II. LA POSITION DU RAPPORTEUR SPÉCIAL NATHALIE GOULET SUR LES CRÉDITS DU PROGRAMME 105 

Le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » concentre près des deux tiers (67 %) des crédits de la mission. Il s'agit du programme « support » de l'action extérieure de la France, placé sous la responsabilité de la direction générale des affaires politiques et de sécurité (DGAPS). Ce programme regroupe ainsi les dépenses liées à l'administration centrale et au réseau diplomatique à l'étranger, d'une part, ainsi que les contributions internationales versées par la France, d'autre part.

À noter qu'une grande partie des crédits du programme, hors dépenses de personnel, est composée de contributions internationales qui sont difficilement pilotables sur le plan budgétaire et rigidifient la trajectoire.

Évolution des crédits du programme 105 « Action de la France en Europe
et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'État »

(en millions d'euros - en pourcentage)

 

LFI 2024

PLF 2025

Évolution en valeur

Évolution en pourcentage

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

P105 - Action de la France en Europe et dans le monde

2 791,48

2 789,67

2 695,08

2 699,64

- 96,4

- 90,03

- 3,45 %

- 3,23 %

Coordination de l'action diplomatique

123,67

123,67

134,93

134,93

11,26

11,26

+ 9,10 %

+ 9,10 %

Action européenne

211,44

211,44

171,99

171,99

- 39,45

- 39,45

- 18,66 %

- 18,66 %

Dépenses de personnel concourant au programme "Diplomatie culturelle et d'influence"

84,79

84,79

90,6

90,6

5,81

5,81

+ 6,85

+ 6,85 %

Contributions internationales

728,88

728,88

659,64

659,64

- 69,24

- 69,24

- 9,50 %

- 9,50 %

Coopération de sécurité et de défense

119,54

119,54

118,28

118,28

- 1,26

- 1,26

- 1,05 %

- 1,05 %

Soutien

291,15

300,88

292,79

301,13

1,64

0,25

+ 0,56 %

+ 0,08 %

Réseau diplomatique

790,89

782,78

779,35

779

- 11,54

- 3,78

- 1,03 %

- 0,04 %

Dépenses de personnels concourant au programme "Solidarité à l'égard des pays en développement"

169,45

169,45

172,04

172,04

2,59

2,59

+ 1,53 %

+ 1,53 %

Personnel concourant à l'action "Offre d'un service public de qualité aux français à l'étranger"

207,37

207,37

207,61

207,61

0,24

0,24

+ 0,12 %

+ 0,12 %

Personnel concourant à l'action "Instruction des demandes de visa"

64,28

64,28

64,4

64,4

0,12

0,12

+ 0,20 %

+ 0,20 %

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

A. UNE BAISSE CONJONCTURELLE DES CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES ET EUROPÉENNES QUI EXPLIQUE LA STABILITÉ DE LA MISSION EN 2025

1. Une baisse des contributions internationales en trompe-l'oeil qui découle de la réduction des besoins de financement des OMP

La mission « Action extérieure de l'État » porte, avec la mission « Aide publique au développement », une majorité des contributions financières de la France à des entités multilatérales. Près de 66 % des versements multilatéraux français sont inscrits sur les programmes 105, 110 et 209 ainsi que le Fonds de solidarité pour le développement (FSD)11(*). Pour autant, le programme 105 représente une part très minoritaire du total de nos contributions (16,5 % en 2023).

Les contributions internationales regroupées dans le programme 105 présentent une certaine cohérence et correspondent à la première logique d'action12(*) identifiée par la Cour des comptes dans une enquête sur le financement des actions multilatérales de la France, réalisée à la demande de la commission des finances en septembre 202413(*) : la logique de l'influence politique. En matière de relations internationales, l'influence « consiste pour un acteur A à faire faire par un acteur B ce qu'il n'aurait pas fait autrement, et ce, sans recourir à la contrainte »14(*) et constitue une finalité naturelle et reconnue comme légitime15(*). Au sein du système multilatéral, l'influence politique correspond à la capacité pour un État de peser sur les décisions des grandes entités multilatérales. Cette influence se mesure essentiellement au regard du montant de ses contributions financières, qu'elles soient obligatoires ou volontaires, comme l'avaient souligné de précédents travaux de la commission des finances16(*). D'autres facteurs, à l'image de la présence de ressortissants au sein de l'administration des organisations concernées ou de la présence sur le territoire national du siège de ces organisation contribuent à l'influence d'un État.

