EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN PLFSS À FORTS ENJEUX

A. UNE SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES TRÈS DÉGRADÉE

1. En 2024, un déficit public de 6,1 points de PIB (pour une prévision de 4,4 points de PIB)

Selon le Gouvernement, en 2024 le déficit et la dette publics seraient de respectivement 6,1 et 112,9 points de PIB.

Après celui de l'automne 2023 pour l'année 2023, il s'agit d'un nouvel échec grave de prévision. En effet, les prévisions pour 2024 associées au PLF et au PLFSS pour 2024 étaient de respectivement 4,4 points de PIB et 107,6 points de PIB.

2. En 2024, un déficit de la sécurité sociale de 18 milliards d'euros (pour une prévision de 10,5 milliards d'euros)

Cet échec de prévision concerne également la sécurité sociale.

Comme la Cour des comptes le souligne dans sa communication2(*) d'octobre 2024 aux deux commissions des affaires sociales, « la dégradation de la prévision du déficit attendu en 2024 (18 Md€ selon le PLFSS 2025), autant par rapport à 2023 (10,8 Md€) que par rapport à la prévision initiale en loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (10,5 Md€), est d'une ampleur inédite hors contexte de crise. [...] Dans la dernière décennie, hors les deux années de crise sanitaire, un dépassement de la prévision initiale d'une telle ampleur est sans précédent ».

En mai 2024, le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) évaluait déjà le déficit à 16,6 milliards d'euros. Le rapport du comité d'alerte sur les dépenses d'assurance maladie de juillet 2024 identifiait quant à lui un dérapage des dépenses de soins de ville d'un milliard d'euros.

Comme on le verra ci-après, cette erreur de prévision provient de l'effet cumulé de la surévaluation des recettes de 2023, de facteurs propres aux recettes de 2024 (en particulier en ce qui concerne les recettes de TVA) et d'un nouveau dérapage des dépenses dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).

a) En 2023, un déficit des Robss et du FSV ramené à 10,8 milliards d'euros du fait de mécanismes purement automatiques

Le déficit des Robss et du FSV a été ramené 10,8 milliards d'euros en 2023. Ce montant, rigoureusement égal à celui du Placss 20233(*), correspond quasiment à une division par deux du déficit de 2022.

Toutefois cette amélioration a été purement automatique, comme le montre le graphique ci-après. Les deux principaux facteurs d'amélioration du solde (en partie compensés par un moindre dynamisme spontané des recettes) ont en effet été la quasi-disparition des dépenses liées à la crise sanitaire (qui a contribué à l'amélioration du solde pour 10,5 milliards d'euros) et l'anticipation au 1er juillet 2022 de certaines revalorisations (qui n'a bien entendu pas eu d'impact sur le solde de 2023, mais qui a majoré de 7 milliards d'euros les dépenses de 2022, et donc l'évolution du solde entre 2022 et 2023).

Décomposition indicative de l'évolution du solde de la sécurité sociale
entre 2022 et 2023 (Robss + FSV)

(en milliards d'euros)

* Dont 5 milliards d'euros pour la revalorisation anticipée des pensions de retraite.

Un montant positif (bâtons verts) correspond à une amélioration du solde, un montant négatif (bâtons rouges) à une dégradation du solde.

Lecture : En 2023, la diminution des dépenses covid a amélioré le solde de 10,6 milliards d'euros.

Solde effectif : PLFSS 2025. Soldes conjoncturel et structurel calculés par la commission des affaires sociales d'après les estimations du PIB potentiel de la Commission européenne (15 mai 2024). Dépenses covid et Ségur : annexe 3 au PLFSS 2025. Impact de la réforme des retraites : rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale d'octobre 2024. Mesures nouvelles sur les recettes : rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale d'octobre 2024 (mesures hors PLFSS) et annexe 3 au PLFSS 2024 (mesures PLFSS).

Robss : régimes obligatoires de base de sécurité sociale. FSV : Fonds de solidarité vieillesse.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les sources indiquées

Le déficit a été supérieur de 3,7 milliards d'euros par rapport à la LFSS 2024, le supplément de recettes (5,2 milliards d'euros) n'ayant pas compensé le dérapage des dépenses (8,8 milliards d'euros, dont 3,7 milliards d'euros de dépassement de l'Ondam).

Recettes et dépenses de la sécurité sociale en 2023 (Robss + FSV)

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Par rapport aux prévisions de la LFSS 2024, à l'automne 2023, le supplément de déficit, de 2,1 milliards d'euros, provient en quasi-totalité de recettes inférieures de 2,2 milliards d'euros aux prévisions. Cette erreur, particulièrement élevée s'agissant de prévisions de fin d'année pour l'année en cours, s'explique par une surestimation de la masse salariale et une sous-estimation de l'effet de la forte inflation de 2022, et donc de la revalorisation du Smic, sur les allégements de cotisations patronales.

L'exécution 2023 a fait l'objet de développements détaillés dans le rapport4(*) de la rapporteure générale sur le Placss 2023.

b) En 2024, un déficit de la sécurité sociale qui repart fortement à la hausse, du fait d'une forte croissance des dépenses

Selon le PLFSS 2025, le déficit, de 10,8 milliards d'euros en 2023, augmenterait fortement en 2024, pour atteindre 18 milliards d'euros.

