B. APRÈS UNE PROGRESSION MASSIVE CES DERNIÈRES ANNÉES, LA MISSION EST FORTEMENT MISE À CONTRIBUTION AU TITRE DU REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES

1. La trajectoire des dépenses d'APD, fixée dans la loi de programmation du 4 août 2021, a fait l'objet d'une révision dès juillet 2023

La loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a fixé comme objectif, à son article 2, de consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l'aide publique au développement en 2025, avec une cible intermédiaire de 0,55 % en 2022. Cet objectif intermédiaire a été atteint en 2022 avec une APD équivalente à 0,56 % du RNB.

Évolution de la part de l'aide publique au développement
dans le RNB de la France

(en pourcentage)

 

2023

2024

2025

Trajectoire prévue par la loi de programmation du 4 août 2021

0,61

0,66

0,70

Exécution (constatée ou évaluée)

0,50

0,50

n.a.

Source : commission des finances à partir des documents budgétaires

Toutefois, la réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement de juillet 2023 a conduit à reporter à 2030 l'objectif de 0,7 % du RNB. Cette révision, décidée sans consultation ni information du Parlement, a reposé sur le constat d'une impossibilité d'atteinte de la cible. La réalisation de la trajectoire aurait en effet, selon le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, nécessité une augmentation massive du volume d'APD, de l'ordre de 6,2 milliards d'euros.

La remise en cause de la trajectoire de la loi de programmation n'est en rien surprenante. La dégradation du contexte macroéconomique international a conduit d'autres bailleurs à réviser à la baisse leurs prévisions de dépenses d'aide au développement. À titre d'exemple, la Suède et la Norvège, deuxième et troisième donateurs du CAD en part de RNB, avaient adopté un objectif d'APD à 1 % de leurs RNB respectifs. Compte tenu de l'inflation, qui gonfle mécaniquement le RNB, la Norvège envisage d'adopter un objectif de 0,75 % et la Suède a renoncé à tout objectif chiffré. De même, en raison de la dégradation de la conjoncture économique et des comptes publics, le Royaume-Uni a adopté une cible de 0,5 % du RNB en 2021, contre 0,7 % auparavant.

Évolution de l'aide au développement de la France sur la période 2017-2023

(en milliards d'euros à gauche, en pourcentage du RNB à droite)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

En tout état de cause, les rapporteurs spéciaux rappellent les observations de leur collègue Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi de programmation en 2021 qui avait, en effet, souligné au moment de son examen, le caractère très relatif d'une cible exprimée en part de RNB. Tout d'abord, le respect de cette cible est corrélé au niveau du RNB, qui fluctue selon la conjoncture économique. Ensuite les travaux économiques ont démontré que l'objectif de 0,7 % est davantage fondé sur un niveau politiquement acceptable que sur des évaluations macroéconomiques8(*). Enfin, l'évolution de certaines composantes de l'aide au développement est difficilement prévisible.

2. Une mission budgétaire fortement touchée par les annulations de crédits de février 2024

Confronté au dérapage des finances publiques, le précédent Gouvernement a procédé à l'annulation de près de 10 milliards d'euros de crédits budgétaires par le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits. Avec 742 millions d'euros annulés en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, la mission « Aide publique au développement » a figuré parmi les missions budgétaires les plus sollicitées par ce plan d'économies d'urgence. Près de 13 % des crédits de paiement inscrits en programmation initiale ont ainsi été annulés moins de deux mois après l'adoption de la loi de finances pour 2024.

Plus précisément, le décret du 21 février 2024 a annulé :

250 millions d'euros en AE et 200 millions en CP sur le programme 110 « Aide économique et financière au développement » ;

492 millions d'euros en AE et 542 millions en CP sur le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ».

Ces annulations sont apparues en profond décalage avec les arguments avancés par le Gouvernement au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, en réponse aux propositions d'économies de la commission des finances du Sénat. Un amendement de crédits porté par les rapporteurs spéciaux des crédits de la mission, Michel Canévet et Raphaël Daubet, proposait en effet de réduire de 200 millions d'euros le montant total de la mission. Cet amendement ciblait plus particulièrement l'aide-projet de l'Agence française de développement et la provision pour crises majeures. Si le Gouvernement avait, à l'époque, émis un avis négatif en indiquant que l'adoption de l'amendement « déstructurerait totalement le programme 209 », les baisses de crédits décidées en février ont précisément porté sur ces enveloppes.

3. Un retour au niveau des crédits de la mission antérieur à 2021

Pour 2025, les crédits demandés au titre de la mission « Aide publique au développement » s'élèvent à 5,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 5,1 milliards d'euros en crédits de paiement. Pour mémoire, en 2024, les AE représentaient 6,1 milliards d'euros et les CP, 5,8 milliards d'euros. Il s'agit ainsi d'une baisse de 7 % en AE et de 10 % en CP.