Part des contributions internationales du programme 105 au sein du total
des contribution internationales portées par les missions AEE et APD

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Pour rappel, les contributions internationales se divisent entre :

les contributions obligatoires, qui découlent d'un engagement en droit international public, généralement un traité ou un accord international. L'approbation des traités ou accords engageant les finances de l'État doit, pour mémoire être soumises à l'accord du Parlement ;

les contributions volontaires, qui ne découlent pas d'engagements juridiques formels, mais d'engagements politiques.

La très grande majorité des contributions multilatérales portées par le programme 105 est constituée de contributions obligatoires, particulièrement difficile à remettre en cause. Pour l'exercice 2025, environ 95 % des contributions portées par le programme 105 présentent un caractère obligatoire. Il s'agit des versements, d'une part, au système onusien et, d'autre part, aux entités de la coopération interétatique, à l'image de l'OTAN, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou de l'OCDE. La France participe ainsi à 33 accords internationaux de ce type, tous financés sur le programme 105, à l'exception de l'Organisation internationale de la Francophonie.

Si seulement 8 % des contributions du programme 105 relèvent de la catégorie des contributions volontaires en 2025, le MEAE a engagé un effort significatif pour renforcer ce type de contributions. En effet, par rapport aux contributions obligatoires, les contributions volontaires offrent aux donateurs la possibilité d'orienter ces financements vers leurs priorités géographiques ou thématiques. La pratique du « fléchage » des contributions permet une « rebilatéralisation » de ces contributions multilatérales et avait été encouragé par la commission des finances17(*). Si la France était traditionnellement rétive à mobiliser ce levier d'influence, la part des contributions fléchées progresse depuis 2019.

Plus largement, dans une récente enquête demandée par la commission des finances18(*), la Cour des comptes a réitéré la recommandation de la commission des finances du Sénat d'assurer un pilotage plus fin des contributions internationales. Interrogée par les rapporteurs spéciaux sur les recommandations du rapport d'enquête, la direction générale des affaires politiques et de sécurité a indiqué que la construction d'un outil de suivi transversal des contributions était en cours. Les données seront désormais recueillies dans le cadre de la préparation du comité interministériel des réseaux internationaux de l'État (CORINTE), les ministères ayant été saisis par le MEAE pour lui transférer l'ensemble des données disponibles. Néanmoins, le ministère se montre défavorable à la proposition de confier au comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), le soin de superviser l'ensemble des versements multilatéraux français. La DGAPS indique que la mise en oeuvre de cette mesure conduirait au traitement de sujets trop éloignés au sein du même comité.

Part des contributions volontaires dans le total des contributions internationales portées par le programme 105 entre 2017 et 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après la Cour des comptes

Hormis les contributions européennes, présentées infra, les contributions internationales du programmes 105 se déclinent en trois ensembles : les contributions de la France aux opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations unies, les contributions internationales versées en euros et les contributions internationales versées en devises. À noter que si l'on prend en compte les contributions aux opérations de maintien de la paix, près de deux tiers des contributions du programme 105 financent le système onusien.

Évolution des contributions internationales portées par la France

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Sur ces trois ensembles, le montant des contributions aux OMP recule sensiblement en 2025. Par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, le total de ces versements devrait reculer de 26 %, pour se situer à 220,21 millions d'euros en AE=CP. Pour rappel, les opérations de maintien de la paix, décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies, disposent chacune d'un budget spécifique financé par les contributions obligatoires des États membres selon une clef de répartition décidée par l'Assemblée générale et révisée tous les trois ans. Deux facteurs principaux expliquent la baisse des versements de la France au titre des OMP.

D'une part, la diminution de la quote-part française au barème des Nations unies, découle de la combinaison du recul du revenu national brut français et du dynamisme des économies des grands émergents, en premier lieu la Chine et l'Inde. La quote-part de la France au budget des OMP se situait ainsi à 5,2894 % pour la période 2022-2024, contre 5,6124 % auparavant.

