N° 599
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 mai 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier (procédure accélérée),
Par M. Akli MELLOULI,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, M. Philippe Folliot, Mme Annick Girardin, M. Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
Voir les numéros :
Sénat : |
426 et 600 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier, signé le 21 juillet 2023 par les ministres chargés des affaires étrangères français et allemand, à Lauterbourg.
Il s'inscrit dans le cadre de la politique de coopération avec l'Allemagne, qui a été particulièrement marquée par le traité de l'Élysée de 1963, puis, plus récemment par le traité d'Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019 qui prévoit en effet un approfondissement des liens bilatéraux en matière transfrontalière, d'éducation, de recherche, de climat ou encore de politique étrangère.
Il s'insère également dans les objectifs de la politique européenne en matière d'éducation et de formation. La Commission européenne a ainsi présenté le 15 novembre 2023 l'adoption d'une proposition de recommandation du Conseil européen intitulée « L'Europe en mouvement - des opportunités de mobilité d'apprentissage pour tous ».
Il s'agit du premier accord conclu dans le nouveau cadre légal posé par l'article 186 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite « 3DS »). Cet article prévoit la possibilité d'effectuer une partie de la formation par apprentissage, pratique ou théorique, dans un pays frontalier de la France, sous réserve de la conclusion d'un accord bilatéral qui en définit les modalités de mise en oeuvre, notamment concernant les dispositions relatives au régime juridique du contrat d'apprentissage, aux modalités de formation et au financement de l'apprentissage transfrontalier.
Précédemment, la région Grand-Est avait mis en place un dispositif d'apprentissage transfrontalier, sur la base de conventions régionales avec certains territoires frontaliers allemands, mais la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel avait retiré aux régions la compétence de financement principal des formations par apprentissage.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.
I. L'EXPÉRIENCE FRANCO-ALLEMANDE REMISE EN CAUSE PAR LA RÉFORME DE L'APPRENTISSAGE
A. LES ACCORDS-CADRES SUR L'APPRENTISSAGE DE 2013 ET 2014
L'apprentissage transfrontalier entre la France et trois Länder a été initié dès 2010 dans le cadre d'une expérimentation sous l'égide de la conférence du Rhin supérieur, qui a ensuite été officialisée et élargie par deux accords-cadres, pris dans le cadre de la coopération transfrontalière :
- L'accord-cadre relatif à l'apprentissage transfrontalier dans le Rhin supérieur du 12 septembre 2013. Il a été conclu sous l'impulsion du conseil régional d'Alsace pour les parties françaises et allemandes sous mandat de la conférence du Rhin supérieur1(*) ;
- - L'accord-cadre pour la coopération transfrontalière en formation professionnelle initiale et continue Sarre-Lorraine du 20 juin 2014, qui s'inspire largement de l'accord du Rhin supérieur mais entre la Sarre et la Lorraine uniquement et avec une liste limitative de qualifications professionnelles éligibles.
L'objectif commun de ces deux accords est de permettre aux jeunes de suivre la formation théorique en France et la formation pratique en Allemagne, ou inversement. À l'issue de la formation, ils passent le diplôme dans le pays où s'est déroulé la formation théorique. La prise en charge financière était assurée, côté français, par les régions.
Depuis 2013, environ 500 jeunes, pour l'essentiel des Français, ont signé un contrat d'apprentissage transfrontalier.
Il n'y a pas eu d'autre accord de ce type conclu par les autres régions françaises. Seule la région Grand Est a expérimenté une coopération transfrontalière dans le domaine de l'apprentissage avec le gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg en 2017.
B. DES DISPOSITIFS REMIS EN CAUSE PAR LA RÉFORME DE L'APPRENTISSAGE DE 2018
Comme l'indique un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l'évaluation de l'apprentissage transfrontalier d'avril 20212(*), ces accords-cadres étaient déjà juridiquement fragiles, car le droit français ne prévoyait pas la possibilité de réaliser la partie théorique ou pratique de la formation dans un autre pays que la France.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel réformant la formation professionnelle a retiré aux régions françaises, à compter du 1er janvier 2020, la compétence d'organisation et de financement principal des formations par apprentissage. Les accords ont donc pris fin.
La révision complète du rôle des régions en matière d'apprentissage constitue indéniablement un des axes majeurs de la réforme réalisée par la loi.