Cette forte augmentation du déficit par rapport à 2023 proviendrait essentiellement d'une augmentation des dépenses supérieures de près de 12 milliards d'euros à ce qui découlerait d'une croissance au même taux que le PIB potentiel5(*), qui ne serait que partiellement compensée par l'augmentation des recettes.

Décomposition indicative de l'évolution du solde de la sécurité sociale
entre 2023 et 2024 (Robss+FSV)

(en milliards d'euros)

Un montant positif (bâtons verts) correspond à une amélioration du solde, un montant négatif (bâtons rouges) à une dégradation du solde.

Lecture : En 2024, l'écart de l'évolution spontanée des dépenses par rapport à celle du PIB potentiel a dégradé le solde de 12,7 milliards d'euros.

Solde effectif : PLFSS 2025. Soldes conjoncturel et structurel calculés par la commission des affaires sociales d'après les estimations du PIB potentiel de la Commission européenne (15 mai 2024). Dépenses covid et Ségur : annexe 3 au PLFSS 2025. Impact de la réforme des retraites : rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale d'octobre 2024. Mesures nouvelles sur les recettes : rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale d'octobre 2024 (mesures hors PLFSS) et annexe 3 au PLFSS 2024 (mesures PLFSS).

Robss : régimes obligatoires de base de sécurité sociale. FSV : Fonds de solidarité vieillesse.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les sources indiquées

Toutefois cette forte croissance des dépenses était pour l'essentiel anticipée par la LFSS 2024. Par rapport à la prévision de cette loi, le supplément de déficit, de 7,5 milliards d'euros, viendrait très majoritairement du fait que les recettes seraient inférieures de 6,2 milliards d'euros aux prévisions.

Recettes et dépenses de la sécurité sociale en 2024 (Robss + FSV)

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Ces moindres recettes s'expliquent notamment par la surestimation de l'hypothèse de croissance, de 1,4 % (alors que le consensus des conjoncturistes était de 1 %). Toutefois cela n'aurait réduit les recettes que de 0,4 point, soit environ 2,5 milliards d'euros. Comme dans le cas des prévisions de l'automne 2023 pour l'exercice 2023, la croissance de la masse salariale a été surestimée, suscitant des moins-values pour les cotisations sociales, la CSG et la taxe sur les salaires. À cela s'ajouterait un manque à gagner de 2,2 milliards d'euros dans le cas de la TVA, en raison de la surestimation non seulement de la croissance économique, mais aussi de l'élasticité des recettes de TVA au PIB6(*).

Cet échec de prévision illustre une nouvelle fois la difficulté, dans le contexte économique actuel, à prévoir correctement le montant des recettes.

La révision des prévisions de recettes pour 2024

(en milliards d'euros)

 

2023

2024

Réalisé

PLFSS 2024*

PLFSS 2025

Ecart

Cotisations sociales

291,0

304,2

303,2

- 1,0

Cotisations prises en charge par l'État

6,9

6,8

6,8

0,0

CSG brute

120,7

128,7

127,8

- 0,9

Dont :

       

CSG sur revenus d'activité

80,7

85,8

85,0

- 0,8

CSG sur revenus de remplacement

23,9

25,4

25,8

0,3

CSG sur revenus du capital

15,5

16,8

16,4

- 0,4

CSG sur les jeux

0,6

0,6

0,6

0,0

Contribution employeur

46,3

49,4

49,7

0,3

Impôts, taxes et autres contributions sociales

108,1

113,7

109,9

- 3,8

Dont :

       

TVA nette

48,4

51,6

49,4

- 2,2

Taxe sur les salaires

16,8

18,0

17,5

- 0,5

Tabac

13,6

14,0

13,2

- 0,8

Charges de non-recouvrement

- 1,9

- 1,6

- 1,7

- 0,1

Transferts nets reçus

12,7

12,1

12,2

0,2

Autres produits nets

16,2

17,5

17,5

0,0

Total Robss + FSV

600,0

630,7*

625,3

- 5,3

* La ventilation des prévisions de recettes de la LFSS 2024 n'est pas disponible. Pour mémoire, les recettes totales prévues par le LFSS 2024 étaient de 631,5 milliards d'euros.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les PLFSS 2024 et 2025 (annexe 3)

Dans le cas des dépenses, le dérapage, estimé à 1,4 milliard d'euros par le Gouvernement, correspondrait en quasi-totalité au dépassement de 1,2 milliard d'euros des dépenses entrant dans le champ de l'Ondam (de 254,9 milliards d'euros selon la LFSS 2024 et 256,1 milliards d'euros selon le PLFSS 2025).

