II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LES CRÉDITS RELATIFS AU LOGEMENT ET À L'URBANISME

Les programmes suivis par le rapporteur spécial en charge des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme sont les programmes 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 147 » Politique de la ville ».

A. SUR LE PROGRAMME 177, LE PARC D'HÉBERGEMENT ATTEINT EN 2023 UN NOMBRE DE PLACES RECORD

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » porte la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Elle se compose de trois actions dont les crédits sont très inégaux. S'agissant pour l'essentiel de dépenses d'intervention, versés notamment aux acteurs du secteur de l'hébergement et de l'insertion, les crédits sont pratiquement égaux en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

L'action 11 « Prévention de l'exclusion » (36,7 millions d'euros en crédits de paiement) finance une aide au logement temporaire (dite « ALT 2 ») servie aux gestionnaires des aires d'accueil des gens du voyage et des actions en faveur de la résorption des bidonvilles et de la prévention des expulsions locatives, ainsi que des subventions à des associations en faveur des gens du voyage.

L'action 12 « Hébergement et logement adapté » (3,0 milliards d'euros, soit 98 % des crédits de paiement du programme) comprend les politiques de veille sociale, d'hébergement d'urgence et de logement adapté.

L'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » (19,3 millions d'euros en crédits de paiement) finance des actions de pilotage du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion (AHI), ainsi qu'un soutien aux fédérations locales des centres sociaux.

Les crédits consommés en 2023 sont au total de 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et autant en crédits de paiement. En crédits de paiement, ils sont en hausse de 225,9 millions d'euros, soit 7,9 %, par rapport à la prévision en loi de finances initiale et croissent de 221,1 millions d'euros, soit 7,7 %, par rapport aux crédits consommés en 2022.

La hausse importante des crédits entre 2019 et 2021 - de 2,1 milliards d'euros à 2,9 milliards d'euros - semble ainsi se stabiliser en tendance.

Évolution des crédits par action du programme 177

(en millions d'euros et en %)

   

2022

2023

Exécution / prévision 2023

Exécution

2023 / 2022

Exécution

LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

11 - Prévention de l'exclusion

AE

49,9

31,8

37,3

+ 5,5

+ 17,4 %

- 12,6

- 25,2 %

CP

49,5

31,8

36,7

+ 4,9

+ 15,5 %

- 12,8

- 25,9 %

12 - Hébergement et logement adapté

AE

2 903,9

2 785,7

3 011,5

+ 225,8

+ 8,1 %

+ 107,6

+ 3,7 %

CP

2 811,6

2 810,4

3 020,4

+ 210,0

+ 7,5 %

+ 208,9

+ 7,4 %

14 - Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale

AE

22,6

8,4

20,0

+ 11,6

+ 138,8 %

- 2,6

- 11,7 %

CP

24,3

8,4

19,3

+ 11,0

+ 130,8 %

- 5,0

- 20,4 %

Total programme

AE

2 976,4

2 825,8

3 068,7

+ 242,9

+ 8,6 %

+ 92,3

+ 3,1 %

CP

2 885,4

2 850,6

3 076,5

+ 225,9

+ 7,9 %

+ 191,1

+ 6,6 %

Note : LFI : loi de finances initiale. La budgétisation inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement ou de résultats de la gestion inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Comme les années précédentes, le programme a fait l'objet d'ouvertures de crédits importantes en cours de gestion.

D'une part, les débats lors de l'adoption de la loi de finances initiale ont permis d'accroître les crédits ouverts de 70,2 millions d'euros avec un double objectif : absorber la hausse du point d'indice des travailleurs sociaux en lien avec les accords du Ségur et accroître le nombre de places en hébergements d'urgence.

D'autre part, la loi de finances de fin de gestion4(*) a ouvert des crédits de 218 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement afin de pallier la sous-budgétisation du programme.

1. L'exécution du programme 177 est à la hausse, en lien avec l'atteinte d'un record dans le nombre de places ouvertes pour l'hébergement d'urgence

Après l'atteinte d'un nombre de plus de 200 000 places d'hébergement d'urgence en 2022, la Cour des comptes relève que ce nombre a encore augmenté en 2023 pour atteindre un record de 203 000.