Alors que depuis la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, ces dernières occupaient une place centrale dans la définition de la politique d'apprentissage, désormais l`État et France compétences en sont les pivots politique et financier.
Le rapport d'information de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale du 19 janvier 2022 sur l'évaluation de la loi de 2018 décrit ainsi le rôle des régions à la suite de la réforme :
« La réforme ayant donné une place importante à France compétences, aux branches et aux opérateurs de compétences, la place des régions, jusqu'ici régulatrices et principales financeuses, a dû être revue dans l'architecture globale de l'alternance selon les modalités suivantes :
• elles participent activement à la gouvernance au sein de France compétences ;
• elles ont conservé une capacité de financement propre qui leur est allouée par France compétences sur les fonds « alternance », fixée à 138 millions d'euros pour financer le fonctionnement des centres de formation d'apprentis et 180 millions d'euros pour leurs investissements, montants qui ont été fixés en loi de finances ; un montant ponctuel de 268 millions d'euros leur a par ailleurs été versé en 2020 pour assurer la neutralité financière de la réforme, somme conforme à ce qui avait été préconisé dans le rapport « IGAS-IGF ».
Une procédure dérogatoire a été toutefois mise en place afin de maintenir provisoirement le dispositif franco-allemand. 120 apprentis en ont bénéficié. La prise en charge financière des contrats d'apprentissage est assurée par les opérateurs de compétences, organismes agréés par l'État créés par la loi de 2018, qui prennent en charge jusqu'à l'entrée en vigueur du présent accord et au plus tard le 31 décembre 2024.
II. LA LOI « 3DS » INTRODUIT L'APPRENTISSAGE TRANSFRONTALIER DANS LE CODE DU TRAVAIL
A. L'EXPÉRIENCE FRANCO-ALLEMANDE DÉTERMINANTE
Le Comité franco-allemand de coopération transfrontalière a été institué par le traité d'Aix-la-Chapelle de 2019 afin de créer une capacité de décision accrue pour la coopération transfrontalière en impliquant tous les acteurs concernés à tous les niveaux fédéraux et administratifs des deux côtés de la frontière. Il compte parmi ses membres des élus locaux (Collectivité européenne d'Alsace, mairie de Strasbourg, Eurométropole de Strasbourg, parlementaires, etc.).
Dans son avis du 31 mai 2021, il a fait part du souhait des acteurs locaux de voir pérennisé le dispositif d'apprentissage transfrontalier créé au niveau de la région Grand-Est.
La loi du 21 février 2022 « 3DS » précitée a été le vecteur pour introduire dans la loi l'apprentissage transfrontalier.
Mme Brigitte Klinkert, alors ministre déléguée à l'Insertion et ancienne présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, a déposé un amendement au projet de loi « 3DS » visant à encadrer l'apprentissage transfrontalier. Cet amendement a été élaboré sur la base des recommandations du rapport de l'IGAS précité. M. Sylvain Waserman, député, a également déposé un amendement relatif à l'apprentissage transfrontalier lors de l'examen du projet de loi, avec le soutien de la majorité. Il a plus largement soutenu l'insertion dans le projet de loi d'un chapitre entier dédié à la coopération transfrontalière.
B. LE CADRE JURIDIQUE PRÉVU PAR LA LOI « 3DS » ET SON ORDONNANCE
La loi dite « 3DS » du 21 février 2022 a introduit dans son article 186 une nouvelle disposition dans le code du travail, relatif au « développement de l'apprentissage transfrontalier » (chapitre V Le titre III du livre II de la sixième partie du code du travail) qui prévoit :
« Art. L. 6235-1.-L'apprentissage transfrontalier permet à un apprenti d'effectuer une partie de sa formation pratique ou théorique dans un pays frontalier de la France.
« Art. L. 6235-2.-I.-Les modalités de mise en oeuvre de l'apprentissage transfrontalier sont précisées dans le cadre d'une convention conclue entre la France et le pays frontalier dans lequel est réalisée la partie pratique ou la partie théorique de la formation par apprentissage.
