F. UN PROGRAMME 345 « SERVICE PUBLIC DE L'ÉNERGIE » PROFONDÉMENT AFFECTÉ PAR LA CRISE DES PRIX DE L'ÉNERGIE

En 2023, les crédits consommés, en AE et en CP, se sont élevés à 20,2 milliards d'euros, en hausse de 67 % par rapport à 2022 en raison du coût des mesures de soutien exceptionnelles mises en oeuvre pour atténuer les effets de la crise des prix de l'énergie qui s'est déclenchée à l'automne 2021. Ainsi, en 2023, 75 % des crédits consommés sur le programme 345 l'ont été pour financer le coût net de ces dispositifs d'aides aux consommateurs d'énergie.

La crise des prix de l'énergie a profondément affecté le mécanisme de compensation des charges de service public de l'énergie (CSPE) suivi sur le programme 345. Aussi, en 202314(*), en raison de l'augmentation inédite des prix de l'électricité sur les marchés de gros, le fonctionnement habituel des mécanismes de soutien à la production d'énergie renouvelable (EnR) s'est inversé pour constituer des prélèvements sur les revenus exceptionnels perçus par les producteurs. Les compensations habituellement versées par l'État aux installations de production se sont ainsi en partie muées en recettes publiques exceptionnelles.

La délibération de « réévaluation » des CSPE pour 2023 publiée au début du mois de novembre 2022 par la CRE15(*) anticipait un phénomène d'une ampleur considérable puisque, hors dispositifs de soutien exceptionnels, le régulateur évaluait les CSPE pour 2023 à un montant négatif de 35,7 milliards d'euros. Toutefois, la baisse plus rapide qu'anticipée des prix de l'énergie en 2023 a conduit à très nettement réviser à la baisse ces recettes exceptionnelles. Aussi, dans sa délibération du 13 juillet 202316(*) modifiée par une délibération datée du 21 septembre 202317(*), la CRE avait-elle réévalué les CSPE à compenser en 2023 à un montant négatif de « seulement » 10,7 milliards d'euros, soit une diminution de 25 milliards d'euros par rapport à l'estimation réalisée à la fin de l'année 2022. In fine, le traitement individuel de la situation de chaque producteur a conduit le ministère de la transition énergétique à constater des recettes exceptionnelles à hauteur de 11,5 milliards d'euros au cours de l'exercice 2023. Dans la mesure où le financement des mesures de soutien exceptionnelles aux consommateurs a été intégré au dispositif de compensation des charges de service public de l'énergie, ces recettes exceptionnelles ont été affectées en déduction du coût brut de ces mesures d'aides. C'est pourquoi, au sein du programme 345, les crédits consacrés au financement de ces dispositifs n'apparaissent qu'à hauteur de leur coût net.

Exécution des crédits votés du programme 345 
« Service public de l'énergie » en 2023 (CP)

(en millions d'euros)

 

2022

(exécuté)

2023

(LFI)

2023

(exécuté)

Exécution 2023 / exécution 2022

(en %)

Exécution 2023
/ LFI 2023

(en %)

09- Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole

4 371,4

0,0

1 375,9

- 68,5 %

+ 100 %

10- Soutien à l'injection de biométhane

518,1

34,3

44,2

- 91,5 %

+ 28,9 %

11- Soutien dans les zones non interconnectées (ZNI) au réseau métropolitain

1 851,7

2 478,1

3 166,1

+ 71,0 %

+ 27,8 %

12- Soutien à la cogénération au gaz naturel et autres moyens thermiques

564,0

376,7

214,1

- 62,0 %

- 43,2 %

13- Soutien aux effacements de consommation

46,7

72,0

63,0

+ 34,9 %

- 12,5 %

14- Dispositions sociales pour les consommateurs en situation de précarité

105,7

43,9

51,0

- 51,8 %

+ 16,2 %

15- Frais divers

60,9

73,3

87,7

+ 44,0 %

+ 19,6 %

17- Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs

4 620,8

17 921,6

15 169,1

+ 287,8 %

- 15,4 %

18- Soutien hydrogène

-

0,0

0,0

-

-

Total programme

12 138,8

21 000,0

20 170,2

+ 66,2 %

- 4,0 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

La consommation de crédits sur l'action 09 « Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole » s'est élevée à 1,4 milliard d'euros en 2023 alors que la LFI n'avait pas prévu de crédits pour cette action. En 2023, la consommation des crédits alloués au dispositif de soutien à l'injection de biométhane (action 10 « Soutien à l'injection de biométhane ») s'est quant à elle établie à 43 millions d'euros. Le coût des dispositifs de soutien destinés aux zones non interconnectées (ZNI)18(*) a augmenté en 2023 pour atteindre 3,2 milliards d'euros. En 2023, les montants de CSPE affectés à la cogénération (action 12 « Soutien à la cogénération au gaz naturel et autres moyens thermiques ») se sont établis à 214 millions d'euros.

Au cours de l'exercice 2023, la grande majorité des crédits consommés sur le programme 345 ont servi à financer les dispositifs de soutien exceptionnels mis en oeuvre dans le cadre de la crise des prix de l'énergie. Ces crédits sont retracés au sein de l'action 17 « Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs ». En 2023, sur cette action, 9,9 milliards d'euros ont ainsi été dépensés au titre des mesures prises pour soutenir les consommateurs d'électricité et 5,3 milliards d'euros pour celles relatives au gaz. Ces montants correspondent au solde net du coût réel de ces mesures, c'est-à-dire, après déduction des charges négatives dues par les producteurs d'électricité à base d'énergie renouvelables (voir supra).

