N° 24

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités (procédure accélérée),

Par Mme Isabelle FLORENNES,

Sénatrice

Procédure de législation en commission,

en application de l'article 47 ter du Règlement

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet (2), président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

660 (2023-2024) et 25 (2024-2025)

(2) M. François-Noël Buffet a été nommé membre du Gouvernement le 21 septembre 2024.

La commission a examiné cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission,
en application de l'article 47 ter du Règlement.

En conséquence seuls sont recevables en séance, sur cette proposition de loi, les amendements visant à :

- assurer le respect de la Constitution,

- opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur,

- procéder à la correction d'une erreur matérielle.

L'ESSENTIEL

Par sa décision n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023 (« M. François F. »), le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du code de procédure pénale qui matérialisent, en matière correctionnelle, le régime communément appelé de « purge des nullités ». La même décision reportait l'effet de l'abrogation de ces dispositions, dont la disparition « sèche » n'apparaissait guère envisageable, au 1er octobre 2024.

C'est dans ce contexte que le président de la commission des lois, les anciens sénateurs François-Noël Buffet et Philippe Bonnecarrère1(*) ont déposé en juin 2024, aux côtés de plusieurs de leurs collègues, une proposition de loi2(*) visant à substituer aux dispositions abrogées des prescriptions tenant compte des exigences liées au droit à un recours juridictionnel effectif.

Examinée dans le cadre de la procédure de législation en commission, cette évolution législative a été approuvée par la commission des lois, qui en a conforté le dispositif à l'initiative de sa rapporteure, Isabelle Florennes.

I. UN RÉGIME DE PURGE DES NULLITÉS BOUSCULÉ PAR LA JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE

Élément clé de la procédure pénale française, le régime de purge des nullités a été récemment touché par deux censures constitutionnelles qui doivent conduire à repenser l'équilibre entre deux impératifs essentiels : d'une part, l'efficacité et la rapidité des procédures ; de l'autre, la pleine garantie des droits des parties.

A. LE RÉGIME DE PURGE DES NULLITÉS, ÉLÉMENT CENTRAL DE LA PROCÉDURE PÉNALE FRANÇAISE

Incarnation de l'adage selon lequel « Ennemie jurée de l'arbitraire, la forme est la soeur jumelle de la liberté » (L'esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, Rudof von Jhering, 1877), le régime des nullités est au coeur du code de procédure pénale : ce dernier comportait, au 1er septembre 2024, 135 occurrences du mot « nullité ».

Selon l'article 171 du code de procédure pénale, la nullité se produit « lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne », en cas d'atteinte aux droits de la défense ou de violation d'une règle d'ordre public (à l'instar de la prescription). Invocable devant toutes les juridictions pénales, elle a - par nature - pour effet l'annulation de l'acte concerné ; en d'autres termes, celui-ci ne peut alors plus être retenu contre la personne mise en cause ou mise en examen au cours de l'enquête ou de l'instruction ni devant la juridiction de jugement. Cette impossibilité touche non seulement l'acte lui-même, mais aussi l'ensemble des éléments de preuve qu'il a permis de recueillir (soit les actes subséquents de l'acte annulé).

Le prononcé d'une nullité a donc des conséquences lourdes sur le devenir d'un dossier pénal, et celles-ci sont d'autant plus dévastatrices que l'annulation intervient tardivement : s'il est en effet possible de régulariser un acte annulé lorsqu'une telle annulation intervient au début d'une enquête ou d'une instruction, cela devient difficile - voire impossible - avec l'approche du procès, ce qui est de nature à faire « tomber » des dossiers entiers, et donc à fragiliser la répression des infractions.

Dans le double objectif d'éviter que l'invocation des nullités ne soit un facteur d'annulations tardives et de limiter les recours dilatoires3(*), le législateur a mis en place des régimes dits « de purge » des nullités, c'est-à-dire des « mécanisme[s] qui rend[ent] irrecevable devant la juridiction de jugement toute exception tirée de la nullité de la procédure antérieure à sa saisine »4(*). Ceux-ci participent de l'expression d'une double loyauté en procédure pénale : loyauté de la preuve, qui ne peut être recueillie que selon les formes et procédures prescrites par la loi à peine d'annulation ; et loyauté de la défense qui ne peut pas se prévaloir de nullités qu'elle avait le loisir de soulever dans des phases antérieures de la procédure.

Cette « purge » est de deux ordres : il peut s'agir soit d'une purge progressive des actes d'instruction, qui doit s'effectuer dans un délai de six mois à compter de la notification desdits actes à la partie lésée (article 173-1 du code pénal), soit d'une purge globale en fin d'instruction, aujourd'hui inscrite aux articles 175 et suivants, 181, 269-1, 305-1 et 385 du code de procédure pénale, selon laquelle le renvoi du dossier par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction couvre l'ensemble des nullités antérieures.

Comme on l'aura compris, qu'elle qu'en soit la nature, la purge ne concerne que les cas dans lesquels le dossier fait l'objet d'une instruction, soit à ce jour environ 1,8 % des dossiers traités par les tribunaux correctionnels : comme l'a rappelé la direction des affaires criminelles et des grâces lors de son audition par la rapporteure, une telle particularité constitue l'une des plus-values fortes de la procédure d'instruction qui, plus contradictoire (donc plus lourde) que l'enquête préliminaire, sécurise la gestion de l'audience en limitant au cours de celle-ci l'invocation des nullités.


* 1 Philippe Bonnecarrère a été élu député lors des élections législatives de juillet 2024 ; François-Noël Buffet a été nommé ministre chargé des outre-mer le 21 septembre 2024.

* 2  Proposition de loi n° 660 (2023-2024) visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités.

* 3 Comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans le commentaire de ses deux décisions de 2021 et de 2023, la mise en place d'une « purge » a souvent été présentée comme la contrepartie à la possibilité donnée aux parties d'invoquer directement des nullités.

* 4 Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021, « M. Vladimir M. ».

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