C. LA SÉCURISATION DES RESSOURCES DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ POUR 2023

1. Un dispositif mis en place en urgence en mars 2020 et prolongé jusqu'en 2022

Dans le contexte de la survenue de l'épidémie de covid-19 et pour prévenir une perturbation majeure des ressources des établissements de santé, le Gouvernement avait prévu à partir de 2020 une « garantie de financement ».

Sur la base de l'habilitation donnée par le Parlement en mars 2020120(*) l'autorisant à prendre « toute mesure dérogeant aux règles de financement de ces établissements », le Gouvernement a mis en oeuvre cette garantie de financement par une ordonnance, complétée de mesures réglementaires prises par arrêté ministériel121(*). Pour 2020, cette garantie a porté sur la période allant du 1er mars au 31 décembre 2020.

Article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020122(*)

« Pendant une période d'au moins trois mois et qui ne peut excéder un an, se terminant au plus tard en 2021, les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique bénéficient, par dérogation aux articles L. 162-22-1, L. 162-22-6 et L. 162-23-1 du code de la sécurité sociale, d'une garantie de financement pour faire face à l'épidémie de covid-19. Le niveau mensuel de cette garantie est déterminé en tenant compte du volume d'activité et des recettes perçues antérieurement par l'établissement, notamment au titre de ses activités.

Pendant la période concernée, lorsque les recettes issues de leur activité sont inférieures au montant du niveau de cette garantie pour une période d'un mois, les établissements bénéficient du versement d'un complément de recettes leur permettant d'atteindre ce niveau.

Les dispositions de droit commun relatives à la tarification des établissements de santé s'appliquent sous réserve, le cas échéant, de l'adaptation des modalités de leur versement et des dispositions du premier alinéa.

Les modalités de détermination du niveau de la garantie, des dates et de sa durée de mise en oeuvre ainsi que les modalités de son versement et de la répartition entre les régimes des sommes versées aux établissements de santé par les régimes obligatoires d'assurance maladie sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. »

Cette garantie permettait d'assurer aux établissements un niveau de ressources correspondant à leur activité pré-crise et de ne pas pénaliser les établissements qui, du fait de déprogrammations nombreuses en raison de la crise épidémique, n'auraient pu avoir de recettes viables assises sur leur activité.

La garantie de financement concernait initialement :

- l'activité MCO (y compris HAD123(*)) des établissements de santé (ex- DG, HProx hors ACE, ex-OQN124(*)) ;

- l'activité de psychiatrie facturée directement à l'assurance maladie par les établissements OQN ;

- l'activité de SSR125(*) facturée directement à l'assurance maladie par les établissements OQN ;

- la dotation modulée à l'activité pour les SSR.

Initialement décidée dans la période de crise, la garantie de financement a ensuite été plusieurs fois prolongée :

- l'ordonnance126(*) du 9 décembre 2020 a supprimé la durée limite d'un an prévue dans l'ordonnance du 25 mars 2020. Cependant, l'extinction de la garantie au plus tard en 2021 demeurait bien inscrite127(*) ;

- alors que le projet de loi de financement pour 2022 ne prévoyait pas de reconduite de la garantie de financement, le Gouvernement a, dans le contexte de la reprise épidémique très forte à la fin de l'année 2021 et au début de l'année 2022, du fait de la reprise de la vague liée au variant Delta et à l'arrivée du variant Omicron, prévu par la loi du 22 janvier 2022 une reconduction de la garantie de financement, une limite étant fixée au 30 juin 2022 ;

- alors que le Gouvernement a prolongé au second semestre 2022 la garantie de financement, le dispositif a été sécurisé juridiquement pour l'année 2022 en prévoyant une prolongation expresse en loi de financement de la sécurité sociale128(*) à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat.

