N° 22

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs,

Par M. Bruno BELIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de-Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir le numéro :

Sénat :

682 (2023-2024) et 23 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Déposée le 6 juin 2024 par M. le sénateur Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues, la proposition de loi n° 682 (2023-2024) visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs est composé d'un article unique qui crée une contribution additionnelle et en fixe l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement. Réunie le 9 octobre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Bruno Belin sur cette proposition de loi.

Si le rapporteur partage l'objectif poursuivi de renforcement de la protection des personnes âgées dépendantes, il apparait que la création d'une contribution additionnelle ne constitue pas un instrument adapté pour l'atteindre.

I. LES ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS À BUT LUCRATIF REPRÉSENTENT UNE PART SUBSTANTIELLE DU SECTEUR DES EHPAD QUI FAIT FACE À DES BESOINS D'INVESTISSEMENTS MASSIFS À HORIZON 2030

A. LES EHPAD PRIVÉS À BUT LUCRATIF REPRÉSENTENT PRÈS D'UN QUART DES PLACES D'HÉBERGEMENT POUR LES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES EN FRANCE

L'hébergement des personnes âgées dépendantes en France repose sur trois catégories d'établissements qui sont publics, privés à but non lucratif ou privés à but lucratif.

Répartition des places en Ehpad selon les catégories d'établissements

(en 2019)

Source : commission des finances, d'après les données de la DREES

La tarification des Ehpad repose, indépendamment de la catégorie dont relève l'établissement concerné, sur une tarification ternaire décomposée entre un tarif pour l'hébergement, un tarif pour la dépendance et un tarif pour les soins. Les établissements reçoivent les mêmes financements publics pour les sections soins et dépendance indépendamment de leur statut. La tarification et le financement de la section hébergement dépend de l'habilitation des établissements à l'aide sociale à l'hébergement (ASH). Pour exercer leur activité, les Ehpad doivent obtenir, à l'issue d'une procédure d'appel à projet, une autorisation administrative.

Les Ehpad privés à but lucratif, ou Ehpad commerciaux, représentent une partie substantielle des places existantes en Ehpad avec 138 000 des 610 000 places soit 23 % de l'offre totale. Alors que la proportion d'établissements habilités totalement ou partiellement à l'ASH est de 83 % pour l'ensemble des Ehpad, seulement 44 % des Ehpad commerciaux sont habilités à l'ASH.

B. LE VIEILLISSEMENT TENDANCIEL DE LA POPULATION SE TRADUIT PAR UN BESOIN D'INVESTISSEMENT DANS LES EHPAD ESTIMÉ À 7 MILLIARDS D'EUROS À HORIZON 2030

La population française est inscrite dans une trajectoire de vieillissement tendanciel, qui sera accentué au cours de la décennie 2030 du fait de l'importance des classes d'âge dites du « baby-boom »1(*). Cette évolution démographique se traduira, en matière de politique publique de prise en charge de la dépendance, par un accroissement massif des besoins de prise en charge.

Prévision du nombre de personnes en Ehpad

Source : commission des finances, d'après les données prévisionnelles de la DREES

La hausse des besoins de prise en charge de la dépendance se traduira mécaniquement par une croissance des investissements nécessaires dans le secteur des Ehpad, indépendamment de leur catégorie, pour augmenter le nombre de places disponibles. Selon les estimations du ministère de la santé, il est ainsi nécessaire de doubler le rythme d'ouverture des places pour accueillir 319 000 personnes supplémentaires en Ehpad entre 2019 et 2050.

Dans ces circonstances, la capacité d'investissement du secteur des Ehpad commerciaux est déterminante pour construire les infrastructures nécessaires, dans un contexte de contrainte budgétaire durable pour les finances publiques locales comme sociales.

II. L'ALOURDISSEMENT DE LA FISCALITÉ SUR LES EHPAD COMMERCIAUX NE PERMETTRAIT PAS DE CONSOLIDER LE FINANCEMENT DE LA BRANCHE AUTONOMIE ET FRAGILISERAIT L'INVESTISSEMENT PRIVÉ

A. LA CONTRIBUTION ADDITIONNELLE SERAIT ASSISE SUR LE MONTANT D'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS ET SON TAUX DÉPENDRAIT DU NIVEAU DE RENTABILITÉ FINANCIÈRE DES SOCIÉTÉS ASSUJETTIES

L'article unique de la proposition de loi prévoit la création d'un nouveau prélèvement obligatoire dont les recettes seraient versées à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) : la contribution additionnelle à la charge de certains établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes privés à but lucratif (Ehpad).