« II.- La convention mentionnée au I précise notamment :
« 1° Les dispositions relatives au régime juridique applicable au contrat de travail, concernant notamment les conditions de travail et de rémunération, la santé et la sécurité au travail ainsi que la protection sociale de l'apprenti, lorsque la partie pratique de la formation par apprentissage est réalisée dans le pays frontalier ;
« 2° Les dispositions relatives à l'organisme de formation et à la certification professionnelle visée par le contrat ainsi que les modalités applicables au déroulement de la formation et à la délivrance de la certification professionnelle, lorsque la partie théorique de la formation par apprentissage est réalisée dans le pays frontalier ;
« 3° Les dispositions relatives au financement de l'apprentissage transfrontalier, notamment les contributions des parties et leurs relations sur le plan financier. »
La loi autorisait le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de définir les modalités d'organisation, de mise en oeuvre et de financement de l'apprentissage transfrontalier. Cette ordonnance a été publiée le 22 décembre 2022.
Elle introduit dans le code du travail les articles L. 6235-3 à L. 6235-6.
Elle confie la gestion de l'ensemble des contrats d'apprentissage transfrontaliers, à titre dérogatoire, à un opérateur de compétences unique, agréé par arrêté du ministre en charge de la formation professionnelle.
Les opérateurs de compétences, créés par la loi du 5 septembre 2018, sont des organismes agréés par l'État chargés notamment d'accompagner la formation professionnelle et de financer l'apprentissage.
Par arrêté du 29 mars 2019, c'est l'opérateur des compétences des entreprises de proximité (OPCO EP) qui a été désigné pour assurer la gestion de l'ensemble des contrats d'apprentissage conclus dans le cadre de l'apprentissage transfrontalier.
Les dispositions du code du travail applicables à l'apprentissage transfrontalier sont listées en distinguant selon que la formation se déroule en entreprise ou en centre de formation dans le pays frontalier.
Lorsque l'apprenti suit sa formation théorique dans le pays frontalier, la plupart des règles relatives au contrat d'apprentissage s'appliquent.
Lorsque la formation pratique a lieu dans le pays frontalier, les règles relatives au contrat d'apprentissage ne s'appliquent pas. Cependant, en cas de rupture du contrat d'apprentissage de manière anticipée, les dispositions permettant à l'apprenti de poursuivre la formation théorique en centre de formation des apprentis pendant 6 mois sont applicables.
Lorsque l'apprenti suit sa formation théorique dans le pays frontalier, les frais liés à la formation théorique sont pris en charge par le pays frontalier dans les conditions précisées par l'accord bilatéral conclu entre la France et le pays frontalier dans lequel est réalisée la partie pratique ou la partie théorique de la formation par apprentissage (article L. 6235-2 du Code du travail).
Lorsque la formation pratique a lieu dans le pays frontalier, l'opérateur de compétences unique prend en charge, au titre de la section financière relative à l'alternance, les frais supportés par le centre de formation des apprentis pour un montant fixé par arrêté, ainsi que les frais annexes et les dépenses d'investissement assumés par ce centre.
En outre, l'ordonnance précise l'application du dispositif en outre-mer.
III. LE CONTENU DE L'ACCORD
Prévu à l'article 186 de la loi du 21 février 2022 pour préciser les modalités de mise en oeuvre de l'apprentissage transfrontalier, le présent accord est le premier à être conclu dans ce cadre légal.
Il comporte un préambule et 10 articles.
Le préambule rappelle le cadre dans lequel s'inscrit l'accord.
L'article 1er est relatif à l'objet et au champ d'application de l'accord. Il précise que l'accord est applicable en France métropolitaine et dans les Länder allemands frontaliers : Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Sarre.
Il indique les certifications éligibles à l'apprentissage en France et en Allemagne.
L'article 2 traite des conditions de conclusion, d'enregistrement et de dépôt du contrat d'apprentissage, selon qu'il est conclu en France ou en Allemagne.
L'article 3 fixe les modalités applicables au déroulement de la formation et au passage des examens.
Il prévoit que la formation théorique et les examens sont organisés selon la réglementation du pays où le diplôme professionnel ou la certification professionnelle sont délivrés.
L'article 4 renvoie aux dispositions en vigueur dans chaque pays pour le financement de l'apprentissage transfrontalier. L'accord ne prévoit pas de mécanisme de compensation car il ne modifie pas les équilibres relatifs au financement de l'apprentissage, notamment en raison des volumes estimés. Toutefois, trois ans après l'entrée en vigueur de l'accord, une nouvelle négociation des règles de financement pourra être engagée.