Évolution des crédits de la mission aide publique au développement
entre 2024 et 2025

(en millions d'euros et pourcentage)

 

LFI 2024

PLF 2025

Évolution
en valeur

Variation en pourcentage

Programme/action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

110 - Aide économique et financière au développement

2 787,1

2 337,9

2 519,2

1 720,7

- 267,9

- 617,2

- 9,6%

- 26,4%

Aide économique et financière multilatérale

611,8

1 490,3

1 378,4

1 031,4

766,6

- 458,9

125,3%

- 30,8%

Aide économique et financière bilatérale

2 175,3

734

1 140,9

636,6

- 1 0345

- 97,5

- 47,6%

- 13,3%

Traitement de la dette des pays pauvres

0

113,6

0

52,7

0

- 60,9

-

-  53,6%

365 - Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement

150

150

145

145

- 5

- 5

- 3,33%

- 3,33%

209 - Solidarité à l'égard des pays en développement

3 179,9

3 265,5

2 131,1

2 410

- 1 048,8

- 855,5

- 33%

- 26,2%

Coopération multilatérale

703,6

796,1

441

571

- 262,6

-225,1

- 37,3%

- 28,3%

Coopération bilatérale

2 191,3

2 184,3

1 546

1 694,9

- 645,2

- 489,5

- 29,4%

- 22,4%

Coopération communautaire

285

285

144,1

144,1

- 140,9

- 140,9

- 49,4%

- 49,4%

370 - Restitution des biens mal-acquis

6,1

6,1

140,3

140,3

134,2

134,2

2 200%

2 200%

384 - Fonds de solidarité pour le développement

-

-

738

738

-

-

-

-

Total - Mission « Aide publique au développement »

6 123,2

5 759,5

5 673,7

5 154

- 449,5

- 605,5

- 7,3%

- 10,5%

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Cette baisse est d'autant plus importante lorsque l'on retraite les évolutions de périmètre de la mission. Entre 2024 et 2025, deux évolutions significatives ont en effet affecté le volume de la mission APD :

- d'une part, les dépenses de personnel concourant au programme 209 ont été transférées sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'État », dans un souci de centralisation des dépenses de titre 2 relevant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sur un même programme support. En 2024, ces dépenses s'élevaient à 161,4 millions d'euros ;

- d'autre part, le Fonds de solidarité pour le développement fait l'objet d'une rebudgétisation par le projet de loi de finances pour 2025 au sein d'un nouveau programme budgétaire 384, doté de 738 millions d'euros en AE=CP. Jusqu'alors, ce fonds extrabudgétaire, géré par l'Agence française de développement, était abondé par l'affectation d'une partie du produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) et de la taxe sur les transactions financières (TTF). Désormais, aux termes de l'article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), dans sa version issue de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, à compter du 1er janvier 2025, l'affectation d'impositions de toutes natures à un tiers « ne peut être maintenue que si ce tiers est doté de la personnalité morale ». Ce n'est pas le cas de ce fonds, l'affectation devait donc être remise en cause.

Évolution des crédits de la mission sur la période 2018-2025

(en millions d'euros - en autorisations d'engagement et en crédits de paiement)

Note n° 1 : les montants indiqués sont en exécution pour les années 2018 à 2023 et en prévision pour les années 2024 et 2025.

Note n° 2 : pour 2025, les montants en AE et en CP ne comprennent pas les crédits du nouveau programme 384 « Fonds de solidarité pour le développement ».

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Par rapport à l'exercice précédent, le décrochage des crédits de la mission est flagrant. Corrigé de ces ajustements de périmètre, la baisse des crédits de la mission « Aide publique au développement » est de l'ordre de 19 % en autorisations d'engagement et de 23 % en crédits de paiement. Cet ajustement budgétaire conséquent vient ramener le volume de la mission à un niveau antérieur à 2021. Si l'on se réfère à la cible de part du RNB, le niveau d'aide au développement française devrait se situer à 0,45 % du revenu national brut en 2025.

Évolution des crédits de la mission entre la loi de finances initiale pour 2024
et le projet de loi de finances pour 2025

(en crédits de paiement et en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Cette tendance baissière est accentuée par les annonces du Gouvernement, qui entend opérer une économie additionnelle de 641 millions d'euros en crédits de paiement par voie d'amendement sur la mission « Aide publique au développement ». Si cette nouvelle baisse était confirmée au cours des débats, le montant des CP de la mission se situerait en 2025 à 3,8 milliards d'euros, soit une baisse de 34,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.

Si le détail exact d'imputation de ces baisses de crédits sur la mission n'est pas encore connu, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a indiqué aux rapporteurs spéciaux qu'il entend préserver en priorité ses capacités bilatérales. La réduction des contributions multilatérales dès 2025 impliquera toutefois un travail ligne à ligne d'identification de la nature juridique des engagements pris auprès des fonds verticaux et des organisations internationales pour déterminer si une annulation, réduction ou report du versement est possible.

La position des rapporteurs spéciaux

La position du rapporteur spécial Michel Canévet :

La très forte contraction des crédits de la mission « Aide publique au développement » sur l'exercice 2025 constitue le revers d'une trajectoire de dépenses trop ambitieuse ces dernières années.