Cette contribution additionnelle est assise sur le montant d'impôt sur les sociétés acquitté par les gestionnaires d'Ehpad commerciaux.

Le taux de cette contribution additionnelle est fixé à 20 % lorsque la rentabilité financière de l'entreprises, mesurée par le rapport entre le résultat net et les capitaux propres, est comprise entre 10 % et 15 % et à 30 % lorsque la rentabilité financière est supérieure à 15 %.

B. LA MOBILISATION DE L'INSTRUMENT FISCAL N'EST PAS ADAPTÉE AU REGARD DU RISQUE DE RENCHÉRISSEMENT DU PRIX DES PLACES ET DE DÉSINVESTISSEMENT DANS LE SECTEUR DES EHPAD COMMERCIAUX

1. La contribution additionnelle créée ne rapporterait pas de recettes substantielles et elle risquerait de provoquer un renchérissement du prix des places dans les Ehpad commerciaux

Le recours au levier fiscal est inadapté pour poursuivre l'objectif des auteurs de la proposition de renforcer la protection des personnes âgées dépendantes et de consolider le financement de la branche autonomie de la sécurité sociale. Selon les estimations réalisées par le ministère des finances, les recettes générées par la contribution additionnelle seraient nulles en applications du périmètre proposé au regard du déficit de nombreux Ehpad commerciaux dans la conjoncture actuelle.

En premier lieu, le levier fiscal à un caractère général et il ne permet pas d'agir en priorité sur les établissements commerciaux dont les pratiques sont contestables. Il convient à ce titre d'évaluer avec précision les mesures récemment entrées en vigueur sur le renforcement du contrôle des Ehpad, et de dresser un bilan du contrôle exhaustif des 7 500 Ehpad lancé en 2022 et qui sera achevé à la fin de l'année 2024.

En second lieu, il existe un risque avéré que les Ehpad commerciaux soumis à la contribution additionnelle ne fasse le choix, pour préserver leur résultat net, de diminuer leurs charges en dégradant le niveau de prestation ou d'augmenter leur produit en répercutant sur le prix des places la hausse de leur fiscalité.

La contribution additionnelle risquerait d'être transférée aux supportées par les usagers des Ehpad commerciaux avec un renchérissement des prix ou une dégradation des prestations.

2. La contribution additionnelle créée risquerait de se traduire par un recul de l'investissement privé dans le secteur des Ehpad commerciaux qui est déjà fragilisé financièrement par la conjoncture

L'ensemble du secteur des Ehpad connait, depuis 2020, une situation conjoncturelle dégradée sous le double effet de la réduction de leur taux d'occupation et de la hausse de leurs charges. Ce double mécanisme se traduit par un « effet ciseaux » qui dégrade la rentabilité économique et la situation financière de l'ensemble des Ehpad, y compris les Ehpad commerciaux.

Cette dégradation s'explique en premier lieu par la réduction du taux d'occupation sous le double effet du nombre élevé de décès lié à l'épidémie de covid-19 et par la dégradation de l'image des Ehpad depuis la publication d'une enquête journalistique2(*) ayant reçu un important écho médiatique en 2022. En second lieu, le haut niveau de l'inflation des prix alimentaires et énergétiques en 2022 et 2023 ont augmenté les charges des Ehpad sans que cette augmentation n'ait été entièrement répercutée sur leurs tarifs.

Un taux de

Un niveau de

Une perte de

 
 
 

de mauvaise opinion des sondés sur les Ehpad privés

d'inflation sur les produits énergétiques depuis 2015

de marge d'excédent brut d'exploitation (EBE) entre 2019 et 2023 pour les Ehpad commerciaux

Dans ce contexte, et alors que les Ehpad commerciaux doivent activement participer à l'effort d'investissement à moyen terme pour financer la création de nouvelles infrastructures d'accueil des personnes âgées dépendantes, un alourdissement de la fiscalité des Ehpad commerciaux se traduirait par un risque de désinvestissement qui pourrait fragiliser le maillage territorial de l'offre de prise en charge de la dépendance des personnes âgées.

Compte tenu de ces éléments, la proposition de loi n'a pas été adoptée par la commission.

En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance publique sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.


* 1 Personnes nées entre 1946 et 1974.

* 2 Victor Castanet, 2022, Les fossoyeurs.

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