· Sur trois exercices, le dispositif de garantie de financement a mobilisé des montants massifs, particulièrement pour les établissements publics. Après avoir représenté en 2021 2,3 milliards d'euros, la garantie de financement a coûté, tous établissements confondus, 2,5 milliards d'euros en 2022.

2. Un dispositif transformé pour l'exercice 2023 en une sécurisation modulée à l'activité

Lors de l'examen en nouvelle lecture du PLFSS 2023, le Gouvernement a choisi de compléter la prolongation expresse de la garantie de financement pour 2022 par un nouveau dispositif de « sécurisation modulée à l'activité » (SMA) pour l'année 2023. Ce dispositif répond également à une préoccupation du Sénat qui s'interrogeait, au-delà de la seule prolongation pour 2022, de la sécurisation des ressources des établissements dont le niveau d'activité apparaissait encore très fragile.

Aux termes du même article 44, les établissements de santé peuvent bénéficier, « à titre transitoire, d'un mécanisme de soutien de leurs recettes », lequel est « déterminé en tenant notamment compte du volume d'activité et des recettes perçues antérieurement par l'établissement ».

Les paramètres de la sécurisation modulée à l'activité en 2023 sont les suivants :

- base de sécurisation correspondant à 70 % de la garantie de financement de 2022 pour les activités d'hospitalisation, avec l'application de l'effet prix de la campagne 2023 ;

- part de sécurisation indexée sur l'activité, correspondant à 30 % de l'activité valorisée ou facturée.

Le périmètre, le niveau et les modalités de ce soutien ont été précisés par l'arrêté du 3 juin 2023 concernant les activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) et par l'arrêté du 28 décembre 2023 concernant les activités de soins médicaux et de réadaptation (SMR). La psychiatrie et les SMR ont fait l'objet d'arrêts des dispositifs de sécurisation en 2022 puis 2023 du fait des réformes en cours du financement de ces activités.

3. Un dispositif engageant des montants encore substantiels en 2023

· La sécurisation modulée à l'activité représente pour 2023 un coût de l'ordre d'1,4 milliard d'euros.

Ce coût représente l'écart entre les produits de l'assurance maladie des établissements de santé réellement perçus au titre des tarifs et les produits qui auraient été perçus par la seule application de la tarification à l'activité sur l'activité effectivement constatée.

La mobilisation du dispositif est particulièrement inégale selon les catégories d'établissements, comme l'état déjà celle de la garantie de financement au cours des exercices précédents.

Bilan des dispositifs de sécurisation des ressources
des établissements ex-DG depuis 2020

Champ d'activité

Nombre total

Nombre bénéficiant de la SMA

% d'ES à la SMA

Montant de valorisation perçu au-delà de la SMA

Montant complémentaire versé au titre de la SMA

MCO

522

332

64 %

520 millions d'euros

1 197 millions d'euros

HAD

140

44

31 %

76 millions d'euros

17 millions d'euros

Source : Réponses de la DSS à la rapporteure, données Cnam

Note : le dispositif SMA est hors ACE

Bilan des dispositifs de sécurisation des ressources
des établissements ex-OQN depuis 2020

Champ d'activité

% d'ES à la SMA

Montant complémentaire versé au titre de la SMA

MCO

40 %

175 millions d'euros

HAD

19 %

13 millions d'euros

Source : Réponses de la DSS à la rapporteure, données Cnam

Note : le dispositif SMA est hors ACE

Ainsi, selon la fédération hospitalière de France (FHF), en 2023, 69 % des établissements publics MCO bénéficient de la SMA.

Pour ces bénéficiaires, la SMA a permis de préserver 1,02 milliard d'euros de recettes par rapport à un financement assis sur la seule application de la valorisation T2A. En revanche, la fédération souligne que le dispositif est moins protecteur que la garantie de financement, à hauteur de 438 millions d'euros en moins.