L'article 5 traite de la protection sociale. Le principe est l'application de la législation de l'État où est dispensée la formation pratique.
L'article 6 met en place un dispositif de contrôle, selon le pays où se déroule l'apprentissage. L'assistance par les services compétents du pays partenaire est prévue et ces contrôles peuvent avoir pour origine une demande des autorités de l'autre pays.
L'article 7 vise à privilégier la recherche de solutions amiables en cas de litiges.
L'article 8 prévoit que les deux États s'engagent à promouvoir l'apprentissage transfrontalier et à proposer une action de renforcement linguistique auprès des apprentis transfrontaliers. Des suivis statistiques, ainsi qu'une évaluation tous les cinq ans du dispositif sont prévus. Les Parties s'engagent à mettre tout en oeuvre pour que les diplômes ou certifications professionnels du pays voisin, délivrés dans le cadre du présent accord, soient reconnus selon les réglementations en vigueur.
L'article 9 institue un comité de suivi, composé d'un nombre égal de représentants des ministères compétents en France et en Allemagne, qui doit se réunir annuellement. Les autres acteurs de l'apprentissage, en particulier des représentants des Länder concernés ainsi que des organismes régionaux et consultatifs existants peuvent y être associés. Le comité peut émettre des propositions en vue d'améliorer le dispositif. Le secrétariat du comité de suivi est assuré chaque année, de façon alternative, par chaque Partie.
Enfin, l'article 10 sur les dispositions finales prévoit un mécanisme simplifié d'extension du champ d'application territorial de l'accord à de nouveaux Länder. L'accord est conclu pour une durée de trois ans et est prolongé par tacite reconduction, pour de nouvelles périodes de trois années.
CONCLUSION
Après un examen attentif des dispositions du texte, la commission a adopté ce projet de loi n° 426 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier.
Cet accord, signé le 21 juillet 2023 par les ministres chargés des affaires étrangères français et allemand, à Lauterbourg, est le premier à être conclu par la France sur la base de la loi « 3DS » qui introduit dans le code du travail l'apprentissage transfrontalier.
La région Grand-Est et certains territoires allemands, avaient précédemment mis en place des dispositifs d'apprentissage transfrontalier qui, bien qu'ayant donné satisfaction, avaient été mis à mal par la réforme de l'apprentissage de 2018.
Cette expérience fut d'ailleurs déterminante lors de l'introduction dans le code du travail d'un chapitre dédié à l'apprentissage transfrontalier.
Cet accord donne une base juridique légale à l'apprentissage transfrontalier franco-allemand et devrait permettre de le développer davantage, objectif affiché lors du Conseil des ministres franco-allemand du 22 janvier 2023.
Il sera certainement suivi par d'autres accords avec la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et même l'Italie.
Il répond aux enjeux de la formation professionnelle et de l'insertion des jeunes et participe à la construction de l'espace européen de l'éducation.
Le Sénat est la première chambre à être saisi du texte qui devrait entrer en vigueur rapidement, après son examen prochain par l'Assemblée nationale et le Bundestag.
L'examen en séance publique aura lieu le 22 mai 2024. Le groupe SER a demandé le retour à la procédure normale en séance publique, ce qui a été acté par la Conférence des présidents du 15 mai 2024.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 15 mai 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Akli Mellouli sur le projet de loi n° 426 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier.
M. Cédric Perrin, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du rapport de M. Akli Mellouli sur le projet de loi autorisant l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier.
M. Akli Mellouli, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier.
Cet accord s'inscrit dans le cadre de la politique de coopération avec l'Allemagne, qui a été particulièrement marquée par le traité de l'Élysée de 1963, puis, plus récemment, par le traité d'Aix-la-Chapelle sur la coopération et l'intégration franco-allemandes du 22 janvier 2019. Un approfondissement des liens bilatéraux en matière transfrontalière, d'éducation, de recherche, de climat ou encore de politique étrangère y est prévu.