Ainsi, après une forte augmentation des crédits de la ligne « hébergement d'urgence » en lien avec la crise sanitaire - la consommation de crédits est passée de moins de 900 millions d'euros en 2019 à 1 500 millions d'euros en 2021 -, la décrue entamée en 2022 ne se confirme pas en 2023. À l'inverse, l'inflation forte et la précarité induite ont favorisé la croissance de la demande.

Le budget du logement adapté, qui a également augmenté de plus de moitié entre 2019 et 2022 en lien avec la mise en oeuvre d'une politique désignée comme prioritaire pendant le quinquennat 2017-2022, continue à croître, dans le cadre du deuxième plan Logement d'abord. Le logement adapté devient ainsi la brique budgétaire qui a connu le taux de croissance le plus élevé (+ 104,4 %) entre 2017 et 2023. En 2023, 570,3 millions d'euros y ont été consommés.

Évolution des crédits des principaux dispositifs du programme 177

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des rapports annuels de performances)

S'agissant des crédits destinés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), l'augmentation constatée en 2022 (+ 60,6 millions d'euros) se poursuit en 2023 (+ 60,1 millions d'euros). Elle intègre la compensation des employeurs par l'État du coût du « Ségur social » ainsi que le coût d'ouverture de places en CHRS.

2. La politique d'accueil des réfugiés ukrainiens, pérennisée en 2023, doit mener à une budgétisation plus lisible.

La France a accueilli près de 115 000 personnes déplacées d'Ukraine depuis le déclenchement de la guerre en février 2022, dont 29 000 ont bénéficié d'un logement au cours de l'année 2023. Si près d'un tiers de ces réfugiés sont hébergés au domicile de particuliers avec l'appui de l'État via l'association « hébergement citoyen », les autres occupent 9 000 logements mis à disposition par le Gouvernement.

Sur le plan budgétaire, l'accueil des réfugiés d'Ukraine a représenté un coût de 61,7 millions d'euros sur l'action 12 « Hébergement et logement adapté » et de 3,7 millions d'euros sur l'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » du programme 177, soit un total de 65,4 millions d'euros.

Ce coût concerne moins l'hébergement proprement dit, pris en charge dans la plupart des cas par des dispositifs relevant du ministère de l'intérieur5(*), que des actions d'accès au logement mises en oeuvre par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) : intermédiation locative, accompagnement social, y compris des réfugiés en hébergement citoyen, financement d'opérations de logements en modulaire, mesures de soutien aux ménages accueillants et recrutements de chargés de mission au sein des opérateurs associatifs.

L'absence d'ouverture de crédits en loi de finances pour 2023, qui a soulevé un certain nombre de difficultés pour les associations qui manquaient de visibilité, a été partiellement comblé par le report de 51,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 54,2 millions d'euros en crédits de paiement non consommés en 2022. Néanmoins, il a été nécessaire d'ouvrir en loi de finances de fin de gestion 55,7 millions d'euros pour assurer la pérennité des actions.

Pour l'année 2024, la loi de finances initiale ne prévoit pas de crédits spécifiques à l'hébergement des Ukrainiens. Ainsi, la DIHAL a sollicité le report sur 2024 de 25 millions d'euros non consommés en 2023.

Ces pratiques de budgétisation peu planifiées ne sont pas satisfaisantes : l'inscription en loi de finances de crédits réalistes et l'annulation de ceux non consommés serait le gage d'une meilleure visibilité pour les associations. Ceci devrait avoir lieu d'autant plus que le conflit en Ukraine s'ancre dans le temps.

3. La mise en place du deuxième plan quinquennal « un logement d'abord » permet plusieurs évolutions favorables, malgré les limites persistantes de cette politique

Face à l'accroissement important du nombre de personnes sans domicile en France - passé de 141 500 en 2012 à près de 330 000 en 20246(*)-, le Gouvernement a mis en place le plan « un logement d'abord » en 2018. Sa première mouture, arrivée à échéance en 2022, a été remplacée en juin 2023 par un nouveau plan quinquennal.

