B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une réforme des aides à la presse lancée en 2023 dans l'attente des États généraux de l'information

L'action n° 2 du programme 180 recense trois types d'aides à la presse : les aides à la diffusion, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation du secteur. Le montant total des aides à la presse devait atteindre 197,5 millions d'euros en AE et 196,5 millions en CP en 2023 selon les prévisions en LFI. Il s'élèvera finalement en exécution à 225 millions d'euros en AE et 216 millions d'euros en CP, auxquels s'ajoutent en gestion une contribution de 8 millions d'euros au titre des restes à payer du plan de relance.

Cette surconsommation était malheureusement prévisible. Le rapporteur spécial avait noté dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2023 que les crédits prévus avaient été manifestement sous-évalués, le ministère de la culture annonçant une régularisation en fin d'exercice. La réforme des aides à la distribution, intervenue en projet de loi de finances pour 2022, a finalement été mise en place à partir du 1er janvier 2023. Celle-ci a débouché sur la mise en oeuvre d'une nouvelle aide à l'exemplaire à double barème : l'un concernant les exemplaires postés et l'autre pour les exemplaires portés.

Le volet dédié aux exemplaires postés est destiné aux éditeurs des publications d'information politique et générale (IPG) et quotidiens à faibles ressources publicitaires ou à faibles ressources de petites annonces (QFRP/QFRA), d'une périodicité au maximum hebdomadaire. Cette aide, prenant pour assiette les volumes enregistrés au cours du mois précédent, n'a effectivement été payée que sur 11 mois (premier paiement en février au titre des volumes de janvier et dernier paiement en décembre au titre des volumes de novembre). Les volumes de décembre 2023 seront pris en compte en 2024.

73,75 millions d'euros ont été versés à La Poste au titre de l'aide à l'exemplaire pour les titres de presse postés en 2023, soit plus de 10 millions d'euros par rapport à 2022 (62,3 millions d'euros).

Afin d'encourager le portage, le montant de l'aide à l'exemplaire devrait diminuer à compter du 1er janvier 2024, sauf pour les exemplaires distribués dans les communes situées dans les zones dites peu denses.

Le second volet vise les titres portés par un réseau ou par une composante d'un réseau ayant conclu une convention-cadre avec la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture et qui seront donc éligibles au dispositif. Un montant incitatif est mis en place pour les publications IPG hebdomadaires afin de les inciter à recourir à ce dispositif. La dotation allouée à l'aide à l'exemplaire pour les titres de presse portés a été majorée en 2023 de 8,6 millions d'euros par rapport à 2022 et atteint ainsi 35,1 millions d'euros. Cette hausse est légèrement inférieure à celle anticipée en LFI, dans la mesure où les crédits prévus en LFI 2023 étaient supposés être supérieurs de 12,6 millions d'euros (AE=CP) à ceux de l'année précédente.

L'exécution 2023 s'effectue dans un contexte de crise durable du secteur de la presse écrite. Les difficultés structurelles du secteur, dans un contexte de concurrence avec d'autres modes d'information, font l'objet de multiples analyses. Le chiffre d'affaires global du secteur a reculé de 6 % entre 2019 et 2022, et cette tendance est amenée à durer. En particulier, la diminution des recettes publicitaires (- 2,8 % depuis 2019) interroge notamment sur la capacité du secteur à mobiliser des ressources propres.

À ce constat structurel s'ajoute les hausses conjoncturelles découlant de l'actualité internationale d'une part et de l'inflation, en particulier du coût du papier, d'autre part. En 2022, la presse a connu une très forte hausse du prix du papier qui se traduit par un poids croissant de ce poste de dépenses dans la structure des coûts de production.

Pour y faire face, il a été mis en place en 2023 une aide exceptionnelle d'un montant de 30 millions d'euros à destination des entreprises de presse particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine, en raison de la hausse de certains coûts de production des publications imprimées1(*). Cette dotation supplémentaire a bénéficié à 506 publications pour un montant moyen de 58 500 euros.

Au-delà du soutien à la presse, une des questions centrales est celle de la réforme des aides à la diffusion dans un contexte de très forte tension sur la filière. En effet, la diffusion par abonnement connaît une forte diminution : - 7,3 % en 2022 par rapport à 2021 et - 19,3 % par rapport à 2019 pour la presse quotidienne nationale d'une part, et 5,8 % et - 12,6 % pour la presse quotidienne régionale.

Celle-ci n'atteint toutefois pas le rythme de la vente au numéro, qui a diminué pour l'ensemble de la presse de respectivement - 8,4 % par rapport à 2021 et - 31,1 % par rapport à 2019. Pour la seule presse quotidienne, les chiffres sont vertigineux : les ventes de la presse quotidienne nationale ont diminué de - 7,7 % entre 2021 et 2022 et de - 53,5 % entre 2019 et 2022 et celles de la presse quotidienne régionale de respectivement - 8,8 % et - 27,6 %.