Enfin, concernant les centres de lutte contre le cancer (CLCC), Unicancer a indiqué que quatre centres ont bénéficié en 2023 de la sécurisation modulée à l'activité, sur cinq sites. La SMA ne représente ainsi qu'1 % de la valorisation de l'activité pour l'ensemble des CLCC, allant de 1,3 % à 25,9 % sur les sites concernés.

4. Une évolution du recours et des modalités dans le contexte de la réforme du financement des établissements de santé

La loi de financement pour 2024, à son article 49, a porté une réforme du modèle de financement des établissements de santé sur les activités de médecine, chirurgie et obstétrique. Traduisant une promesse du président de la République en janvier 2023, le nouveau modèle proposé entend à terme réduire la part de tarification à l'activité au sein des ressources des établissements.

Si la commission et le Sénat ont soutenu le principe d'un objectif de réduction de la part des ressources liées à l'activité, ils ont émis des réserves substantielles sur le calendrier et les modalités de mise en oeuvre de cette réforme.

· Dans le cadre de cette réforme, le Gouvernement a choisi de prolonger le mécanisme de sécurisation modulée à l'activité jusqu'au 31 décembre 2025129(*) « dans l'attente de l'entrée en vigueur et de la montée en charge du nouveau modèle de financement du champ MCO »130(*).

Cependant, il convient d'anticiper des évolutions possibles des contours du dispositif jusqu'en 2026 avec les modifications progressivement décidées dans les différents secteurs d'activité.

Alors qu'aucune simulation des effets de la réforme ni des besoins d'accompagnement financier n'a été mise à disposition du Parlement, il n'est pas possible à ce stade d'anticiper les montants envisagés au titre de ce dispositif pour l'exercice en cours et pour 2025.

Soulignant que l'ensemble des paramètres n'étaient pas encore déterminés, la commission a notamment insisté sur le besoin d'affiner le champ des activités concernées par des dotations socles. Surtout, la commission a interpelé sur le contexte dans lequel la réforme intervenait, avec une activité dynamique dans les établissements privés mais encore particulièrement fragile dans les établissements publics qui ont difficilement retrouvés les niveaux de 2019.

4. Malgré une sécurisation des ressources, une situation préoccupante

Face à une dégradation continue depuis plusieurs années, la commission marque sa forte préoccupation concernant la situation financière des établissements de santé, particulièrement les établissements publics et privés d'intérêt collectif.

Ainsi, après un déficit des établissements de santé évalué à 415 millions d'euros en 2021 qui s'est creusé à 1,3 milliard d'euros en 2022, la situation s'est encore dégradée en 2023. Le déficit des établissements publics atteindrait 2 milliards d'euros sur l'année, les projections reposant cependant sur un échantillon encore restreint. Cette situation financière constitue pour le comité d'alerte un « point de fuite majeur »131(*) de l'Ondam.

Force est ainsi de constater que si les dispositifs de sécurisation ont mobilisé des montants importants, ils n'ont qu'au mieux limité un décrochage financier profond.

Enfin, il convient de souligner que depuis 2023, la fragilité financière des établissements concerne maintenant également une part non négligeable d'établissements privés lucratifs.


* 120 Article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 121 Arrêté du 6 mai 2020 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie du covid-19.

* 122 Ordonnance n° 2020-309 du 25 mars 2020 relative à la garantie de financement des établissements de santé et aux régimes complémentaires obligatoires de sécurité sociale.

* 123 Hospitalisation à domicile.

* 124 Objectif quantifié national.

* 125 Soins de suite et de réadaptation.

* 126 Ordonnance n° 2020-1553 du 9 décembre 2020 prolongeant, rétablissant ou adaptant diverses dispositions sociales pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 127 Arrêté du 17 août 2021 modifiant l'arrêté du 13 avril 2021 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie du covid-19 pour l'année 2021.

* 128 Article 44 de la LFSS 2023.

* 129 V de l'article 49.

* 130 Étude d'impact du PLFSS 2024.

* 131 Avis du 26 juillet 2024.

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