Ainsi, à la fin de l'année 2023, le coût brut des mesures de soutien était-il évalué à 26,7 milliards d'euros. Les 11,5 milliards d'euros de recettes exceptionnelles perçues des producteurs d'électricité en 2023 expliquent le montant de 15,2 milliards d'euros de crédits du programme 345 consacrés au cours de cet exercice au titre des dispositifs d'aide exceptionnels des consommateurs d'énergie. En effet, selon le fonctionnement du mécanisme des compensation de CSPE, les charges négatives dues par des opérateurs qui, dans le même temps, devaient bénéficier d'une compensation du programme 345 d'un montant supérieur du fait de leur contribution, en tant que fournisseur d'énergie, aux dispositifs de soutien exceptionnels (10,2 milliards d'euros), ont été déduites des versements mensuels qui leur étaient dus. S'agissant des recettes exceptionnelles provenant des opérateurs qui étaient en situation de charges négatives nettes, c'est-à-dire les producteurs d'électricité redevables à l'État de primes négatives sans qu'ils ne bénéficient par ailleurs de compensations au titre des mécanismes d'aide exceptionnels aux consommateurs, un rétablissement de crédits de 1,3 milliard d'euros a été constaté sur le programme 345 au cours de la gestion 2023.

La situation de crise a mis en exergue les imperfections du fonctionnement du programme 345. Ainsi, comme le rapporteur a pu le souligner dans ses rapports précédents et à l'instar des positions défendues par la Cour des comptes dans ses notes d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilités durables », il n'est pas acceptable qu'en cours gestion, les versements effectués à EDF au titre des compensations de CSPE jouent le rôle de variable d'ajustement budgétaire. Par opportunité, pour lisser de façon pluriannuelle la consommation des crédits sur le programme 345 et pour ne pas avoir à demander au Parlement de modifier les crédits en cours d'année par des lois de finances rectificatives, d'une année sur l'autre, l'État ajuste les versements effectifs à EDF. Cette pratique conduit à procéder à des reports de charges significatifs et très fluctuants d'une année sur l'autre. Elle entache l'autorisation budgétaire, le principe d'annualité ainsi que la sincérité des crédits inscrits au programme 345 en loi de finances initiale.

De façon plus générale, outre son extrême complexité, son manque de transparence et les largesses excessives qu'il autorise à l'exécutif au regard du respect du principe d'autorisation budgétaire, le fonctionnement du mécanisme des charges de service public a exposé au grand jour ses faiblesses dans le cadre de la crise. Il n'a pas été conçu dans la perspective de prix de l'énergie très volatiles. Le rapporteur a appris que, notamment à l'invitation de la Cour des comptes, l'administration réfléchit à une réforme du dispositif. La sortie de crise qui doit s'accompagner d'un bilan approfondi des conséquences de celles-ci sur le modèle actuel mais aussi des mesures dérogatoires qui ont été prises pour l'ajuster, semble être un moment idoine pour concevoir une réforme du mécanisme de compensation des charges de service public de l'énergie et de sa traduction budgétaire. Deux lignes directrices devraient guider cette réforme : lisibilité et respect du principe d'autorisation budgétaire donnée par le Parlement.

Au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, le rapporteur spécial s'était indigné de l'insuffisance manifeste des informations retracées dans le projet annuel de performance ainsi que dans les objets d'amendements déposés par le Gouvernement d'alors en cours d'examen qui avaient pourtant profondément bouleversé l'équilibre budgétaire du programme 345.

Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire 2023 de la mission « Écologie, développement et mobilités durables », la Cour des comptes a elle-même mis en exergue l'ampleur de l'atteinte faite à l'autorisation budgétaire à cette occasion : « le Parlement a voté un montant d'enveloppe sans visibilité sur les fondamentaux qui l'expliquent puisqu'aucune information précise ne lui a été fournie. Le projet annuel de performance du programme 345 annexé au projet de loi de finances pour 2023 ne comportait en effet aucun détail alors même que les estimations de la CRE de juillet et novembre 2022 ne pouvaient plus servir de base pour déduire le montant de charges négatives pris en compte pour calculer le coût des mesures exceptionnelles. Cette information sur le coût des mesures de protection dans leur coût brut et sur le montant estimé des charges négatives n'apparaît pas non plus dans les amendements déposés ».

Certes l'ancien Gouvernement a amélioré depuis l'information des annexes budgétaires du programme 345. Cependant, le rapporteur spécial regrette de constater à nouveau des incohérences manifestes de chiffres dans le contenu du rapport annuel de performance 2023. En effet, alors que le tableau récapitulatif des crédits consommés en 2023 sur les sous-action 17-01 « Mesures à destination des consommateurs d'électricité » et 17-2 « Mesures à destination des consommateurs de gaz » mentionnent respectivement 9,9 milliards d'euros et 5,4 milliards d'euros, les développements explicatifs qui figurent juste en dessous indiquent des chiffres différents : respectivement 11,8 milliards d'euros et 4,7 milliards d'euros.


* 14 Du fait du calendrier de versement des CSPE.

* 15 Délibération n° 2022-272 de la Commission de régulation de l'énergie du 3 novembre 2022 relative à la réévaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023.

* 16 Délibération n° 2023-200 de la Commission de régulation de l'énergie du 13 juillet 2023 relative à la l'évaluation des charges de service public de l'énergie pour 2024 et à la réévaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023.

* 17 Délibération n° 2023-293 de la Commission de régulation de l'énergie du 21 septembre 2023 portant modification de la délibération n° 2023-200 du 13 juillet 2023 relative à la l'évaluation des charges de service public de l'énergie pour 2024 et à la réévaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023.

* 18 Retracé à l'action 11 « Soutien dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain ».

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