III. LA BAISSE DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2025 PORTE SUR UNE MULTITUDE DE DISPOSITIF
Le plan France très haut débit, les compensations des missions de service public au groupe La Poste et la compensation carbone des sites très électro-intensifs représentent à eux seuls plus de trois quarts (75,7 %, soit 2,21 milliards d'euros) des dépenses hors titre 2 de la mission. Ces trois éléments sont déterminants pour l'évolution des crédits et constituent, outre les missions des administrations et opérateurs mentionnées supra, les politiques publiques les plus coûteuses portées par la mission.
S'y ajoute en 2025 la création d'une ligne budgétaire destinée à la décarbonation de l'industrie, actuellement dotée de 50 millions d'euros en AE mais qui a vocation à être abondée de 1,5 milliard d'euros en cours de navette par le Gouvernement.
A. LA BAISSE DRASTIQUE DES CRÉDITS DU PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT MET EN PÉRIL LE RESPECT DE L'OBJECTIF DE COUVERTURE EN FIBRE OPTIQUE DE L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE EN 2025
1. Le déploiement du PFTHD est fragilisé par les coupes budgétaires massives prévues sur ce programme
Le plan France très haut débit (PFTHD), lancé en 2013, visait initialement deux objectifs : garantir à tous un accès au bon haut débit (supérieur à 8 Mbits/s) à fin 2020 et un accès au très haut débit (supérieur à 30 Mbits/s) à fin 2022. Un objectif additionnel a été ajouté en 2020 : atteindre un déploiement complet de la fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'horizon 2025.
Le PFTHD s'appuie sur l'articulation des initiatives privées et publiques et sur des financements croisés. Le soutien public se matérialise dans les projets des collectivités territoriales et par un soutien de l'État dans le cadre du PFTHD, ainsi que de l'Union européenne.
Le plan France Très haut débit
La technologie du très haut débit : un accès supérieur à 30 Mbit/s
Le « très haut débit » (supérieur à 30 Mbit/s) doit être distingué de la fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH - Fiber to the Home), qui permet de monter jusqu'à 100 Mbit/s.
Pour déployer le très haut débit sur le territoire, plusieurs technologies peuvent être utilisées :
- la fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH) : il s'agit du standard le plus élevé, mais aussi le plus coûteux à mettre en oeuvre puisqu'il implique le déploiement de nouveaux réseaux. Le plan France Très haut débit prévoit un objectif de 100 % des locaux raccordables en fibre optique à l'horizon 2025 ;
- le réseau cuivre modernisé (ADSL/VDSL2) ou le réseau câblé modernisé, en mobilisant la fibre optique jusqu'au sous-répartiteur, voire jusqu'à l'immeuble. Ces opérations de « montée en débit » sont plus rapides et moins coûteuses à déployer ;
- les technologies hertziennes de type WiMAX (équivalent de la 4G pour le fixe) ou par satellite, qui constituent des solutions alternatives pour les zones où le déploiement serait trop difficile ou trop onéreux.
L'objectif actuel : 100 % des locaux éligibles à la fibre optique en 2025
Il convient de distinguer la « couverture » du territoire, qui fait référence au nombre de locaux éligibles et constitue la référence du PFTHD, de l'accès effectif, qui implique le raccordement des locaux et la souscription d'un abonnement.
Selon les données de l'ARCEP, la couverture FttH atteignait 38,7 millions de locaux éligibles au 31 mars 2024 (soit 87 % des locaux).
La fourniture généralisée de fibre optique en 2025 ne doit en principe pas souffrir d'exceptions. Il est néanmoins probable, notamment dans les zones très difficiles d'accès, que dans certains cas particuliers le recours à d'autres technologies soit temporairement nécessaire (TH radio, 4G fixe, satellite, etc.), même si cela n'est pas souhaitable.
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires des rapporteurs spéciaux.
L'ensemble du territoire est découpé en deux grandes catégories de zones s'agissant du déploiement de la fibre optique et du très haut débit.
