EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet, président. - Nous en venons à présent à l'examen du rapport de notre collègue Christophe-André Frassa sur la proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l'état civil du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE).
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - En 2018, les législateurs que nous sommes avons autorisé, lors du vote de la loi pour un État au service d'une société de confiance dite Essoc, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères à déroger au cadre général de traitement des actes d'état civil dont il est dépositaire, afin d'expérimenter une démarche ambitieuse de dématérialisation. Le Sénat avait alors soutenu le principe de cette expérimentation, jugeant, selon les mots de nos collègues Pascale Gruny et Jean-Claude Luche, « le projet de dématérialisation pertinent au regard des distances qui peuvent séparer les postes diplomatiques et consulaires du service central d'état civil (SCEC) et du délai conséquent d'acheminement du courrier postal ou du coût de l'acheminement par valise diplomatique, utilisé dans les pays sensibles ».
Ce projet de dématérialisation, qui n'a véritablement débuté qu'à la suite de la publication de l'ordonnance du 10 juillet 2019 qui en précise les modalités, est apparu ambitieux dans la mesure où il concerne les quatre composantes du traitement des actes d'état civil : son établissement, c'est-à-dire la création de l'acte ; sa mise à jour, à savoir son actualisation à la suite de l'évolution de l'état civil de la personne concernée, par exemple en raison d'un mariage ; sa délivrance, c'est-à-dire la publicité de l'acte, sous la forme de l'octroi d'une copie ou d'un extrait de l'acte, l'original n'étant jamais fourni ; enfin, sa conservation, soit son archivage.
Le passage par la loi était nécessaire pour autoriser cette dématérialisation, car, bien que certaines procédures aient été informatisées dès les années 1990, le cadre général de la gestion de l'état civil reste régi, pour ses quatre composantes, par le principe du support papier.
Ainsi, l'authenticité de l'acte d'état civil découle toujours, en application de l'article 40 du code civil, d'une signature manuscrite de l'officier d'état civil. En conséquence, les actes de l'état civil sont exclusivement établis sur support papier, et sont inscrits et conservés sur un ou plusieurs registres tenus en double exemplaire.
La mise à jour des actes d'état civil s'effectue par le biais de mentions manuscrites sur ces registres. De même, les copies et les extraits d'actes d'état civil sont des documents papier dont la validité résulte de la signature de l'officier de l'état civil, remis en mains propres à leur titulaire ou aux personnes habilitées à les demander ou envoyés par voie postale.
Les fonctions d'état civil, dans ses quatre composantes, sont confiées sur le territoire national aux maires et à leurs adjoints, mais sont exercées, pour les Français de l'étranger, par les chefs de mission diplomatique et les chefs de poste consulaire et par le service central d'état civil de Nantes.
Pour permettre à ces derniers d'expérimenter la dématérialisation de la gestion des actes d'état civil dont le MEAE est dépositaire, nous avions accordé au Gouvernement un délai de trois ans, à compter de la publication de l'ordonnance du 10 juillet 2019. Or ce délai n'a pas été tenu. C'est pourquoi la durée de l'expérimentation a été prorogée de deux ans à l'occasion de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS. En l'état du droit, l'expérimentation arrivera à son terme le 10 juillet 2024, une échéance imminente qui illustre un certain manque d'anticipation de la part du Gouvernement...
En effet, cette date est problématique au regard du très important retard pris pour trois des quatre composantes de l'expérimentation, et ce malgré un budget largement supérieur aux premières estimations, l'inspection générale des affaires étrangères (IGAE) l'évaluant à 11,35 millions d'euros, alors que le budget prévisionnel initial s'élevait à 5 millions d'euros.
Seule la délivrance des copies et des extraits des actes d'état civil du MEAE a été pleinement dématérialisée depuis le 12 mars 2021. En revanche, la dématérialisation de l'établissement, de la mise à jour et de la conservation de ces actes nécessite encore des développements informatiques, au moins jusqu'à la fin de l'année 2025.
Cet ample retard, qui serait principalement lié à une sous-estimation des difficultés techniques du projet, explique que les deux rapports d'évaluation, transmis au Parlement en mars 2022 et en décembre 2023, n'aient pas pu dresser le bilan de ces trois composantes de l'expérimentation, faute d'éléments à analyser. Je précise que le second de ces rapports a été rédigé conjointement par l'IGAE et par l'inspection générale de la justice (IGJ), donc indépendamment des administrations chargées de mettre directement en oeuvre l'expérimentation. Les auditions que j'ai menées en avril n'ont pas pu pallier ce manque d'éléments d'évaluation, la mise en application étant encore trop lointaine malgré une première expérience concluante d'établissement dématérialisé d'un acte d'état civil en janvier dernier.
En revanche, les deux rapports d'évaluation font état d'un bilan globalement positif de l'expérimentation de la dématérialisation de la délivrance des copies et des extraits d'actes. À la suite des auditions que j'ai menées et des éléments chiffrés actualisés qui m'ont été transmis, je partage le constat établi par les inspections générales.