C'est dans ce cadre que la région Grand Est a mis en place un dispositif d'apprentissage transfrontalier avec certains territoires frontaliers allemands. D'abord réalisé sur la base d'expérimentation dès 2010, le dispositif a été formalisé par deux accords-cadres : l'accord-cadre relatif à l'apprentissage transfrontalier dans le Rhin supérieur du 12 septembre 2013, puis celui pour la coopération transfrontalière en formation professionnelle et continue Sarre-Lorraine du 20 juin 2014.
Ces deux accords-cadres étaient déjà fragiles dans la mesure où le droit ne prévoyait pas la possibilité de réaliser la partie pratique ou théorique de sa formation dans un autre pays que la France.
Surtout, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a retiré aux régions françaises la compétence d'organisation et de financement principal des formations par apprentissage. Alors que, depuis la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, ces dernières occupaient une place centrale dans la définition de la politique d'apprentissage, désormais, l'État et France Compétences en sont les pivots politique et financier.
Les accords ont donc pris fin. Une procédure dérogatoire a été toutefois mise en place afin de maintenir provisoirement le dispositif. Ce sont les opérateurs de compétences, organismes agréés par l'État créés par la loi de 2018, qui prennent en charge les contrats d'apprentissage jusqu'à l'entrée en vigueur du présent accord, et au plus tard le 31 décembre 2024.
Depuis les accords-cadres de 2013 et 2014, plus de 500 jeunes ont bénéficié du dispositif, essentiellement du côté français.
Comme l'a souligné le Comité franco-allemand de coopération transfrontalière, institué par le traité d'Aix-la-Chapelle, dans un avis du 31 mai 2021, une solution pérenne devait être trouvée.
Les acteurs locaux ont joué un rôle prépondérant pour que l'apprentissage transfrontalier trouve enfin un cadre légal, en introduisant dans la loi dite 3DS du 21 février 2022 de nouvelles dispositions dans le code du travail relatives au développement de l'apprentissage transfrontalier. C'est plus précisément dans le chapitre V du titre III du livre II de la sixième partie du code du travail.
Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l'insertion lors de l'examen du projet de loi et ancienne présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, a déposé un amendement visant à encadrer l'apprentissage transfrontalier. Cet amendement a été élaboré sur la base des recommandations d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). M. Sylvain Waserman, député, a également déposé un amendement relatif à l'apprentissage transfrontalier lors de l'examen du projet de loi, avec le soutien de la majorité présidentielle. Il a plus largement soutenu l'insertion dans le projet de loi d'un chapitre entier dédié à la coopération transfrontalière.
La loi 3DS prévoit expressément que « l'apprentissage transfrontalier permet à un apprenti d'effectuer une partie de sa formation pratique ou théorique dans un pays frontalier de la France » et que « les modalités de mise en oeuvre de l'apprentissage transfrontalier sont précisées dans le cadre d'une convention conclue entre la France et le pays frontalier dans lequel est réalisée la partie pratique ou la partie théorique de la formation par apprentissage ».
La loi autorisait le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de définir les modalités d'organisation, de mise en oeuvre et de financement de l'apprentissage transfrontalier. Elle a été publiée le 22 décembre 2022.
C'est donc sur la base de ces dispositions législatives que le présent accord a été conclu. Il s'agit du premier accord signé dans ce cadre légal.
Dès le printemps 2022, des contacts ont été pris entre les ministères français et allemands concernés. La signature de l'accord a eu lieu à Lauterbourg, le 21 juillet 2023, par les ministres des affaires étrangères des deux parties. Il s'inspire largement des précédents accords-cadres de 2013 et 2014 qui donnaient satisfaction aux deux parties.
Le groupe SER a demandé un retour à la procédure normale pour l'examen de ce projet de loi. À mon sens, deux aspects du texte pourraient être améliorés : l'évaluation du dispositif, notamment sur les entrées et sorties, et la question de la langue, qui pourrait être un levier essentiel de la coopération entre nos deux pays et permettre aux jeunes Français de bénéficier de plus d'opportunités d'emplois.
Sous réserve de ces observations, je préconise l'adoption de ce projet de loi.
M. Cédric Perrin, président. - En tant qu'élu d'un département frontalier de la Suisse et de l'Allemagne, je peux vous assurer que ces questions de coopération transfrontalière en matière d'apprentissage sont absolument fondamentales, sachant qu'il y a une vraie culture de l'apprentissage en Allemagne dont nous pourrions nous inspirer.