Dans le tome I du rapport de la commission sur le PLFSS 2024, la rapporteure générale avait bien identifié la sous-estimation des dépenses, anticipant un dépassement de 1,5 milliard d'euros (du fait d'une croissance de l'Ondam de 3,5 % au lieu de 2,9 %). En revanche, les prévisions de recettes du Gouvernement lui avaient paru vraisemblables, malgré l'optimisme de la prévision de croissance (de 1,4 %, contre 1 % selon le consensus des conjoncturistes et l'hypothèse retenue par la commission pour sa propre projection), du fait d'une hypothèse de croissance spontanée des recettes inférieure à celle du PIB. En particulier, ne disposant pas de données d'exécution récentes, elle n'avait pas remis en cause les prévisions de recettes pour 2023 du PLFSS 2024 (qui se sont révélées surévaluées de 2,2 milliards d'euros), servant de base aux prévisions pour 2024.

c) Au niveau de l'ensemble des administrations de sécurité sociale, un léger déficit en 2024 (pour une prévision d'excédent de 17,3 milliards d'euros)

Le Gouvernement prévoit désormais un déficit des Asso de 0,6 milliard d'euros en 2024.

Capacité de financement des administrations de sécurité sociale
(exécution et présent PLFSS)

NB : Les montants en milliards d'euros, figurant habituellement dans le rapport économique, social et financier (Resf) annexé au projet de loi de finances, figurent cette année dans le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT).

Source : Insee (2013 à 2023), présent PLFSS (prévisions 2024 et 2025 en points de PIB), PSMT (prévisions 2024 et 2025 en milliards d'euros)

À titre de comparaison, la LPFP de décembre 2023 prévoyait un excédent de 17,3 milliards d'euros.

L'écart, de près de 18 milliards d'euros, se répartirait entre environ un tiers pour la sécurité sociale et un tiers pour les régimes complémentaires de retraites, l'excédent de l'Unédic étant en outre inférieur de près de 3 milliards d'euros à la prévision.

Dans le tome I de son rapport sur le PLFSS 2024, la commission avait déploré, outre l'optimisme des prévisions de solde pour la sécurité sociale, « des prévisions elles aussi optimistes dans le cas de l'Unédic et des régimes complémentaires de retraite ».

Déficit des administrations de sécurité sociale en 2024 : prévision et exécution

(en milliards d'euros)

 

2024

 2024

Écart

2025

Resf annexé au PLF 2024

PSMT
de décembre 2024

 

PSMT de
décembre 2024

Asso

17,3

- 0,6

- 17,9

5,6

Recettes 

778,6

775,7

-2,9

800,6

Dépenses 

761,3

776,4

15,1

795

Régime général + Fonds de solidarité vieillesse

- 8,7

- 15,2

- 6,5

- 13,4

Recettes 

530,7

530

-0,7

552,5

Dépenses 

539,4

545,2

5,8

565,9

Unédic

3,7

0,9

- 2,8

3,9

Recettes 

44,9

44,8

- 0,1

45,5

Dépenses 

41,2

43,9

2,7

41,6

Régimes complémentaires

7,4

1,6

- 5,8

1,2

Recettes 

113,3

108,5

- 4,8

111,6

Dépenses 

105,9

106,9

1

110,4

Cades

16,3

16

- 0,3

16

Recettes 

19,6

19,3

- 0,3

19,1

Dépenses 

3,3

3,3

0

3,1

FRR - Fonds de réserve des retraites

- 1,6

- 1,5

0,1

- 0,8

Recettes 

0,7

0,8

0,1

0,8

Dépenses 

2,3

2,3

0

1,7

Organismes divers de sécurité sociale

0,9

- 1

- 1,9

- 0,9

Recettes 

126,4

131

4,6

135,3

Dépenses 

125,5

132

6,5

136,3

Asso : administrations de sécurité sociale. Cades : Caisse d'amortissement de la dette sociale. PSMT : plan budgétaire et structurel à moyen terme. Resf : rapport économique, social et financier.

Source : Commission des affaires sociales, d'après les sources indiquées


* 2 Cour des comptes, La situation financière de la sécurité sociale - un déficit devenu structurel malgré les mesures envisagées pour 2025, communication à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale et à la commission des affaires sociales du Sénat, octobre 2024.

* 3 Cette égalité, qui semble aller de soi, n'est pas toujours respectée. Ainsi, certains « petits régimes » n'ayant pu être pris en compte lors de l'élaboration du Placss 2022, les montants indiqués par le PLFSS 2024 pour l'année 2022 étaient légèrement différents.

* 4 Rapport n° 789 (2022-2023), 28 juin 2023.

* 5 Sur la base de l'estimation de la croissance potentielle par la Commission européenne (mai 2024), de 1,1 % (soit identique à la prévision de croissance effective du Gouvernement) et de la prévision d'augmentation des prix du PIB du Gouvernement, l'augmentation du PIB potentiel en valeur serait de 3,5 % en 2024, contre 5,4 % pour les dépenses de la sécurité sociale.

* 6 Selon le rapport d'octobre 2024 à la commission des comptes de la sécurité sociale, « l'élasticité des recettes de TVA serait de 0,3 en 2024 et de 0,8 en 2025, contre une hypothèse unitaire dans les lois financières pour 2024 : en 2024, la croissance économique a été moins tirée par la consommation des ménages et plus par les exportations ».

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