- en privilégiant la presse écrite dans le cadre de la communication du Gouvernement et des institutions.


Peser favorablement sur l'économie des entreprises de presse :

- en favorisant la modernisation des entreprises de presse par un renforcement des fonds propres, au moyen de procédés fiscaux du type SOFICA, et par un renforcement des fonds de roulement grâce à des procédures de type SOFARIS, assorties d'une garantie à 100 % ;

- en abaissant les prix de revient, grâce notamment au financement sur fonds publics, pendant 5 ans, de plans sociaux ;

- en favorisant le portage à domicile, par des incitations financières et fiscales, et par l'allégement des charges pesant sur ce type d'activité.


Soutenir le rayonnement de la presse écrite :

- en renforçant la présence des entreprises françaises dans les pays étrangers (aide à la diffusion, prise de participation, formation des journalistes...) ;

- en créant des chaires et des enseignements sur la presse écrite et les média dans les universités et les grandes écoles ;

- en favorisant la réflexion éthique des journalistes et des responsables des entreprises de presse écrite.

* (1) Le paritarisme originel de la première commission, créée par le décret du 23 juillet 1931, était strictement professionnel puisqu'elle était composée à parts égales de représentants des fabricants de papier et des représentants des utilisateurs.

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