D'autre part, la fin programmée de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), en cours de liquidation19(*). Pour mémoire, la mise en extinction de la MINUSMA avait déjà permis de dégager une économie de l'ordre de 12 millions d'euros en cours d'exercice 2023. Un recul du montant de la contribution au Bureau d'appui des Nations unies à la Somalie (BANUS) de l'ordre de quatre millions d'euros peut également être noté.

Compte tenu de la relative stabilité des deux autres ensembles, la baisse conjoncturelle du financement des OMP explique le recul du total des contributions internationales du programme 105.

S'agissant des contributions internationales en euros, on peut distinguer les contributions relevant de la sphère onusienne (93,7 millions d'euros en AE=CP pour 2025) et les contributions hors ONU (110,3 millions d'euros en AE=CP pour 2025). L'ensemble de ces versements connaît une augmentation de l'ordre de 9 millions d'euros entre 2024 et 2025 (+ 5 %), soit une progression similaire à celle observée entre 2023 et 2024 (+ 6 %). Par définition, ces contributions ne sont pas affectées par les évolutions du taux de change. Dès lors que les contributions en euros concentrent la majorité des contributions volontaires du programme 105, la variation de cette ligne budgétaire illustre davantage l'évolution des priorités thématiques de la France. Pour l'exercice 2025, il est possible de relever :

- une augmentation de la contribution française à l'OTAN, pour la troisième année consécutive, de cinq millions d'euros pour atteindre 48,5 millions d'euros. Cette augmentation s'explique par la décision des chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN, prise lors du sommet de Madrid de juin 2022, d'augmenter le budget de l'organisation de 10 % par an en valeur réelle du budget civil de l'Alliance sur la période 2023-2030. À noter que cette progression s'opère en dépit de la dilution de la quote-part de la France au sein de l'organisation résultant de l'entrée successive de la Finlande (2023) et de la Suède (2024).

- et une nouvelle contribution volontaire en vue de la préparation de la troisième conférence des Nations unies sur l'océan (UNOC 3) qui se tiendra à Nice en juin 2025. Le caractère volontaire de cette contribution est toutefois relatif dès lors, comme le rappellent les documents budgétaires, qu'elle est mandatée par une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies prévoyant que l'ensemble des coûts budgétaires afférents à l'organisation de cette conférence reviennent au pays hôte.

Concernant les contributions internationales en devises, leur montant total est relativement stable sur l'exercice 2025 avec un total de 229,4 millions d'euros en AE=CP. Pour 2025, les ordres d'achat à termes ont été passés à hauteur de 85 % du montant des contributions versées en devises.

En effet, depuis 2018, le ministère des affaires étrangères a activé le mécanisme de couverture de change contribuant à sécuriser entre 80 % et 90 % du montant de ses contributions en dollar. Ce dispositif vise à tenir compte des incertitudes sur l'évolution des changes à moyen terme, qui induisent un coût budgétaire conséquent sur les crédits de la mission AEE.

Dans le cadre du mécanisme de couverture de change, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères passe à l'Agence France Trésor (AFT) des ordres d'achat à terme de devises en lui indiquant le taux de change acceptable qu'il retient. L'AFT met ensuite en oeuvre une opération de couverture auprès des organismes spécialistes en valeur du Trésor (SVT). L'objectif de cette opération, pour le ministère, est de geler le montant de ses contributions en devises et le coût de cette dépense en euros.

Auparavant, le mécanisme était activé après l'adoption du budget ce qui n'allait pas sans susciter des difficultés lorsque le taux de change retenu en budgétisation et le taux de marché avaient trop fortement divergé, générant au plan budgétaire une perte ou un gain au change pour le ministère.

2. Une moindre contribution à la Facilité européenne pour la paix, principale mesure de réduction des dépenses de la mission

Les contributions européennes intégrées dans le programme 105 regroupent l'ensemble des contributions aux organisations européennes, hors contribution au budget de l'Union européenne. Cette dernière est exclue de cet ensemble et relève, à titre principal, du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSR-UE) prévu pour 2025 à l'article 40 du présent projet de loi de finances. Les deux principales contributions portées par l'action « Action européenne » du programme 105 sont la contribution au Conseil de l'Europe et la contribution à la Facilité européenne pour la paix (FEP).