Un découpage complexe des zones de déploiement
La zone très dense (ZTD), correspond à la liste des communes définie par l'ARCEP. Cette zone est réputée rentable pour l'initiative privée des opérateurs ; elle ne fait donc pas l'objet d'engagements spécifiques de leur part, les pouvoirs publics ayant anticipé que la concurrence par les infrastructures devait permettre de garantir le déploiement de la fibre dans ces zones.
La zone moins dense correspond au reste du territoire. Dans cette zone, l'initiative privée n'est pas réputée rentable. Néanmoins, les opérateurs mènent également des projets sans financement public dans cette zone. Cette zone se décompose ainsi elle-même en deux zones : la zone moins dense d'initiative privée et la zone moins dense d'initiative publique (réseau d'initiative publique - RIP), dans laquelle les collectivités doivent s'associer dans leur projet de déploiement à l'échelle au moins départementale pour bénéficier d'un soutien de l'État.
Les zones AMII désignent les territoires dans lesquels le Gouvernement a engagé, à l'intention des opérateurs, un appel à manifestation d'intentions d'investissement (AMII) « afin de définir [en creux] les zones en dehors desquelles les collectivités étaient fondées à intervenir ». Dans ces zones, la fibre optique est déployée sur la base d'une initiative privée. En 2018, « à la demande du Gouvernement, afin de sécuriser et d'accélérer le déploiement de la fibre, les opérateurs se sont engagés de manière contraignante à couvrir près de 3 600 communes (de la zone dite « AMII ») au niveau national, au titre de l'article L.33-13 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) ».
Les zones AMEL désignent les zones pour lesquelles le Gouvernement a autorisé, à compter de 2018, les collectivités territoriales à accélérer les déploiements de la fibre optique via des appels à manifestation d'engagement local (AMEL) afin que des opérateurs privés déploient, sur leurs fonds propres, la fibre optique, dans le cadre d'engagements qui leur sont opposables (sur le modèle des engagements en zones AMII). Sans la création des zones AMEL, les déploiements en question auraient dû être à la charge des collectivités, via la création d'un RIP.
Source : commission des finances et réponses aux questionnaires des rapporteurs spéciaux
a) Une dynamique de déploiement de la fibre optique inégale en fonction des zones
Selon les données recueillies par les rapporteurs spéciaux, la couverture FttH atteignait 38,7 millions de locaux au 31 mars juin 2024, soit 87 % des locaux du territoire national éligibles à la FttH contre 81 % au 30 juin 2023.
Taux de locaux éligibles au THD filaire et
à la fibre
par type de zone géographique
Source : Observatoire du Très haut débit du T1 2024, Arcep
La progression du nombre de locaux éligibles doit néanmoins être nuancée, dans la mesure où la dynamique de déploiement est très hétérogène selon les zones.
Dans la zone d'initiative privée, si le taux d'éligibilité est élevé par rapport à la moyenne nationale (93 % en zone très dense et 91 % en zone AMII), les déploiements sont désormais plus lents.
Dans la zone AMEL, le taux de couverture demeure relativement faible par rapport aux autres zones, à hauteur de 79 % au premier trimestre 2024. Il a toutefois fortement augmenté en un an, puisque le taux d'éligibilité s'élevait 53 % au premier trimestre 2023.
Enfin, dans la zone d'initiative publique, le taux de couverture a sensiblement progressé entre le premier trimestre 2023 et le premier trimestre 2024 (de 71 à 87 %), mais demeure largement en deçà de l'objectif fixé.