Ventes au numéro en France

(en millions d'exemplaires et en %)

Source : commission des finances

La corrélation entre la nature actuelle des aides et leurs modalités d'attribution, d'un côté, et les défis posés en termes industriels par la mutation de l'accès à l'information et les conséquences de celle-ci sur la vie de titres de presse, de l'autre, doivent servir de points cardinaux à une réforme d'ampleur du régime d'aides. Il est indispensable que les États généraux de l'information actuellement en cours débouchent sur des propositions concrètes sur ce point.

Des pistes à explorer pour l'indispensable réforme
des aides à la distribution

Les conclusions du rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur la distribution de la presse imprimée2(*) ont été publiées fin 2023. La mission projette ainsi une baisse de la vente au numéro de 62 % à horizon 2030.

La mission a pu établir que les acteurs du système de distribution présentaient des fragilités, avec des modèles économiques en souffrance, exacerbées par le contexte baissier des ventes : France Messagerie mais aussi les acteurs intermédiaires de distribution. Dans ce contexte, une hausse des coûts unitaires de distribution est probable dans les prochaines années, ce qui pourrait conduire les éditeurs à limiter leur assiette de distribution, accélérant ainsi la baisse des ventes : la mission identifie ainsi un risque majeur de spirale de destruction de valeur.

Face à ces perspectives, la mission propose quatre scénarios d'évolution du système de distribution de la presse quotidienne nationale au numéro et de son accompagnement par la puissance publique. Les deux premiers se distinguent par le caractère tranché des considérations sur l'avenir et l'intérêt de la vente au numéro. Les deux suivants sont davantage incrémentaux. Deux d'entre eux ont un impact direct sur le modèle de financement pris en charge par le biais du programme 180.

Deux scénarios impliquent spécifiquement de moduler l'aide à France Messagerie. Le premier scénario consiste en un retrait progressif de la subvention de 9 millions d'euros allouée à France Messagerie en maintenant l'aide aux éditeurs de 18 millions d'euros, par lequel l'État pourrait accompagner l'évolution du modèle économique de la presse quotidienne nationale. Le troisième scénario consiste à déployer une optimisation ambitieuse des conditions de fonctionnement et de financement de la diffusion, en s'appuyant sur la double action de la péréquation et de l'aide à la distribution et sur la remontée de la subvention de 9 millions d'euros touchée par France Messagerie dans les comptes d'exploitation des éditeurs de presse.

Il est nécessaire de s'appuyer rapidement sur ces constats et ces propositions pour mettre en place une réforme ambitieuse des aides à la diffusion.

Source : commission des finances d'après l'IGF-IGAC

2. Une solution de financement votée fin 2023 pour le Centre national de la musique

Le rapporteur spécial avait exprimé, à l'occasion de l'examen des crédits du Centre national de la musique en projet de loi de finances pour 2023, une certaine inquiétude quant à son modèle de financement.

Mis en place le 1er janvier 2020, avec pour ambition de devenir l'équivalent, dans le domaine de la musique, du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le Centre national de la musique (CNM) disposait en 2023 de trois sources de financement :

- le produit de la taxe sur les spectacles de musiques actuelles et de variétés ;

- la dotation budgétaire anciennement accordée au centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) dont il a pris la suite, à laquelle s'ajoutent les crédits budgétaires initialement dédiés au Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA), au fonds pour la création musicale (FCM), au club action des labels et disquaires indépendants (CALIF) ou au Bureau export de la musique ;

- une contribution volontaire des organismes de gestion collective, reprenant celle versée autrefois aux structures fusionnées au sein du CNM.

La crise sanitaire et la fermeture des salles de spectacle ont remis en question le rendement de la taxe sur les spectacles quand l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne sur les droits voisins du 8 septembre 2020 a fragilisé la capacité contributive des organismes de gestion agréés (OGC)3(*).

À l'inverse le CNM a bénéficié d'une montée en charge de sa dotation budgétaire, établie en 2023 à 27,7 millions d'euros (AE = CP). Il a également largement bénéficié des crédits du Plan de relance (175 millions d'euros en 2021 et 30 millions d'euros en 2022 en AE=CP dont 10 millions d'euros d'appui budgétaire). Ces crédits supplémentaires ont permis au CNM d'aider l'ensemble du secteur, sans être affaiblis par la baisse du produit de la taxe sur les spectacles et de la contribution des OGC.

Le rapporteur spécial avait relayé lors de l'examen des crédits de la mission à l'occasion du projet de loi de finances pour 2023 les incertitudes sur le financement au-delà de l'exercice 2022, dans un contexte de montée en puissance du CNM et d'augmentation continue des crédits d'impôts gérés par le CNM.