Le montant total des contributions européennes portées par le programme 105 s'élève en 2025 à 159,2 millions d'euros, contre 198,7 millions d'euros en 2024, soit une baisse de près de 20 %. L'essentiel de cette contraction des crédits s'explique par la réduction du montant de la participation française à la FEP.

Issue de la fusion du dispositif Athéna20(*) et de la Facilité de soutien à la paix pour l'Afrique présents dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, la Facilité européenne pour la paix est un instrument constitué hors du cadre financier pluriannuel pour 2021-2027. Par conséquent, la FEP n'est pas financée par le budget européen, mais directement par des contributions des États membres. La FEP finance des actions en matière de sécurité et de défense. Elle repose sur deux piliers : un pilier I qui finance les opérations de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et un pilier II qui abonde des mesures d'assistance à des pays tiers.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, le plafond de la FEP, initialement fixé à 5,7 milliards d'euros a été progressivement porté à 17 milliards d'euros21(*). Pour la France, la contribution à la FEP est partagée entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère des armées (MINARM). Le MEAE ne contribue qu'au financement des mesures d'assistance à caractère non létal du pilier II. Les mesures d'assistance à caractère létal, en nette augmentation, reposent sur la contribution du MINARM. 

La progression des dépenses visant à financer des dispositifs létaux explique un recul de la part de la contribution portée par le MEAE. Le financement relevant du ministère marque ainsi une baisse de l'ordre de 27,5 %, pour se situer à 104,1 millions d'euros. Cette moindre contribution, qui constitue l'une des principales mesures d'économies de la mission, est par conséquent totalement indépendante d'un effort budgétaire du ministère.

Par ailleurs, pour 2025, la contribution française au Conseil de l'Europe s'inscrit, avec un montant de 49 millions d'euros en AE=CP, en baisse par rapport à 2024 où elle représentait un montant de 55 millions d'euros.


* 11 Le FSD fait l'objet, dans le présent projet de loi de finances, d'une rebudgétisation au sein du nouveau programme 384 de la mission APD.

* 12 Les deux autres logiques d'action correspondent, d'une part, à l'aide au développement et, d'autre part, à la protection des biens publics mondiaux.

* 13 Cour des comptes, Le financement des actions multilatérales de la France, communication à la commission des finances du Sénat, juillet 2024.

* 14 Frédéric Charillon, Guerres d'influence. Les États à la conquête des esprits, Odile Jacob, janvier 2022, p. 22.

* 15 Rapport n° 739 (session de droit en application de l'article 12 de la Constitution) fait par Rachid Temal, au nom de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères visant notre vie démocratique, notre économie et les intérêts de la France sur le territoire national et à l'étranger afin de doter notre législation et nos pratiques de moyens d'entraves efficients pour contrecarrer les actions hostiles à notre souveraineté, tome I, remis le 23 juillet 2024.

* 16 Rapport n° 392 (2021-2022) fait par Vincent Delahaye et Rémi Féraud au nom de la commission des finances sur les contributions de la France au financement des organisations internationales, remis le 26 janvier 2022.

* 17 Rapport n° 392 (2021-2022) fait par Vincent Delahaye et Rémi Féraud au nom de la commission des finances sur les contributions de la France au financement des organisations internationales, remis le 26 janvier 2022.

* 18 Rapport d'information n° 779 (2023-2024) fait par Michel Canévet et Raphaël Daubet pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le financement des actions multilatérales de la France - exercices 2017 à 2023, déposé le 25 septembre 2024.

* 19 Créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité des Nations unies du 25 avril 2013, la MINUSMA a pris fin à la suite d'une demande des autorités maliennes de « retrait sans délai » des forces onusiennes en juin 2023.

* 20 Pour mémoire, le dispositif Athéna visait à assurer le financement des coûts communs des opérations militaires de l'UE menées au titre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'UE.

* 21 Décision (PESC) 2021/509 du Conseil du 22 mars 2021 établissant une facilité européenne pour la paix.

Partager cette page