D'un point de vue quantitatif, l'expérimentation est indubitablement un succès : 1 264 372 demandes de copie ou d'extraits d'acte d'état civil ont été formulées en 2023 sur le site service-public.fr, dont seulement 0,3 % a été accompagné d'une demande d'impression.
D'un point de vue qualitatif, les deux rapports mettent également en avant un résultat satisfaisant, aussi bien pour l'usager que pour l'administration et les officiers d'état civil.
Pour l'usager, les rapports estiment que l'expérimentation a permis « une simplification des démarches » et un « raccourcissement des délais de délivrance des copies et des extraits d'actes d'état civil ». Le service est considéré comme « plus accessible » et « dans le sens de l'histoire », car 90 % des demandes d'extraits et d'actes s'effectuaient déjà de façon dématérialisée avant l'expérimentation : seule la délivrance s'effectuait par voie postale. Le service présenterait un intérêt particulièrement marqué pour les Français de l'étranger qui résident parfois loin du service consulaire et qui ne peuvent pas dépendre, pour leurs demandes, de services postaux locaux fiables. Le taux de satisfaction, mesuré par l'observatoire des démarches en ligne de l'État, se situe ainsi à 8,7 sur 10. Quant au gain de temps lié à la suppression des délais postaux, celui-ci est en revanche moins probant puisque le délai moyen de traitement a augmenté entre 2021 et 2023, passant de 8,5 à 14 jours, des difficultés d'ordre technique expliquant cette contre-performance.
Pour l'administration, la dématérialisation aurait engendré des économies aussi bien budgétaires qu'en termes de ressources humaines. Le MEAE a évalué à plus de 1,3 million d'euros les dépenses évitées grâce à la dématérialisation en 2023, principalement liées à l'affranchissement et à l'achat de papier sécurisé. Elle a également entraîné la suppression de 11 équivalents temps plein en 2021. La dématérialisation participerait donc du bon usage des deniers publics.
Enfin, pour les officiers d'état civil, les rapports notent « une adhésion progressive au projet », qui est néanmoins « en évolution positive ».
Au regard de ce bilan positif, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui vise, en son article 1er, à pérenniser au sein du code civil la délivrance numérique des copies et des extraits d'actes d'état civil établis par le MEAE. Cette délivrance numérique ne constituerait qu'une possibilité, la remise des copies ou des extraits d'acte sur support papier restant autorisée.
À l'inverse, en conséquence du retard accumulé sur les trois autres pans de l'expérimentation, l'article 2 la proroge, pour une durée supplémentaire de trois ans, en la limitant donc à l'établissement, la conservation et la mise à jour des actes d'état civil du MEAE. L'expérimentation serait ainsi prolongée jusqu'au 10 juillet 2027. Sauf nouvelle prorogation, l'expérimentation atteindrait une durée prévisionnelle de huit ans, contre trois initialement.
En cohérence avec la position du Sénat formulée en 2018 et en 2022, et afin que l'expérimentation que nous avions soutenue soit enfin pleinement déployée, je vous propose d'approuver ces mesures et donc d'adopter la proposition de loi qui nous est soumise.
La pérennisation de la dématérialisation de la délivrance des copies et des extraits des actes me semble opportune et souhaitable, non seulement parce qu'elle est massivement utilisée par nos concitoyens Français de l'étranger et qu'aucun dysfonctionnement majeur n'a été identifié jusqu'à présent, mais également parce qu'elle prévoit une alternative pour tous les usagers éloignés du numérique ; elle n'est donc pas une voie unique d'accès au service public de l'état civil.
Je suis plus circonspect sur la prorogation de l'expérimentation de la dématérialisation de l'établissement, de la mise à jour et de la conservation des actes d'état civil du MEAE, un triplement de la durée de l'expérimentation étant difficilement compréhensible et justifiable. Malheureusement, l'état d'avancée du projet ne nous permet pas de réduire cette durée, du moins si nous souhaitons qu'un bilan puisse être dressé après la tant attendue mise en application de la totalité de l'expérimentation, avant une potentielle pérennisation à l'avenir.
Je vous propose donc de prendre acte de ce retard en formulant parallèlement le voeu que la prorogation qui nous est demandée sera la dernière. Afin de limiter ce risque et d'imposer au Gouvernement davantage de transparence sur l'état d'avancée de l'expérimentation, je vous soumettrai dans quelques instant un amendement prévoyant une présentation annuelle, par le Gouvernement, de la mise en oeuvre de l'expérimentation devant l'Assemblée des Français de l'étranger, suivie d'un débat en sa présence qui pourra donner lieu à un avis de l'Assemblée. Je soumettrai également à votre vote deux amendements rédactionnels.
M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à l'établissement, à la mise à jour, à la délivrance et à la conservation des actes de l'état civil établis par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Les amendements COM-1 et COM-2 visent tous deux à préciser que la délivrance des copies et des actes d'état civil peut se faire sur support papier, et pas uniquement par voie dématérialisée. Je tiens à rassurer nos collègues du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires : non seulement c'est déjà le cas dans le cadre de l'expérimentation, mais la rédaction proposée à l'article 1er prévoit bien que la délivrance dématérialisée ne sera qu'une possibilité, et non une obligation.