Les quatre premières années de cette politique ont permis d'accroître de 118 % le nombre de places d'intermédiation locative et de 48 % les places en pensions de famille. Le second plan cherche à poursuivre dans cette voie, en visant l'ouverture de 30 000 places en intermédiation locative, 10 000 en pension de famille et l'agrément de 20 000 logements en résidences sociales généralistes et en foyers de jeunes travailleurs.

Pour l'année 2023, plusieurs évolutions favorables peuvent ainsi être relevées : le nombre de places en logements adaptés a cru de 7 960, soit une croissance de 5,5 %, dont 1 130 places nouvelles en pensions de famille, ce qui représente 71 % de l'objectif annuel. De même, on compte 6 700 nouvelles places en intermédiation locative, soit 112 % de l'objectif annuel.

En outre, ce plan permet de poursuivre la réduction du nombre de nuitées en hébergement d'urgence en hôtel (- 8,1 % par rapport à 2022), en échange d'un accroissement des places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Le nombre de ces dernières augmente de 4 % en 2023 par rapport à 2022. Ceci est gage d'un accompagnement plus efficace vers un retour au logement.

Composition du parc d'hébergement
au 31 décembre 2023

(en nombre de places)

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances 2023

Alors que le projet de loi de finances pour 2023 cherchait à limiter à 190 000 le nombre de places en hébergement, un record historique de 203 000 places ouvertes en cours de gestion a même été atteint, sans empêcher néanmoins que le taux de réponses positives du service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) ne diminue par rapport à 2022. Ce service, qui a connu un début de refonte en 2021 sous l'égide de la DIHAL, est le système central qui permet le placement des personnes vulnérables qui ont besoin d'un logement. Le tassement du taux de réponses positives - passé de 66 % à 54 %, s'explique par un accroissement de la demande liée aux flux migratoires et au contexte inflationniste qui accentue la crise du logement.

Dans ce contexte de demande accrue et de difficulté à répondre positivement aux besoins, le Gouvernement échoue à résorber la taille du parc, ce qui empêche l'amélioration du pilotage budgétaire de cette brique.

Les acteurs associatifs sont en particulier affectés par le retard des annonces d'ouverture de crédits par le Gouvernement, qui limite leur capacité à se projeter à long-terme, par exemple pour recruter des personnels ou conclure des marchés. En effet, le nouveau plan « un logement d'abord » n'a été présenté qu'en juin 2023 et l'augmentation des crédits pourrait n'avoir que peu d'effets compte tenu de l'inflation qui demeure soutenue ; enfin, les objectifs chiffrés de ce nouveau plan ne semblent pas financés.

Or la situation risque de ne pas s'améliorer en 2024 : alors que le ministre chargé du logement a annoncé l'ouverture de 120 millions d'euros supplémentaires pour l'hébergement d'urgence le 8 janvier dernier, remettant en cause un budget qui venait à peine d'être promulgué, cette annonce n'a toujours pas été traduite dans les faits par un décret d'avance ou une loi de finances rectificative, alors même que la commission des finances a identifié un manque de crédits supérieur à 250 millions d'euros sur le programme 1777(*). Une telle situation est très problématique, car elle pourrait mettre les associations en charge des actions dans une situation de trésorerie très difficile en fin d'année, dans l'attente d'une probable ouverture de crédits en loi de fin de gestion, en contradiction avec les intentions affichées ces dernières années par le Gouvernement d'une meilleure gestion budgétaire des crédits du programme 177.

Dans ces conditions, comme il le fera pour les autres aspects de la politique du logement8(*), le rapporteur ne peut que constater que le nouveau Gouvernement issu des élections du printemps 2022 n'a pas su définir des moyens adéquats pour répondre aux besoins d'hébergement et de logement adapté.


* 4 LOI n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023.

* 5 Le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration » a consommé en crédits de paiement 326 millions d'euros en 2023.

* 6 Estimation Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel 2024. La Cour des comptes, dans le Rapport annuel 2021, retenait une estimation de 300 000 personnes sans domicile.

* 7 Voir Dégradation des finances publiques : entre pari et déni, rapport d'information n° 685 (2023--2024), présenté par Jean-François Husson, rapporteur au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 12 juin 2024.

* 8 Voir infra l'analyse de l'exécution des programmes 109, 135 et 147.

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