Comme l'avait souligné l'ARCEP dans sa réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux l'année dernière, les éléments connus aujourd'hui, en particulier « les retards de déploiement sur certains réseaux (certaines parties des zones AMII et AMEL, et certains réseaux d'initiative publique...) ainsi que le fait que certains immeubles en zones très denses ou certaines zones spécifiques (à l'image de Mayotte) ne font pas à ce stade l'objet de projet de déploiement FttH peuvent interroger l'atteinte de l'objectif d'une généralisation de la fibre optique à horizon 2025 ». Cette situation doit d'autant plus interroger que, selon l'ARCEP, Orange prévoit que l'ensemble des lignes cuivre soient fermées commercialement à fin janvier 2026, ce que l'entreprise ne pourra néanmoins pas faire si la fibre optique n'est pas complètement déployée.
b) Les coupes budgétaires massives réalisées sur le programme 343 risquent de fragiliser la poursuite du Plan France très haut débit
L'intervention financière publique n'est possible que dans la zone dite moins dense et à condition que soit établie la carence de l'initiative privée. Sur la zone dite « d'initiative publique », les réseaux fixes sont déployés dans le cadre de projets portés par les collectivités territoriales, qui peuvent s'appuyer sur un soutien de l'État via le guichet « réseaux d'initiative publique » (RIP) du PFTHD.
Le soutien de l'État des RIP, par le biais du PFTHD, s'élevait à ce jour à près de 35,8 milliards d'euros. Alors que la création du programme 343, en loi de finances initiale pour 2015, devait permettre d'offrir un vecteur budgétaire unique en complément des crédits du programme d'investissement d'avenir (PIA), l'ouverture de crédits nouveaux au sein de la mission « Plan de relance » en loi de finances initiale pour 2021 a complexifié le suivi des crédits dédiés au plan. Ainsi, comme cela a été relevé de nombreuses fois par les rapporteurs spéciaux, les modalités de participation de l'État au PFTHD pose des difficultés importantes en termes de lisibilité budgétaire.
Depuis 2023, la gestion du Fonds pour la société numérique, fonds sans personnalité juridique, comportant les sources de financement du PFTHD, est géré par l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT).
En 2024, les crédits du programme 343 « Plan France Très Haut Débit » ont été dotés de 96,9 millions d'euros en AE et 464,5 millions d'euros en CP. En ce qui concerne plus particulièrement l'action 1 dédié aux réseaux d'initiative publique (RIP), l'intégralité des 50,5 millions d'euros en AE ont étaient étés inscrits en cours de navette, à l'initiative du Sénat, pour concrétiser le projet très haut débit à Mayotte. Par ailleurs, près de 418 millions d'euros de CP étaient prévus pour la poursuite des RIP hors Mayotte.
Les crédits du programme 343 ont toutefois fait l'objet d'une annulation massive en cours de gestion par le décret d'annulation du 21 février 2024 (- 37,8 millions d'euros en AE et 116,8 millions d'euros en CP). Par ailleurs le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour l'année 2024 prévoit une nouvelle annulation de 84,6 millions d'euros en CP (dont 40,1 millions d'euros en CP ayant fait l'objet d'un surgel lors de l'été 2024).
D'après la DGE, ces annulations de crédits n'ont pas eu d'impact sur l'exécution des projets en 2024, dans la mesure où la trésorerie de l'ANCT, qui s'élevait à 107 millions d'euros fin 2023, aurait permis de garantir la poursuite des financements. Toutefois, le PLF 2025 prévoit une nouvelle diminution massive des crédits sur l'action 1. En effet, aucune AE n'est inscrite, et seulement 200,1 millions d'euros sont prévus en CP, soit une baisse de plus de 52 % par rapport à 2024.
Cette situation est particulièrement préoccupante. Il ressort en effet des auditions des rapporteurs spéciaux que cette coupe budgétaire, combinée à la forte mobilisation de la trésorerie de l'ANCT pour compenser les annulations de crédits intervenus en gestion lors de l'année 2024, implique que les crédits de paiement disponibles pourraient être insuffisants pour garantir la poursuite des projets en 2025.
D'après l'ANCT, une baisse des crédits était certes attendue en 2025, mais celle-ci est bien trop forte au regard du calendrier d'avancement des projets et du besoin de décaissement qui en résulte. Le désengagement de l'État risque de se répercuter sur les collectivités locales, qui devront, dans les cas où leur situation financière le permet, s'y substituer pour garantir la poursuite des projets. À défaut, cette situation pourrait in fine se répercuter sur les opérateurs et leurs sous-traitants, et fragiliser ainsi le tissu économique local.