Évolution de la dépense fiscale afférente aux crédits d'impôts
supervisés par le Centre national de la musique

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le schéma de financement initialement envisagé pour le CNM en 2023 n'aboutissait qu'à un budget total d'environ 67 millions d'euros, permettant, une fois déduits les frais de fonctionnement et les aides automatiques, d'accorder entre 25 et 30 millions d'euros d'aides sélectives, ce qui représentait un montant largement en deçà des aides annuellement accordées par le CNM depuis sa création et des besoins de la filière musicale, que le CNM estimait à environ 60 millions d'euros.

Pour répondre à cette difficulté, le Sénat a donc adopté lors du vote du projet de loi de finances pour 2024 un amendement visant à adopter le principe d'une taxe sur les plateformes de streaming musical, retenu dans le texte final4(*). La taxation de la musique enregistrée constituait une mesure d'équité face au secteur du spectacle vivant, lequel finançait le CNM par le biais de la taxe sur les spectacles. Il y a lieu de se féliciter de cette solution, qui constitue une issue durable aux difficultés de financement du centre.

3. Un poids important des crédits exceptionnels dont l'utilisation doit alerter

Depuis le premier programme d'investissement d'avenir (PIA) jusqu'au plan France 2030, la part des crédits dits « exceptionnels » dédiés au secteur de la culture n'a cessé d'augmenter, jusqu'à atteindre plus de 3 milliards d'euros cumulés au cours des cinq dernières années. Le financement d'un certain nombre de dispositifs relevant de la mission « Médias, livres et industrie culturelles » s'effectue par des crédits relevant du plan France 2030. Parmi eux, la « Grande fabrique de l'image » bénéficie de 350 millions d'euros de crédits.

Afin de disposer d'une meilleure visibilité sur ces financements, la commission des finances avait confié au nom de la commission des finances la réalisation d'une enquête à la Cour des comptes au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances5(*). Le panorama qui ressort de ces travaux doit impérativement conduire à une réflexion sur l'usage qui a été fait de ces financements publics : lacunes dans le pilotage et l'évaluation malgré l'importance des moyens consacrés ; absence de lisibilité des dispositifs ; faiblesse du rôle de contrôle laissé au Parlement ; liens avec les filières culturelles parfois limités.

La stratification des programmes et des actions, ainsi que la multiplicité des objectifs, certains gérés directement par le ministère de la Culture ou le SGPI, d'autres confiée à des opérateurs, rendent extrêmement complexe l'établissement d'un panorama global de ces crédits, en dépit de l'importance des montants.

Une partie des crédits du plan de relance devait faire l'objet d'un remboursement par l'Union européenne (UE). Ce montant, initialement conséquent (702 millions d'euros, soit près de 4/5e du volet « Culture » du plan) a été fortement diminué du fait du retrait des plans de filières « Presse », « Livre » et « Cinéma » de la demande de remboursement auprès de l'UE. Le montant maximal potentiellement remboursé à la France ne serait donc désormais que de 393 millions d'euros.

Si le plan de relance a bénéficié à l'ensemble des industries culturelles, la Cour des comptes relève également que les plans d'investissement ont été massivement orientés vers quelques filières : « le cinéma, l'audiovisuel, l'image animée ou le numérique sont clairement privilégiés » car celles-ci étaient davantage « proactives ». L'exemple le plus frappant est l'appel à projet « la grande fabrique de l'image » dont l'angle phare est l'aménagement ou la modernisation d'une dizaine de grands studios de tournage, se voulant compétitifs avec les plus grands studios internationaux (153 000 m² de plateaux de tournage et 187 000 m² de décors extérieurs permanents devant être construits d'après le ministère). Si ce programme représente selon la Cour des comptes un « “passage à l'échelle" significatif », il est cependant possible de s'interroger sur le dimensionnement du projet au regard du volume actuel des tournages sur le territoire français. En outre, la Cour note que « bien que le CNC ait indiqué dans sa réponse à la Cour que l'appel à projets ne s'adressait pas à des projets reposant à plus de 30 % sur une subvention de France 2030, 27 projets [sur 68] ne respectent pas cette condition », ce qui doit interroger sur la viabilité à terme de certains d'entre eux.


* 1 Décret n° 2023-331 du 3 mai 2023.

* 2 La distribution de la presse imprimée, IGF-IGAC, octobre 2023.

* 3 Arrêt CJUE 8 septembre 2020 affaire C-265/19Recorded Artists Actors Performers Ltd/Phonographic Performance (Ireland) Ltd e.a.

* 4 Article 53 de la loi de finances pour 2024, devenu l'article 1609 sexdecies C du code général des impôts.

* 5 Les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives : des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant - 2017-2023.

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