Je suis heureux de pouvoir avancer sur ces questions avec ce texte.
Mme Michelle Gréaume. - Je suis également élue d'un département frontalier de la Belgique. Il me semble que nous devrions faire une analyse plus poussée, car je crains que nos forces vives ne soient attirées par l'Allemagne ou la Belgique, où les salaires sont supérieurs, notamment dans certains secteurs où nous avons besoin d'une main-d'oeuvre très spécialisée. Cela ne va-t-il pas entraîner la fermeture de structures d'enseignement public en France ?
M. Akli Mellouli, rapporteur. - C'est déjà un phénomène que nous observons dans le monde professionnel. Aujourd'hui, beaucoup de villages français vivent grâce aux travailleurs transfrontaliers employés en Suisse ou au Luxembourg. Mais ce texte porte sur l'apprentissage. Il s'agit pour nos jeunes d'obtenir un bagage plus complet. Avec ces échanges en matière d'apprentissage, il me semble que nous apportons notre pierre à la construction européenne.
Nous sommes en retard par rapport au système éducatif allemand. Ces échanges nous permettraient d'évoluer dans le bon sens. Le risque est plus du côté de l'Allemagne en l'occurrence.
M. Cédric Perrin, président. - Je souscris complètement à ces propos. J'ai toujours du mal à convaincre les préfets de mon département de travailler sur cette question. Par exemple, Swatch, et ses plus de 1 000 emplois, est installée à deux kilomètres de chez moi, de l'autre côté de la frontière : 80 % des salariés sont Français ; 100 % des apprentis sont suisses. Nos villes et villages vivent essentiellement de la richesse apportée par ce travail frontalier. Malgré tout, mon département est l'un des plus industrialisés de France, avec 43 % d'emplois industriels. Il faut travailler davantage sur ce sujet avec les organisations patronales et salariales.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je suis d'accord également. Il y a un vrai consensus aujourd'hui sur les bienfaits d'Erasmus pour les universités françaises. Pendant, trop longtemps, l'apprentissage a été délaissé en France. Ce type d'accord est l'occasion d'y remédier. Il est temps de nous inspirer de l'Allemagne pour ce qui est des structures technologiques et professionnelles. Nos jeunes ont actuellement trop de mal à trouver des stages pour valider leurs diplômes.
M. Cédric Perrin, président. - C'est gagnant-gagnant pour les territoires. Si les entreprises de part et d'autre de la frontière ne trouvent pas de main-d'oeuvre qualifiée, elles s'en iront.
M. Akli Mellouli, rapporteur. - Il y a une valeur ajoutée pour nos apprentis. Notre main-d'oeuvre va gagner en qualité.
Le projet de loi est adopté sans modification.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Ministère de l'Europe et des affaires étrangères :
M. Paul MAURICE, Chef de mission, Mission de l'Allemagne et de l'Europe alpine et adriatique, Direction de l'Union européenne ;
M. Corentin SANTILLI, Rédacteur Allemagne questions transfrontalières, Mission de l'Allemagne et de l'Europe alpine et adriatique, Direction de l'Union européenne ;
M. Pierre DOUSSET, conseiller juridique à la Mission des Accords et Traités, Direction des affaires juridiques.
Ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion :
Marianne KOSZUL, Chargée de mission développement de l'apprentissage, Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.
* 1 La Conférence du Rhin supérieur est composée de quatre territoires : l'ancienne région Alsace, le Nord-Ouest de la Suisse, la Pays de Bade et l'extrême Sud du Palatinat. Elle regroupe en France, les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, en Allemagne, une partie du Land de Bade-Wurtemberg (les régions du Mittlerer Oberrhein et du Südlicher Oberrhein, les districts de Lörrach et de Waldshut) et une partie du Land de Rhénanie-Palatinat (les Landkreise Südliche Weinstraße et Gemersheim, la ville indépendante de Landau in der Pfalz, et les groupements communaux de Dahner Felsenland et Hauenstein) et une partie de la Suisse du Nort-Ouest (les Cantons de Bâle-Ville, de Bâle Campagne, d'Argovie, de Soleure et du Jura).
* 2 https://igas.gouv.fr/Evaluation-de-l-apprentissage-transfrontalier.html