II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. UN SCHÉMA D'EMPLOI LARGEMENT SOUS-EXÉCUTÉ MALGRÉ UN NIVEAU DE RECRUTEMENT ÉLEVÉ

La LFI prévoyait une hausse des crédits de titre 2 de la mission de 5,6 % par rapport à 2022, soit une augmentation de 1,19 milliard d'euros pour atteindre une prévision totale de 22,42 milliards d'euros. Les dépenses de personnel exécutées s'avèrent quasiment conformes à la programmation initiale et s'établissent à 22,31 milliards d'euros, soit une réduction en exécution de 0,48 %.

Néanmoins, cette situation masque deux évolutions contraires. En effet, alors que le schéma d'emplois a, cette année encore, été largement sous-exécuté (effet « volume » négatif), des dépenses supplémentaires liées au traitement et aux primes des personnels sont venues compenser cette tendance (effet « valeur » positif).

Premièrement, s'agissant du schéma d'emplois, la loi de finances initiale prévoyait une hausse ambitieuse + 1 547 ETP en 2023 (dont + 1 500 sur le périmètre de la LPM 2019-20258(*)). Or, le schéma d'emploi a connu, en exécution, une nette baisse de - 2 515 ETP, soit un écart très significatif par rapport à la prévision, de 4 062 ETP.

En effet, si les recrutements spécialisés prévus par la LPM semblent avoir abouti, le ministère de la Défense a connu d'importantes difficultés dans le recrutement général des sous-officiers et des militaires du rang, dont le ministère craint d'avoir « asséché [le] vivier » avec ses recrutements de 2022. Ainsi, la sous-exécution concerne à titre principal le personnel militaire, et en particulier les sous-officiers (- 2 073 ETP) et les militaires du rang (- 1 843 ETP), tandis que le personnel civil connait une légère hausse de ses effectifs.

Écart à la cible d'emplois par catégorie de personnels en 2023

(en ETP)

 

Personnel militaire

Personnel civil

Officiers

Sous-officiers

Militaires du rang

Volontaires

Cat. A

Cat. B

Cat. C

Ouvriers d'État

- 350

- 2 073

- 1 843

- 57

+ 348

+ 16

- 77

- 26

Total par type de personnel

- 4 323

+ 261

Total

- 4 062

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Ce constat est d'autant plus paradoxal que 2023 a marqué, comme en 2022, un niveau particulièrement élevé de recrutements, avec 27 164 entrées, à un niveau néanmoins inférieur d'environ 2 000 entrées aux objectifs initiaux. Il n'a cependant pas permis de compenser un nombre de sorties d'emplois très élevé, notamment du fait d'une concurrence accrue du secteur privé.

Le rapporteur spécial considère comme préoccupante la dynamique de croissance du nombre de départs du ministère et les difficultés répétées de recrutement, qui produisent un « effet ciseau » de nature à fortement remettre en cause la trajectoire du schéma d'emplois prévue par les LPM. 

Si les sous-exécutions massives des schémas d'emplois observées dans la période récente ne sont pas de nature à rassurer à cet égard, le schéma d'emploi prévu pour 2024 interroge également. La LPM 2024-2030 prévoyait en effet une augmentation nette des effectifs de 6 300 équivalents temps-plein (ETP) sur la période de programmation, dont 700 ETP au titre de 2024. Or, face aux importantes tensions sur les recrutements, le schéma d'emploi prévu en 2024 s'élève à 400 ETP, ce qui correspond à une révision à la baisse de la cible de plus de 40 % dès la première année, alors même que le projet de loi de finances pour 2024 a été déposé à peine deux mois après l'adoption de la LPM. Il convient au demeurant de constater que la trajectoire d'effectifs fait régulièrement l'objet d'un « rebasage », comme dans le cadre de la LFI pour 2023 et de la LPM 2024-2030, ce qui consiste concrètement à renoncer à rattraper le retard cumulé pris sur les schémas d'emplois annuels successifs.

Deuxièmement, en 2023, si la non-réalisation complète du schéma d'emplois a dégagé des marges de manoeuvre budgétaires, celles-ci ont été consommées par une hausse du niveau de masse salariale par agent. En effet, l'exercice 2023 a été marqué par les conséquences financières non-prévues de la revalorisation de 1,5 % du point d'indice des fonctionnaires (+ 79,4 millions d'euros), de la garantie individuelle de pouvoir d'achat (+ 17,9 millions d'euros), des indemnités versées aux militaires déployés sur le flanc oriental de l'OTAN en Europe (+ 74,7 millions d'euros), des revalorisations du SMIC (+ 46,8 millions d'euros), ou encore de la montée en puissance de la réserve opérationnelle. S'y ajoutent des mesures catégorielles diverses, notamment dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM).

Si le rapporteur spécial comprend l'intérêt - et parfois la nécessité - des hausses de rémunération, notamment dans un objectif de fidélisation des personnels, il constate également que le financement de primes et mesures catégorielles par la mobilisation de crédits libérés par une réalisation incomplète du schéma d'emplois tend à renchérir d'autant la hausse prévue à venir des effectifs. À l'image de ce qui est constaté sur d'autres missions budgétaires, ainsi que l'a souligné le rapporteur Bruno Belin sur la mission « Sécurités »9(*), cette tendance comporte également le risque, si le schéma d'emploi était finalement respecté à l'avenir, d'un effet d'éviction des dépenses de personnel sur d'autres dépenses, en particulier d'investissement ou de fonctionnement.


* 8 L'écart de 47 ETP est lié à la hausse prévue de 45 ETP pour le service industriel de l'aéronautique (SIAé) et de 2 ETP pour le délégué ministériel de l'encadrement supérieur, services non intégrés dans le périmètre de la trajectoire des effectifs prévue par la LPM 2019-2025.

* 9 Notamment à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 : Rapport général n° 128 (2023-2024), tome III, annexe 29 sur la mission « Sécurités » de M. Bruno BELIN, déposé le 23 novembre 2023.

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