Le doublement des moyens de la mission APD depuis 2017 a constitué une marche budgétaire trop importante au regard des capacités de décaissement des ministères et de l'AFD. Certaines enveloppes de la mission connaissaient en ce sens une sous-exécution chronique. De même, l'augmentation des moyens ne s'est pas accompagnée d'une vision claire de notre politique de développement. Les ministères et opérateurs se sont trouvés confrontés à des injonctions contradictoires. À titre d'illustration, la loi de programmation a fixé une cible d'augmentation de la part de notre APD versée par le canal bilatéral. Or, l'aide multilatérale représentait encore 41 % du total de l'APD en 2024. La France contribue à 271 entités, ce qui soulève un risque de doublonnage des versements et de dispersion de l'aide.

Certes, cette progression continue des crédits budgétaires s'est faite selon une trajectoire déterminée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Néanmoins, sa mise en oeuvre apparaît en complète contradiction avec le redressement nécessaire de nos finances publiques. En outre, il importe de noter qu'une très grande partie des objectifs fixés par la loi de programmation n'ont pas été appliqués. Le Gouvernement précédent s'est davantage concentré sur la hausse des dépenses que sur les critères plus qualitatifs approuvés par le Parlement. Pour ne citer qu'un exemple, les capacités d'évaluation de notre politique de développement demeurent aujourd'hui très inférieures à la perspective tracée par la loi de programmation.

La France est loin d'être un cas isolé. Plusieurs pays européens ont récemment revu à la baisse leurs objectifs d'aide au développement. Dans un contexte budgétaire contraint, les objectifs de dépenses doivent toujours être réexaminés, sans sanctuarisation aucune. Le niveau des crédits en 2025 demeurera supérieur, en tout état de cause, au volume de la mission en 2020. La progression des moyens de la mission n'est donc nullement effacée.

Les coupes franches appellent une ligne claire. Il importe désormais d'opérer des arbitrages précis et de davantage cibler nos contributions. Le renouvellement de nombreux fonds multilatéraux en 2026 sera notamment pour la France l'occasion de sélectionner les structures dans lesquelles il sera pertinent de continuer à s'investir. Si l'influence au sein des organisations internationales se mesure au volume de notre participation, nous devons choisir celles dans lesquelles il importe le plus de peser. De même, l'installation de la commission d'évaluation devrait nous permettre d'identifier les vecteurs les plus efficients de notre aide.

La position du rapporteur spécial Raphaël Daubet :

Si la trajectoire de dépenses fixée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ne paraît plus réaliste au regard de la situation de nos finances publiques, force est de constater que l'effort demandé à la mission « Aide publique au développement » est disproportionné.

Avant même l'application des nouvelles coupes annoncées par voie d'amendement par le Gouvernement, les moyens de la mission reculent d'un tiers par rapport à l'année 2024. Les crédits de paiement du programme 209, qui portent les dépenses d'intervention du ministère de l'Europe et des affaires étrangères seront diminués de 40 % après application des baisses additionnelles.

Ce renoncement aux objectifs de la loi de programmation du 4 août 2021 est d'autant plus surprenant que d'autres lois de programmation comme la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur9(*), la loi de programmation militaire10(*) et la loi de programmation du ministère de la justice11(*) sont préservées des coupes. Pourtant, au même titre que la justice, la police et la défense, la diplomatie figure parmi les monopoles régaliens de l'État12(*).

De plus, l'APD répond à des besoins importants, tant du point de vue des États bénéficiaires que de la France. Du côté des bénéficiaires, la multiplication des crises et leur inscription dans le temps déstabilise de nombreux États pour lesquels l'assistance financière internationale est cruciale. L'exemple récent du Liban est significatif. En retour, l'effondrement de la sécurité et de la santé dans ces États multiplie les enjeux pour notre pays en particulier sur le plan de la sécurité sanitaire et au regard de la question migratoire.

En outre, le recul de l'aide au développement de la France place notre pays en difficulté vis-à-vis de notre engagement dans le multilatéralisme. L'influence dans les instances internationales est évaluée en fonction de la participation financière. Une baisse soudaine et drastique de nos versements signifiera l'effacement de la France des enceintes multilatérales. Sur le plan bilatéral, la plus grande sélection des projets conduira à une dégradation de nos relations avec certains États dans des régions stratégiques.

Il paraît nécessaire de souligner le retour en trompe-l'oeil au niveau de dépenses de 2021. Par rapport à l'exercice 2021, les dépenses de 2025 seront bien plus contraintes par les engagements des années passées. Les marges de manoeuvre discrétionnaires dont disposent les administrations se trouveront considérablement réduites. C'est notamment le cas de l'aide humanitaire, qui vise à répondre aux besoins essentiels des populations en période de crise.


* 8 Michael A. Clemens et Todd J. Moss, « Le mythe des 0,7 % : origines et pertinence de la cible fixée pour l'aide internationale au développement », De Boeck Supérieur - « Afrique contemporaine », 2006/3 n° 2019, p. 173 à 201.

* 9 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 10 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 11 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 12 Conseil d'État, « L'État et les monopoles régaliens : défense, diplomatie, justice, police, fiscalité », cycle de conférence du Conseil d'État 2013-2015.

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