Par ailleurs, l'absence d'AE inscrite sur l'action 1 fait peser un risque majeur sur la concrétisation du projet « très haut débit » de Mayotte, alors même que la signature de la délégation de service public avec l'opérateur en charge de son déploiement est prévue en cours d'année 2025. Seuls 17,4 millions d'euros sont disponibles à ce jour, ce qui ne sera pas suffisant pour garantir la concrétisation de ce projet pourtant essentiel, seuls 40 % des locaux disposant aujourd'hui d'un accès internet au très haut débit à Mayotte.
Face à ce constat, les rapporteurs spéciaux proposent un amendement de majoration des crédits du programme 343 de 37,6 millions d'euros en AE pour garantir la concrétisation de ce projet, conformément à la position exprimée par le Sénat en 2024.
2. La création d'une enveloppe dédiée à une expérimentation pour les raccordements complexes dont le périmètre apparait toutefois limité
Les raccordements complexes et l'entretien des réseaux existants et nouvellement créés sont des problématiques majeures identifiées de longue date par les rapporteurs spéciaux. Ils s'inquiètent ainsi depuis plusieurs années de l'avenir des réseaux déployés et des coûts liés à l'entretien de ce réseau, ainsi que des financements nécessaires à la réalisation des raccordements complexes. Le bénéfice de la fibre optique pour l'utilisateur final dépend en effet non seulement de l'éligibilité au raccordement du local mais également de la possibilité concrète de procéder au raccordement final.
Les raccordements complexes désignent des « raccordements nécessitant la création ou la mise à niveau des infrastructures mobilisables ou rencontrant des difficultés pour les mobiliser »17(*). Selon une étude pilotée par la Direction générale des entreprises et l'ANCT en 2021, l'absence d'infrastructures de génie civil sur le domaine public en aval des points de branchement optique constitue une complexité susceptible de concerner un nombre conséquent de locaux situés en zone d'initiative publique et de constituer ainsi un frein majeur au raccordement final des locaux concernés.
Une enveloppe de 16,1 millions d'euros est inscrite sur l'action 2 du programme 343 « Autres projets concourant à la mise en oeuvre du plan France très haut débit » dans ce PLF 2025 pour la mise en place d'un dispositif expérimental d'aide aux raccordements complexes en 2025-2026.
Les rapporteurs spéciaux relèvent que le montant de cette enveloppe, ainsi que le périmètre de cette expérimentation, circonscrit au seul domaine privé, apparaissent très limités au regard de l'ampleur des enjeux.
3. La baisse des crédits consacrés aux conseillers numériques France Services
La LFI pour 2024 a créé une nouvelle action n° 3 « Inclusion numérique » au sein du programme 343, qui était dotée de 41,8 millions d'euros en AE=CP. Cette action héberge les crédits dédiés au dispositif des conseillers numériques, qui relevaient auparavant de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) sur le programme 349 « Transformation publique ».
Ce dispositif s'inscrit dans le cadre de la « Stratégie nationale pour un numérique inclusif » lancée en 2018. Mis en place sur la base de la mobilisation du plan France Relance, il a conduit à la création de 3 600 postes de conseillers numériques depuis 2022. Les financements portent sur la formation et l'activité des conseillers numériques, qui sont accueillis par des collectivités territoriales et des acteurs privés associatifs ou relevant de l'économie sociale et solidaire. Les conseillers sont chargés d'assurer des permanences, des ateliers, et des formations afin de faciliter l'appropriation par ceux qui ont besoin des usages numériques du quotidien. Environ 2 200 000 personnes auraient été accompagnées depuis 2022.
En 2025, cette enveloppe est dotée de 27,9 millions d'euros en AE et CP, soit une baisse conséquente de 33 % d'euros des crédits. Les rapporteurs spéciaux regrettent ce désengagement de l'État, motivé uniquement par des considérations d'ordre budgétaire, et alors même que le dispositif des conseillers numériques semble, d'après l'ANCT, donner pleine satisfaction.
* 17 Audition de l'ANCT en 2021.