Autrement dit, non seulement il est déjà possible, actuellement, d'obtenir une copie ou un extrait d'un acte d'état civil sur support papier - en 2023, un peu moins de 5 000 personnes ont demandé une impression de leur acte d'état civil sur service-public.fr et le service central d'état civil traite bien évidemment les demandes formulées par courrier -, mais ce sera toujours possible une fois la dématérialisation pérennisée. Nos concitoyens éloignés du numérique pourront donc toujours avoir accès au service public de l'état civil.
Par ailleurs, lors de son audition, la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE) m'a garanti qu'il n'était aucunement envisagé de faire de la voie dématérialisée l'unique voie de délivrance des copies et des extraits des actes d'état civil du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
En conséquence, il n'y a pas lieu d'alourdir la loi alors qu'il n'y a aucune ambiguïté. C'est d'ailleurs bien précisé dans le rapport qui accompagne ce texte, la volonté du législateur étant claire sur ce point. L'avis est donc défavorable.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-2.
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 2
L'amendement rédactionnel COM-5 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'avis est défavorable sur l'amendement COM-3, car il est satisfait : comme l'écrivent les inspections générales dans leur rapport d'évaluation de l'expérimentation, et comme me l'a confirmé la DFAE, « les actes d'état civil dématérialisés seront conservés simultanément dans le registre d'état civil électronique et dans le support d'archives numériques du ministère des affaires étrangères, Saphir ». Il y aura donc bien deux exemplaires archivés.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à établir une procédure d'alerte formalisée en cas de dysfonctionnement informatique. Je comprends le souhait de nos collègues du groupe GEST de sécuriser la dématérialisation de l'état civil des Français de l'étranger. Tel qu'est rédigé l'amendement, je ne peux cependant pas formuler un avis favorable.
En premier lieu, la mise en place d'une procédure d'alerte formalisée, si elle est tout à fait intéressante, voire souhaitable, ne me semble pas relever du domaine de la loi.
En deuxième lieu, l'amendement est en grande partie satisfait puisqu'il cible certes « la conservation, la mise à jour et la délivrance » des actes d'état civil du MEAE, mais aussi « l'établissement ». Or l'article 8 de l'ordonnance du 10 juillet 2019 prévoit déjà l'hypothèse d'une « défaillance du système informatique empêchant l'établissement d'un acte de l'état civil électronique ».
En troisième lieu, cet amendement ne peut être adopté en l'état puisqu'il traite notamment de la délivrance des actes d'état civil du MEAE en insérant des dispositions en ce sens dans l'ordonnance précitée, alors que l'article 1er de la proposition de loi pérennise, au sein du code civil, la délivrance matérialisée de ces actes et que l'article 2 supprime toutes les références à la délivrance dans l'ordonnance.
Enfin, il est inutile de prévoir que la délivrance peut être effectuée par support papier, puisque l'article 1er fait déjà de la délivrance dématérialisée une simple possibilité, et non une obligation.
Pour toutes ces raisons, l'avis est défavorable sur cet amendement.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-6 apporte une précision importante relative à la clôture du registre des actes d'état civil électronique. À l'issue de l'expérimentation, c'est la délivrance des actes électroniques établis dans le cadre de l'expérimentation, et non la délivrance « électronique » en tant que telle qui cessera.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-7 prévoit la présentation annuelle, par le Gouvernement, d'un état d'avancement de l'expérimentation devant l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE).
Mme Olivia Richard. - Je partage votre enthousiasme quant à la dématérialisation des actes d'état civil, ainsi que vos réserves relatives aux risques d'exclusion numérique, et vous félicite pour cet excellent rapport. Je voterai cet amendement, mais je rappelle qu'un bilan est présenté par le ministre délégué chargé des Français de l'étranger lors de chaque session de l'AFE, tandis que la commission des lois de ladite assemblée s'intéresse régulièrement à cette question.
Même si l'information et la transparence me paraissent déjà assurées, tout ce qui contribue à les renforcer est toujours souhaitable.
L'amendement COM-7 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
Mme Mélanie VOGEL |
1 |
Possibilité de délivrance des copies et des actes d'état civil sur support papier |
Rejeté |
Mme Mélanie VOGEL |
2 |
Possibilité de délivrance des copies et des actes d'état civil sur support papier |
Rejeté |
Article 2 |
|||
M. FRASSA, rapporteur |
5 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
Mme Mélanie VOGEL |
3 |
Tenue en double exemplaire du registre des actes de l'état civil électronique centralisé |
Rejeté |
Mme OLLIVIER |
4 |
Établissement d'une procédure d'alerte formalisée en cas de dysfonctionnement informatique |
Rejeté |
M. FRASSA, rapporteur |
6 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur |
7 |
Présentation annuelle de l'état d'avancée de l'expérimentation devant l'Assemblée des français de l'étranger |
Adopté |