II. AU-DELÀ DU CAS IVOIRIEN, UNE MÉTHODE DE RESTITUTION À REPENSER
A. LA NÉCESSITÉ JURIDIQUE ET SYMBOLIQUE D'UNE INTERVENTION DU LÉGISLATEUR
1. Seule la loi peut permettre le transfert de propriété d'un bien des collections publiques
En raison du principe d'inaliénabilité des collections publiques, consacré par la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France et codifié à l'article L. 451-5 du code du patrimoine, la propriété des biens conservés dans les collections des musées de France, qui constituent des trésors nationaux au sens de l'article L. 111-1 du même code, ne peut être transférée.
Deux régimes d'exception à ce principe sont aujourd'hui en vigueur, qui ne s'appliquent pas ici :
la convention de l'Unesco de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert illicites de propriété des biens culturels porte uniquement sur les biens volés entrés dans les collections publiques après sa ratification en 1997 ;
la procédure de déclassement prévue à l'article L. 451-5 du code du patrimoine ne peut être mise en oeuvre que pour les biens ayant perdu leur intérêt public « du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique » (article R. 115-1 du même code).
2. La solution du prêt de longue durée n'est pas adaptée au cas ivoirien
La passation d'une convention de dépôt ou d'un prêt de longue durée entre États permet de contourner cette difficulté juridique en permettant le retour d'un bien culturel sur son territoire d'origine, pour une durée déterminée et sans transfert de propriété. Cette possibilité a été mobilisée dans le cas d'espèce, avec la signature par les ministres de la culture française et ivoirienne ainsi que le président du musée du quai Branly-Jacques Chirac, le 18 novembre 2024, d'une convention de dépôt du tambour au MCCI d'Abidjan pour une durée de cinq ans renouvelable.
Cette solution n'apparaît cependant ni satisfaisante à l'égard des engagements diplomatiques pris par la France, ni cohérente avec les efforts opérationnels et financiers déployés dans le cadre de la coopération avec le MCCI, ni adéquate au regard de l'exemplarité de la démarche muséale déployée par la Côte d'Ivoire.
B. LES RÉSERVES DE LA COMMISSION SUR LA CHRONOLOGIE DU PROCESSUS DE RESTITUTION
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'une intervention législative est aujourd'hui impérative pour répondre dans les plus brefs délais à la demande ivoirienne ; c'est l'objet de la proposition de loi, conjointement déposée par plusieurs membres de la commission au lendemain du déplacement en Côte d'Ivoire. Cette solution indispensable au règlement du cas d'espèce ne doit cependant pas faire oublier les difficultés posées par la méthode actuellement suivie par le Gouvernement pour les restitutions de biens culturels.
Les réserves de la commission à cet égard avaient été précisées lors de l'examen de la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 précitée. Sa rapporteure Catherine Morin-Desailly avait en particulier pointé la chronologie du processus, dans lequel l'engagement diplomatique et politique à la restitution précède l'intervention des instances scientifiques et du Parlement, dès lors réduits à un rôle d'enregistrement.
La commission rappelle en conséquence son souhait de voir mis en place un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d'oeuvres d'art extra-occidentales, qui serait chargé d'une expertise scientifique préalable au temps politique et diplomatique. Si la voie d'un projet de loi-cadre sur le sujet, un temps envisagée par le Gouvernement, devait être suivie, cette préconisation devrait nécessairement y être traduite.